« L'APPORT d'îlots pancréatiques d'origine cadavérique est insuffisant pour répondre aux besoins de transplantation de la majorité des patients diabétiques », explique au « Quotidien » le Dr Ji Won-yoon, de la Chicago Medical School (North Chicago, Illinois), qui a dirigé cette recherche. « L'avantage de cette nouvelle lignée cellulaire est qu'elle peut être développée indéfiniment en culture et pourrait donc résoudre le problème de pénurie des cellules bêta de donneurs. Un autre avantage est la possibilité d'effectuer facilement d'autres manipulations génétiques sur ces cellules. Par conséquent, il pourrait être possible de conférer une protection contre l'attaque auto-immune en manipulant génétiquement la lignée des cellules bêta avant transplantation », ajoute-t-il.
Le diabète de type 1 est dû, comme on le sait, à la destruction auto-immune des cellules bêta qui sécrètent l'insuline, au sein des îlots pancréatiques.
Le traitement actuel par administration exogène d'insuline (injections répétées ou à la pompe) est incomplètement efficace puisqu'il n'est pas capable d'assurer un contrôle de la glycémie suffisant pour mettre tous les patients à l'abri des complications dégénératives, et expose inévitablement au risque d'hypoglycémie.
Avec les avancées de la recherche, la greffe d'îlots pancréatiques, moins invasive que la greffe de pancréas, apparaît comme la solution la plus prometteuse pour obtenir un contrôle strict de la glycémie et offrir un traitement curatif potentiel pour le diabète de type 1. Ces allogreffes réalisées avec un nouveau protocole d'immunosuppression (protocole d'Edmonton, « New England Journal of Medicine » 2000, Shapiro et coll.) ont permis d'obtenir une insulino-indépendance durable chez tous les patients (un an ou plus).
Pénurie d'îlots.
Cependant, cette avancée est entravée par la pénurie d'îlots provenant de donneurs décédés. En outre, les îlots bêta prélevés ne prolifèrent pas en culture et deux ou trois donneurs sont nécessaires pour une greffe.
D'autres sources d'îlots sont donc explorées (cellules souches, îlots porcins, expansion des cellules bêta avec des facteurs de croissance).
Narushima, Yoon et coll. ont établi, pour la première fois, une lignée de cellules bêta humaines qui est « fonctionnellement équivalente aux cellules bêta primaires » et peut être cultivée indéfiniment. Ils ont utilisé une stratégie « d'immortalisation conditionnelle » afin d'amplifier des cellules bêta humaines tout en gardant leur fonction.
Leur stratégie est la suivante. Des cellules bêta humaines fraîchement isolées ont été transformées avec deux gènes « immortalisants » ; cela par transfection des cellules avec un vecteur rétroviral contenant l'antigène large T du virus simien 40 (SV40T) et la transcriptase reverse de la télomérase humaine (TERTh). Ces deux gènes ont été encadrés par des sites loxP, afin de permettre leur excision ultérieure par la recombinase Cre.
Les 271 lignées cellulaires ainsi immortalisées ont été évaluées pour leur pouvoir oncogène chez des souris immunodéficientes. Ce premier dépistage a identifié 253 lignées cellulaires non oncogènes. Ces lignées ont ensuite été dépistées pour rechercher celles qui expriment l'insuline et quatre facteurs de transcription spécifiques des cellules bêta. Cela a permis d'identifier une seule lignée, désignée NAKT-15. L'expansion de cette lignée a ensuite été réalisée dans un milieu de culture particulier.
La réversion des cellules NAKT-15, par l'excision des gènes immortalisants (en infectant les cellules par adénovirus exprimant la recombinase Cre), arrête la prolifération cellulaire et accroît l'expression des facteurs de transcription spécifiques des cellules bêta.
Ces cellules ont bien le phénotype des cellules bêta pancréatiques matures et sécrètent l'insuline en réponse au glucose, comme les cellules bêta normales.
L'implantation de ces cellules NAKT-15 (3 millions, ce qui équivaut à 2 000 îlots) chez des souris diabétiques a entraîné une normalisation de la glycémie pendant une période supérieure à trente semaines.
Des essais cliniques pas avant trois à cinq ans.
« Cette lignée cellulaire pourrait procurer une source de cellules bêta pour le traitement des patients diabétiques de type 1 », concluent les chercheurs.
Des travaux supplémentaires sont nécessaires. « Notre prochain objectif sera de manipuler génétiquement ces cellules afin de les protéger contre le rejet et l'attaque auto-immune », confie le Dr Yoon. Des essais seront ensuite menés chez les primates non humains diabétiques. « Il est difficile de dire quand pourraient commencer les essais cliniques, mais probablement pas avant trois à cinq ans. »
« Bien que des questions restent posées, ce travail représente une avancée prometteuse pour résoudre le problème de la réserve d'îlots », notent dans un commentaire associé les Drs Hohmeier et Newgard (Duke Independance Park Facility, Durham). Une des questions, disent-ils, est de savoir si cette stratégie qui fait intervenir une manipulation génétique des lignées cellulaires avec un oncogène pourra obtenir l'autorisation de la FDA. Yoon et coll. ont mis en place un système redondant de sauvegardes (sélections multiples anti-oncogène), certes, mais « peuvent-ils être certains que toute l'expression oncogène est éliminée ? », s'interrogent-ils. « Malgré ces questions, ce rapport semble représenter une avancée importante. »
Un autre bénéfice de cette étude si le phénotype de ces cellules est confirmé, observent-ils, est que ces cellules pourraient offrir un outil important pour découvrir des médicaments qui majorent la sécrétion d'insuline dans le diabète de type 2. « L'importance de cet outil pourrait égaler leur utilité potentielle pour le traitement du diabète de type 1. »
« Nature Biotechnology », 25 septembre 2005, DOI : 10.1038/nbt1145.
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