S I ce n'est, il y a bien des saisons, la magnifique mise en scène de « Chutes » par Claude Régy, avouons que rares sont les productions qui aient éclairé l'uvre du dramaturge contemporain britannique Gregory Motton. Il est volontairement elliptique, pratique la suspension du sens avec une malice troublante, n'explicite jamais rien.
Dans « Un message pour les curs brisés », traduit ici par Nicole Brette et que l'auteur prend grand soin de sous-titrer « comédie », on ne dispose d'aucun point d'ancrage sociétal. Qui sont ces quatre personnages? De quoi vivent-ils ? Rien ne l'indique. Tout se passe dans une jolie petite maison, en lisière d'une forêt où l'on ira pique-niquer plus tard. C'est la maison de Monsieur Stevenson (Bernard Verley). Vivent là sa fille Linda (Anne Sée), son mari Micky (Eric Elmosnino), et, habituée de la demeure, amie de Linda, maîtresse de Micky, il y a aussi Jenine (Marie-Armelle Deguy).
Frédéric Bélier-Garcia qui signe la mise en scène s'appuie sur un décor harmonieux et habilement mobile de Chantal Thomas qui signe aussi les costumes : uniques repères qui induisent un univers inassignable. Le père fait très bourgeois nanti, les filles beautés petites-bourgeoises, Micky a des allures d'homme sans occupation, ouvrier au chômage qui aurait conservé comme seul signe d'indépendance, sa moto. On ne va pas loin, avec ça... Bélier-Garcia nous jette pourtant quelques indices, notamment en confiant les rôles de Jenine et de Linda à deux remarquables comédiennes, Marie-Armelle Deguy et Anne Sée, deux actrices qui se ressemblent clairement. Même haute silhouette, même sensualité, même âge.
Deux personnages qui ont en partage une dislocation de tout l'être, deux névrosées profondes et profondément malheureuses. Marie-Armelle Deguy avec sa naturelle aristocratie, Anne Sée avec sa sensibilité immédiatement érotique, sont en miroir. Elles se déchirent en toute amitié pour ce Micky qu'elles dominent d'une tête mais dont elles subissent, apparemment consentantes - c'est le nud d'ancrage de leur névrose, de leur besoin de souffrance -, toute la faiblesse, la veulerie, la lâcheté.
Motton n'accorde que fort peu à ce personnage qu'Eric Elmosnino défend de toutes ses fibres et qui consent, lui aussi, à la déchirure, objet érotique avec crise et bouffées de rébellion... Observateur vaguement pervers, Stevenson, auquel Bernard Verley apporte le mystère de la présence et l'intelligence d'une interprétation fine, nuancée. Ce père-là n'est pas net. Il est accroché à sa fille. Il aime son humiliation. Bref, un drôle de monde.
Frédéric Bélier-Garcia y voit une « chaotique farandole où s'esquisse peut-être un nouveau mode amoureux qui aspire moins à l'éternité qu'à l'oubli ». Soit. Reste un travail intéressant, un peu trop envahi de musique, de chansons de référence - défaut de jeunesse - et l'interprétation remarquable de comédiens à fortes personnalités.
Théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes, du mardi au samedi à 20 h 00, à 16 h 30 le dimanche. Durée : 1 h 30 sans entracte. (01.43.28.36.36). Jusqu'au 8 avril.
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