Syndrome des Balkans : la France lance un suivi épidémiologique

Publié le 14/01/2001
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« I L paraît improbable, pour un certain nombre de raisons, que la leucémie résulte d'une exposition à l'uranium appauvri dans le conflit des Balkans », estime l'Organisation mondiale de la santé, par la voix du Dr Mike Repacholi, expert de l'OMS.

Lorsque ce type de radiations « pénètre dans la peau,elles sont presque totalement absorbées en elle. Et le seul moyen pour contracter effectivement la leucémie serait que l'uranium soit absorbé dans le système sanguin. Il devrait être alors sous une forme soluble, a-t-il souligné, et il devrait rester quelque temps avant de produire une irradiation suffisante pour provoquer une pathologie telle que la leucémie ».
Ce scepticisme rejoint celui exprimé par beaucoup de scientifiques, en Europe comme aux Etats-Unis. Cependant, pour répondre aux interrogations des opinions publiques, des programmes de dépistage sont mis en œuvre dans tous les pays qui ont envoyé des troupes dans les Balkans : la Grèce, la Roumanie, l'Estonie, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Russie, le Portugal et la Croatie ont annoncé des tests médicaux pour vérifier si leurs militaires sont atteints du syndrome des Balkans.

60 000 dossiers étudiés

La France n'entend pas être en reste à cet égard. Dans un premier temps, tous les dossiers des personnels qui ont servi en ex-Yougoslavie depuis 1992, soit environ 60 000 militaires, vont être analysés. Les pathologies graves ou inhabituelles feront l'objet d'une fiche anonyme qui sera transmise et centralisée par le Service de santé des armées. « Cette première approche, axée sur les affections tumorales et leucémiques, a précisé le médecin-colonel Christian Estripeau, sera terminée pour la fin du mois de janvier et rendue aussitôt publique. »
Par ailleurs, les médecins d'unité, à l'occasion de chaque visite comme de l'examen annuel systématique auquel les militaires doivent se soumettre, prendront « en compte, de manière spécifique, les missions extérieures » auxquelles ont participé les soldats. Ceux qui auront servi dans les Balkans seront systématiquement soumis à une radio pulmonaire, à un hémogramme, ainsi qu'à un bilan rénal.
Selon les résultats de ces investigations, une recherche d'uranium dans les urines pourra être ensuite effectuée. Cet examen, dont le coût unitaire est estimé à 6 000 F, ne peut, actuellement, être pratiqué que dans un seul laboratoire dont la capacité est limitée à 150 analyses par mois.
Pratiquées sur les six anciens combattants des Balkans qui sont traités pour des leucémies de diverses formes, ces analyses, dont les résultats seront rendus publics aujourd'hui, constitueront une étape décisive pour confirmer ou infirmer le lien entre ces pathologies et l'exposition à l'uranium appauvri.
Ces mêmes soldats ont, d'ores et déjà, subi des tests cytogéniques ou cytogénétiques afin de vérifier si les leucémies dont ils sont atteints appartiennent à des formes primitives ou secondaires, lesquelles sont caractéristiques d'une irradiation. Mais, si les anomalies détectées de la sorte sont probantes après les expositions aux doses massives employées en radiothérapie, elles ne permettent nullement de conclure pour des doses dites faibles, comme celles rencontrées en Bosnie et au Kosovo.

Une incidence inférieure à celle de la population générale

Seulement une dizaine de registres départementaux comptabilisent en France les différente formes de leucémies. Mais la stabilité de leur prévalence dans le temps comme dans l'espace étant remarquable, très supérieure aux données observées pour les autres cancers, Florent de Vathaire, directeur de recherche de l'unité 121 de l'INSERM, à l'institut Gustave-Roussy, a pu procéder à de très précises extrapolations par tranche d'âge. Il a ainsi calculé* les incidences suivantes, toutes formes confondues, dans la population masculine :
- 20/35 ans : 2,5 pour 100 000 ;
- 35/39 ans : 5,4 pour 100 000 ;
- 40/44 ans : 5,5 pour 100 000 ;
- 45/49 ans : 6,6 pour 100 000 ;
- 50/54 ans : 12,2 pour 100 000.
Si l'on considère que la majorité des soldats envoyés dans les Balkans étaient âgés de 20 à 35 ans, 60 000 hommes ayant séjourné dans la région sur une période de neuf ans, l'incidence totale devrait s'élever à 22,5 pour 100 000, soit un total de 13,5 cas. Avec 6 cas déclarés à ce jour, au moins 7 autres devraient être diagnostiqués pour atteindre le taux observé dans la population générale du même âge.

* Extrait de « Estimation de l'incidence des cancers en France » (éditions de l'INSERM, 1996).

Ch. D.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6834