U N an après sa mise en uvre, la principale réforme sociale du gouvernement Jospin a atteint son objectif : offrir des soins entièrement gratuits aux personnes les plus défavorisées qui, souvent faute d'une couverture complémentaire, ne se rendaient plus chez le médecin.
Selon le bilan statistique dressé par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), 4 985 161 personnes bénéficiaient de la CMU au 1er janvier 2001. Ce sont donc près de 5 millions de personnes qui, grâce au dispositif mis en place au début de l'année 2000, disposent désormais d'une couverture maladie complète. Elle leur garantit la prise en charge à 100 % de leurs dépenses de santé sans avoir à faire l'avance de frais. C'est donc 1,8 million de personnes de plus que dans l'ancien dispositif de l'aide médicale départementale.
Soins gratuits pour 82 % des bénéficiaires
Si l'on n'a pas encore atteint les six millions de personnes estimées, la montée en charge du dispositif n'est pas achevée puisque de 70 000 à 100 000 personnes de plus obtiennent encore la CMU complémentaire chaque mois, indique la CNAM.
Outre le nombre de personnes affiliées, le dispositif semble également avoir fait la preuve de son efficacité sur le plan de l'accès aux soins. Selon les chiffres rendus publics, 82 % des bénéficiaires de la CMU ont pu, en 2000, bénéficier de soins gratuits ou quasi gratuits (moins de 10 francs à leur charge).
Quant aux dépassements par rapport aux forfaits de prises en charge notamment pour les soins optiques et dentaires, ils n'ont dépassé 500 francs que pour 3,5 % d'entre eux. Dans l'optique, les soins ont concerné 26 % des patients qui ont déboursé en moyenne 670 francs, notamment pour l'achat de montures ou de verres d'un prix supérieur au forfait fixé par le gouvernement. Dans le domaine des soins dentaires, les dépassements n'ont concerné que 10 % des patients bénéficiant de la CMU pour un montant moyen de 1 310 francs.
D'abord le généraliste
Mais le plus intéressant, c'est le profil des bénéficiaires de la CMU qui a pu être dressé grâce à ce bilan statistique. Il apparaît que le dispositif a été appliqué principalement à de jeunes adultes en situation de précarité et à des enfants affiliés par l'intermédiaire de leurs parents. L'âge moyen est de 27 ans, alors qu'il est de 38 ans pour l'ensemble du régime général ; et 42 % des justiciables de la CMU ont moins de 20 ans. Leur consommation de soins, à âge et sexe identique, est de 1,3 supérieure à celle des autres assurés. Ce qui révèle un état de santé précaire qui les a conduits à recourir en priorité à des soins de première nécessité.
Ainsi, les bénéficiaires de la CMU ont consulté davantage les médecins généralistes que les médecins spécialistes, y compris les ophtalmologues et les dentistes, malgré les forfaits de prise en charge prévus dans ces deux spécialités.
Médicaments du SNC en tête
Si la consommation de médicaments par patient est légèrement plus faible que celle des autres assurés, le type de médicaments consommés est également, selon la CNAM, le signe de conditions de vie plus difficiles. Les chiffres démontrent que les bénéficiaires de la CMU recourent davantage aux médicaments agissant sur le système nerveux central, sur les voies digestives et le métabolisme.
Enfin, le coût de la CMU, pour sa première année de mise en uvre n'a pas, malgré des prévisions pessimistes, été plus élevé que prévu. Avec 4 565 francs au titre de la CMU, la dépense moyenne des bénéficiaires est inférieure de 10 % à celle des autres patients du régime général (voir encadré) et n'a donc pas eu d'impact notable sur le niveau des dépenses remboursées par ce régime.
Par ailleurs, une étude du ministère de l'Emploi et de la Solidarité avait déjà révélé que les dépenses relatives à la part complémentaire de la CMU se sont élevées à 5,7 milliards de francs contre les 9 milliards attendus en année pleine. Néanmoins l'année 2000, année de montée en charge du système, n'est sans doute pas tout à fait représentative ; et il faudra sans doute attendre le bilan 2001 pour avoir une idée plus précise de la consommation moyenne de soins.
Cette année devrait en effet permettre, selon la CNAM, de régulariser avant la fin du mois de juin les droits de tous les anciens titulaires de l'aide médicale départementale qui avaient été basculés automatiquement sur le nouveau dispositif. Quelques-uns devraient se trouver au-dessus du plafond de ressources fixé par la loi à 3 600 francs et sortir du dispositif. Ensuite, un mouvement naturel d'entrée et de sortie devrait se mettre en place en raison du renouvellement annuel des droits de l'ensemble des bénéficiaires. S'il est pour l'instant difficile de prévoir le solde de ces mouvements, la CNAM rappelle que le RMI enregistre chaque année environ 30 % d'entrées et de sorties.
Il reste les deux faiblesses du dispositif : d'abord, celui du plafond de ressources qui crée une injustice pour les patients dont les revenus sont justes au-dessus plafond. La CNAM souligne cependant qu'une enveloppe de 400 millions de francs a été débloquée pour venir en aide aux personnes sortant du dispositif pour cette raison. Ensuite l'insuffisance, selon certaines associations, des forfaits optiques et dentaires semble avoir freiné dans un premier temps les dépenses des bénéficiaires de la CMU dans ce domaine. Consciente de cette difficulté, Elisabeth Guigou a d'ailleurs annoncé devant la Conférence nationale de santé que « des améliorations étaient à l'étude pour faciliter l'accès aux soins dentaires ».
4 565 F en moyenne par patient
Selon l'étude statistique réalisée par la Caisse nationale d'assurance-maladie, la dépense moyenne d'un bénéficiaire de la CMU complémentaire s'est élevée à 4 565 francs en 2000, soit un montant légèrement inférieur à celui des autres patients du régime général, dont la dépense moyenne a été de 5 016 francs durant la même période.
Les dépenses spécifiquement prises en charge par la CMU complémentaire (ticket modérateur + forfait hospitalier) sont en moyenne de 1 142 francs par bénéficiaire de soins : 997 francs pour un homme et 1 268 francs pour une femme. Ce sont à 61,9 % des dépenses de prescriptions et à 37,4 % des dépenses d'honoraires; les frais de transport ne représentant que 0,7 %.
La pharmacie constitue de loin le poste le plus important des soins de ville pris en charge par la CMU complémentaire : 46,5 %. Avec 11,4 % des dépenses, les soins dentaires représentent également un poste important dans les remboursements. En revanche, l'optique ne forme qu'une faible part des dépenses, soit 2,8 %.
Le Dr Malek Abderrahim :
« Une révolution »
Médecin généraliste dans le quartier du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (78), le Dr Malek Abderrahim confirme que la CMU a rendu les soins accessibles à toute une clientèle de jeunes adultes en situation précaire.
LE QUOTIDIEN - Selon la Caisse nationale d'assurance-maladie, la couverture maladie universelle a permis à de nombreux patients, notamment de jeunes adultes, de rattraper leur retard dans le domaine des soins. Constatez-vous ce phénomène?
Dr MALEK ABDERRAHIM - Oui. D'une manière générale, grâce à la CMU, beaucoup de gens, jeunes et moins jeunes, ont commencé à rattraper leur retard de prise en charge. Cela peut concerner aussi bien une hypertension artérielle qu'un traitement de la prostate. Il faut savoir que pour un petit salaire, si le tarif de la consultation n'est pas excessif, une prescription même banale dont la part complémentaire est importante, peut être un handicap insurmontable. En cela, la CMU est une révolution.
Par ailleurs, la CMU a effectivement permis de retrouver dans les cabinets une clientèle très spécifique, de jeunes adultes ayant entre 20 et 25 ans, c'est-à-dire une population souvent en situation de carence totale qui n'a pas encore droit au RMI. Et même si la situation économique s'améliore, même si le travail revient, il en reste beaucoup ! J'ai retrouvé aussi de jeunes toxicomanes qui étaient gênés de venir me voir pour une énième consultation gratuite. Des jeunes qu'on ne voyait pas consultent pour des hépatites lourdes, des rhino-pharyngites avec des complications pulmonaires, etc. On pourrait citer beaucoup d'exemples.
Délais de paiement respectés
La gestion administrative des patients bénéficiaires de la CMU vous pose-t-elle problème au quotidien ?
Absolument pas. Depuis la carte Vitale, ça ne pose plus aucun problème. C'est même une merveille : le règlement des soins arrive dans la semaine et les délais sont respectés. Pour moi, la télétransmission est une simplification phénoménale. Avec les feuilles de soins papier, la gestion de toute la paperasse pour les patients qui bénéficient de la dispense d'avance de frais, ce qui représente de 20 à 25 % de mon activité, était quelque chose de démentiel.
Seul bémol : il y a eu, parfois, quelques anomalies concernant le remboursement de la part complémentaire, mais tout est rentré très vite dans l'ordre.
Que faudrait-il améliorer pour que le système fonctionne mieux ?
Franchement, la CMU marque une telle évolution que je ne vois pas, sur le fond, ce qu'on pourrait améliorer. On a gagné plus de latitude en matière de prise en charge et, avec la télétransmission, la simplification administrative est énorme. Je suis enthousiaste.
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