Tribune

« Traitement du mélanome : un risque de perte de chance perte pour les patients ? »

Publié le 08/02/2018
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Réputé pour être l’un des meilleurs du monde, le système de santé français repose sur un principe majeur : l’égalité d’accès aux soins pour tous. Cette volonté affichée pourrait s’avérer difficile à mettre en pratique en raison du décalage entre le coût des avancées thérapeutiques issues d’une recherche innovante et les ressources allouées pour la prise en charge des patients concernés.

Les malades sont-ils confrontés à une perte de chance compte tenu d’un accès retardé à certaines innovations thérapeutiques en France par rapport à d’autres pays européens ? La Société Française de Dermatologie (SFD) tient à illustrer ce paradoxe, avec la prise en charge du mélanome. Près de 10 000 nouveaux cas, dont 30 % des malades ont moins de 50 ans, sont déclarés chaque année. Jusqu’à l’avènement des immunothérapies et des thérapies ciblées en dermatologie en 2011, le pronostic du mélanome métastatique restait très sombre puisque le taux de réponse aux traitements par chimiothérapie s’élevait à moins de 15 % avec une durée moyenne de survie de quelques mois.

L’immunothérapie anti-cancéreuse est une révolution thérapeutique. À la différence des traitements anti-cancéreux classiques par chimiothérapie ou thérapies ciblées qui attaquent directement la cellule cancéreuse, elle stimule les défenses immunitaires du patient afin qu’il puisse éliminer lui-même les cellules tumorales. Le mélanome, un cancer particulièrement immuno-sensible, s’est rapidement imposé comme un des cancers répondant efficacement à ce type de traitement.

Aujourd’hui, plusieurs anticorps monoclonaux sont utilisés pour le traitement du mélanome métastatique : l’ipilimumab et plus récemment, le nivolumab et le pembrolizumab. Avec ces molécules de nouvelle génération, le taux de réponse au traitement est supérieur puisqu’il varie de 35 % à 45 %, et près de 50 % des malades ont une survie prolongée à 3 ans. Plusieurs études publiées dans des revues scientifiques prestigieuses (NEJM et Lancet Oncology) ont démontré la supériorité de l’association de deux immunothérapies (ipilimumab + nivolumab ou pembrolizumab) sur chacune des deux molécules utilisées isolément avec un taux de réponse atteint de 60 % et des taux de survie à deux ans jusqu’à 63 %. Au vu de ces résultats remarquables, l’association a reçu une AMM de l’Agence européenne et de la FDA en 2016 et est devenue le traitement de référence en première ligne du mélanome métastatique en Europe.

Malgré ces résultats, l’accès à ces traitements innovants pour les patients français pourrait être interrompu par l’état des finances des établissements hospitaliers accueillant ces patients. Jusqu’à présent, l’ipilimumab - faisait l’objet d’une prise en charge hospitalière spécifique par la Sécurité Sociale, du fait de son inscription sur la « liste en sus », dispositif dérogatoire prévu pour garantir le financement de produits innovants souvent onéreux.

Or depuis le 20 novembre 2017, un arrêté est venu retirer l’ipilimumab de la « liste en sus » ce qui a pour conséquence de faire supporter le prix d’un traitement par ce médicament - environ 50 000 € par an et par patient - par les hôpitaux eux-mêmes. Et ce, alors même que simultanément, un autre arrêté autorisait, l’utilisation de l’association de ces 2 immunothérapies comme traitement de première ligne dans certains cas de mélanome métastatique.

Une autre conséquence de cette incohérence entre ces deux arrêtés serait d’induire une discrimination entre les patients, selon qu’ils sont porteurs ou non d’une mutation génétique. Les patients porteurs de la mutation continueront de bénéficier d’une association de deux médicaments bloquant le cycle des cellules tumorales (thérapie ciblée), tandis que ceux n’ayant pas la mutation ne pourront plus en bénéficier.

Au vu du nombre de malades pris en charge pour un mélanome métastatique en France, la SFD s’inquiète du coût très élevé que devront supporter les hôpitaux du fait de cette mesure.
 La situation financière actuelle des établissements rend illusoire le fait de vouloir le leur faire supporter. En pratique, les patients pourraient ainsi se voir refuser la prise en charge par certains hôpitaux pour des raisons d’équilibre financier spécifiques à chaque hôpital.

La SFD souhaite interpeller les Autorités sur un risque de perte de chance pour les malades atteints de mélanome en France en comparaison avec la plupart des autres pays européens. La France est un des seuls pays de l’UE avec l’Italie dans lequel cette association ne serait plus prise en charge par l’Assurance maladie. La SFD appelle à une réflexion pour reconsidérer les dispositifs de financement des nouveaux traitements du mélanome dans l’intérêt des patients.

Pr. Pascal Joly

Source : Le Quotidien du médecin: 9638