Tests à l'uranium appauvri : le cri du cœur des généralistes du Cher

Publié le 16/01/2001
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« Q UAND nous avons appris, la semaine dernière, que l'Etablissement technique de Bourges et surveillance industrielle armement (ETBS) reconnaissait avoir effectué 15 000 essais dans une agglomération de 100 000 habitants, et cela depuis au moins dix ans, sinon vingt, avec des obus à l'uranium appauvri, nous avons été stupéfaits et indignés. »

Le cri du cœur du Dr Marc Julien, président du syndicat des médecins généralistes du Cher est, explique-t-il au « Quotidien », celui d'un « médecin citoyen », qui réagit « viscéralement ». « Comment en serait-il autrement ? interroge-t-il. La DDASS vient de nous adresser un document de quatre longs feuillets sur les mesures de précaution à conseiller pour les pèlerins en partance pour La Mecque et nous devrions accepter le black-out complet de l'information sur cette question, alors que, le débat entre scientifiques n'étant pas tranché, on peut s'inquiéter très légitimement sur les dangers que pourrait faire courir à toute la population l'uranium appauvri. Ce serait faire vil prix de notre mission de généralistes soucieux de la santé publique. »

Depuis 1990 à Bourges et 1987 à Gramat

Certes, l'ETBS, un établissement public qui emploie un millier de salariés dépendant de la délégation générale pour l'Armement (DGA), assure s'être entouré de toutes les garanties de sécurité lors des expérimentations, au moins depuis 1990 à Bourges comme, depuis 1987, au centre d'études de Gramat, dans le Lot. Les obus, de 105 mm pour les chars AMX30 B2, de 120 mm pour les chars Leclerc et de 140 mm pour l'artillerie, avec ou sans flèche renforcée avec de l'uranium appauvri, sont tirés sur des cibles en acier placées à l'intérieur de bunkers. Des « casemates » qui sont enterrées à l'intérieur du polygone de tir, sur une superficie de 10 000 hectares, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Bourges, dans une campagne à très faible densité de population. Les obus passent au travers d'un premier rideau de polycarbonate, puis de deux rideaux d'eau, explosant sur un blindage d'acier sous aspiration. L'air, l'eau et les particules qui sont récupérés sont évacués par la COGEMA selon un protocole en vigueur pour les matières radioactives.
Certes, les personnels qui pratiquent les tirs subissent régulièrement des examens médicaux qui, à ce jour, n'ont rien révélé d'anormal, souligne Alain Picq, ingénieur en chef de l'armement : huit personnes et quelques occasionnels sont ainsi pris en charge depuis dix ans, qui subissent un examen médical une fois par mois, une analyse de sang deux fois par an et un ECG tous les deux ans. Autant d'examens, selon M. Picq, qui seront effectués par un médecin militaire sous le contrôle d'un médecin du travail, et ont toujours été négatifs, de même que les prélèvements d'eaux et de végétaux, comme les tests vétérinaires sur les sangliers et les chevreuils auxquels il est procédé tous les trimestres.

« Nous ne les croyons plus »

Certes, la radioactivité globale du site, mesurée par hélicoptère avant la création du polygone de tir, puis dix ans après, n'a pas augmenté, assure la même source officielle.
« Mais nous ne les croyons plus, s'écrie le Dr Julien. Les mêmes nous avaient garanti que les radiations de Tchernobyl n'avaient pas franchi nos frontières en 1986. Que vous preniez des dossiers comme ceux du sang contaminé, de l'amiante ou de la vache folle, vous n'avez plus envie de vous en remettre aux discours des instances officielles. »
La section CFDT des établissements et arsenaux de l'Etat du Cher rappelle, pour sa part, que, jusqu'en décembre dernier, l'ETBS niait que des essais d'obus à l'uranium appauvri aient été effectués ; elle a demandé au ministère de la Défense une enquête épidémiologique, car elle estime que, sur une période longue, entre 150 et 200 personnes ont participé de près à ces essais.
Mais le Dr Julien veut qu'on aille plus loin dans les investigations. Il demande que l'enquête épidémiologique s'applique à toute la population civile du département ; qu'elle se déroule sur le long terme, au moins pendant vingt ans, compte tenu de l'ignorance où nous sommes quant à la toxicité de ce produit ; et qu'elle soit confiée, enfin, aux médecins libéraux de base, dont l'impartialité est indiscutable.
« Ces praticiens qui ont les mains dans le cambouis, ajoute le patron de MG-18, sont animés par le souci de la santé publique et sont capables de voir plus loin que leur consultation à 115 F. C'est pourquoi j'invite tous mes confrères, au-delà des appartenances syndicales, à suppléer à la carence des autorités de santé publique pour rejoindre le réseau que nous allons constituer ».
« J'en veux aux pouvoirs publics », avoue Marc Julien, qui dénonce le « silence suspect » de la DDASS de Bourges, un silence qui « entretient, selon lui, toutes les inquiétudes ».
De fait, cette administration ne souhaitant pas s'exprimer sur le dossier ETBS, c'est le directeur de cabinet du préfet, Philippe de Gestas, qui a répondu au « Quotidien ». Il remarque que « l'ETBS étant un établissement militaire, c'est le ministère de la Défense qui y a seul compétence pour toutes questions de sécurité sanitaire et de santé publique. En outre, demander une enquête épidémiologique sur la population civile n'a pas de sens tant qu'aucune anomalie n'a fait l'objet d'observations dans le personnel de l'établissement. Et étendre une telle enquête à l'ensemble du département est démesuré ». Pour M. de Gestas, il convient donc de « laisser le soin à la DGA de procéder à ses enquêtes, prélèvements et analyse, au vu desquels la préfecture, le cas échéant, sera conduite à prendre des mesures. »
Le cri du cœur des médecins en faveur d'une plus grande transparence est « très prématuré », selon le directeur de cabinet, qui reconnaît toutefois n'avoir été informé de la réalité des tirs à l'uranium appauvri dans son département qu'en lisant la presse régionale la semaine dernière.

Pas de trace d'uranium chez les militaires français malades

Les résultats de la recherche d'uranium appauvri chez cinq militaires français qui ont servi dans les Balkans et traités pour des hémopathies malignes aiguës sont négatifs, a annoncé le ministère de la Défense, ajoutant qu'on reste dans l'attente d'un sixième examen.
Ces résultats confortent la position des experts scientifiques qui affirment qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des connaissances, d'affirmer l'existence d'un rapport de causalité entre ces pathologies et la poussière dégagée lors de l'explosion des obus à l'uranium appauvri.

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6836