La réanimation consiste à surveiller attentivement, et si besoin à suppléer une ou plusieurs défaillances d’organes (insuffisances respiratoire, rénale, cardiaque…), en assurant jusqu’au bout les soins d’hygiène et la prise en charge de la douleur. Outre des traitements spécifiques, médicaux ou chirurgicaux, cette assistance est facilitée par des machines (respirateur, rein, voire cœur artificiels). La question de la fin de vie ne se pose que si, après plusieurs jours, l’état du malade ne s’améliore pas. Dans quelles circonstances limiter, voire arrêter la réanimation ? Comment et avec qui prendre la décision ? Pratiquement, que faire ? Faut-il « débrancher » ?
Pour nous, médecins, il ne s’agit pas de mettre fin à une vie, mais d’assister la fin de la vie. Le suicide assisté n’a pas lieu d’être en réanimation. Nous n’avons pas à répondre à une requête explicite du patient pour qu’un tiers lui donne la mort ; nous sommes là pour éviter des souffrances inutiles jusqu’au moment où préserver la vie tiendrait de l’acharnement thérapeutique. Ainsi, lorsque le patient est en situation d’échec thérapeutique, il est logique de ne pas prolonger artificiellement son agonie ; de même, si l’évolution est très défavorable en termes de survie et/ou de qualité de vie. Enfin, si le patient lui-même témoigne directement ou indirectement de son refus d’une suppléance d’organes ou de l’intensification de son traitement, il faut respecter sa décision. Ces trois situations sont les seules où un médecin peut se permettre de limiter, voire d’arrêter un traitement de survie, ce qui n’est en aucun cas une aide au suicide. L’euthanasie est à ce jour assimilable à un homicide, donc condamnable.
Gérer au mieux la fin de vie.
Nous nous devons de gérer au mieux la fin de vie de nos patients. Aucune procédure ne changera le fait qu’arrêter ou suspendre le traitement d’un malade retentit sur la famille ou sur les proches, mais aussi sur chaque soignant. Un service de réanimation doit se donner les moyens d’organiser au mieux la fin de vie en mettant le patient au cœur d’une relation de confiance entre son entourage et l’équipe de soins. Ce lien de personne à personne est essentiel, tous nos efforts visent à l’améliorer. Les Lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005, relatives aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ont défini une « personne de confiance » puis renforcé son rôle en phase avancée ou terminale. « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté. » Plus largement, c’est l’entourage proche qui doit être tenu informé dès le début de la prise en charge ; il faut le consulter régulièrement, même s’il n’a pas de pouvoir légal de décision. On diminue ainsi, dans l’intérêt même du patient, l’anxiété, voire la dépression, plus forte encore chez les proches s’ils se retrouvent obligés de décider sans préparation. De son côté, l’équipe soignante doit être soudée dans la concertation et la circulation de l’information afin qu’à chaque étape de la prise de décision, chacun, de l’infirmière au médecin en passant par les paramédicaux, se sente concerné, vive mieux la situation et évite le stress que nous connaissons trop dans nos services.
En pratique, nous devons en priorité soulager la douleur physique et morale du malade, en maintenant notamment l’aide ventilatoire, voire l’hydratation ou la nutrition artificiels, et prendre toutes les mesures susceptibles d’améliorer son confort et celui de ses proches. Dès que le décès est pressenti, il faut pouvoir proposer au malade et à ses proches une assistance religieuse, spirituelle, psychologique mais aussi pratique, pour les aider dans leurs démarches administratives. Pour que le malade se sente entouré, nous favorisons les visites 24 heures sur 24.
La France est le pays d’Europe qui a l’approche la plus médicalisée de la fin de vie. Mais le médecin, confronté à une décision de fin de vie, si argumentée soit-elle, reste un homme comme les autres, avec sa part de subjectivité et d’incertitude. Aucune donnée factuelle, si utile soit-elle, ne peut remplacer cette liberté et cette responsabilité, sans lesquelles la médecine ne serait qu’un acte technique, dénué d’humanité. Deux Français sur trois ignorent qu’il existe une loi qui interdit l’acharnement thérapeutique. Combien seraient-ils vraiment, au moment décisif, à accepter pour eux ou pour leurs proches que leur médecin injecte du curare, du chlorure de potassium ou des sédatifs à hautes doses pour provoquer délibérément la mort ? L’homicide volontaire n’est pas compatible avec l’éthique médicale, encore moins avec l’attente de la grande majorité de nos patients. Laissons l’euthanasie aux militants d’une cause désincarnée et continuons à faire notre métier en préservant la vie.
* ancien chef du service de réanimation de l’Hôpital Saint Louis, Paris, membre de l’Académie nationale de médecine
** ancien chef de service de réanimation de Hôpital Calmette, Lille, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine
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