Une drogue « idéale » pour l’assaut

Publié le 23/11/2015
Article réservé aux abonnés

Pour le Pr Jean-Pol Tassin, neurobiologiste de l’addiction à l’INSERM, les effets dopants puissants du Captagon pourraient ne pas être étrangers au comportement des terroristes, décrits comme particulièrement déterminés, méthodiques, presque mécaniques. « Le Captagon ou fénétylline est métabolisé dans l’organisme en amphétamine et en théophylline, explique-t-il. Et comme pour toute amphétamine, la vigilance est accrue et on a l’impression d’être le meilleur. Les performances physiques sont dopées, le rythme cardiaque s’accélère et les muscles et le cerveau fonctionnent à plein, avec un taux de glucose augmenté ».

La fénétylline a été utilisée par les étudiants mais aussi comme dopant dans le cyclisme, dans les années 1960-1970 avant d’être totalement retirée du marché français. En injection intraveineuse, les effets pourraient être plus rapides et plus intenses. « On est au maximum de ses capacités, décrit le Pr Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif. Aucune hésitation, aucun tremblement. »

C’est une molécule qui « galvanise » avant l’action. Peu de produits correspondent aussi bien à l’effet recherché avant un combat, « hormis les bêta-bloquants qui contrent le stress », précise le neurobiologiste. La prise de drogues a souvent été rapportée avant les batailles, comme l’alcool lors des guerres 14-18 ou en Corée, ou les amphétamines lors de la seconde guerre mondiale. Elle aide à faire face à la dureté du combat, mais aussi « ritualise et rend l’instant solennel », indique le psychiatre.

Stocks neuronaux vidés

Au niveau moléculaire, l’amphétamine vide les stocks des neurones en noradrénaline et en dopamine, explique le neurobiologiste. La noradrénaline efface la fatigue, la dopamine rend euphorique. « Le problème, on peut répéter la prise une fois, ou deux éventuellement, indique-t-il. Mais contrairement à la cocaïne qui n’épuise pas les réserves, les stocks de neurotransmetteurs se vident inévitablement ». S’en suit un état de fatigue, un peu de déprime, et l’envie de dormir. Il faut attendre la nouvelle synthèse de neurotransmetteurs.

« La durée d’action, certes plus longue que la cocaïne reste assez courte malgré tout, de 60 minutes, jusqu’à 2 heures pour les plus fortes doses, poursuit-il. Ce qui pourrait expliquer le changement de personnalité des terroristes rapporté par les témoins, qui devenaient "un peu plus normaux" au fur et à mesure de l’assaut au Bataclan ».

Si l’apparence peut changer avec « un regard fixe en mydriase, les narines pincées, la mâchoire tendue », comme le décrit le Pr Tassin, et l’absence de douleur rendre froid en empêchant l’empathie, la molécule « ne change pas la personne », insiste le Pr Benyamina. La molécule ne fait pas le meurtrier. « Le passage à l’inhumanité se joue avant, au cours de l’embrigadement et du conditionnement, estime-t-il. C’est alors qu’ils perdent leur capacité à mesurer l’horreur de leurs actes. Ils ne partagent plus notre logique ni notre grille de valeurs. »

En tout cas, comme le laisse à penser Dounia Bouzar, qui a mis en place le premier centre de déradicalisation avec plus de 750 jeunes suivis depuis sa création, les drogues n’ont pas de place dans le processus de radicalisation : « Pour les quelques jeunes non incarcérés qui sont rentrés, nous n’avons pas connaissance de ces drogues. Et la plupart des jeunes que nous traitons sont ceux qui essayent de partir et il n’est pas question de drogue ».

Pour le psychiatre addictologue, ce n’est pas non plus en ayant recours à la drogue que Daech maintient sur place l’adhésion aveugle à sa cause. « Compte tenu des quantités circulantes sur place, il y a sûrement une distribution ponctuelle, des sortes de "récompenses". Comme il doit y avoir du haschich également. Mais les chefs ne vont pas courir le risque de voir ses soldats devenir dépendants sur le mode des toxicomanes ». L’avis du Pr Tassin diffère : « Il n’y a pas de dépendance physique aux amphétamines. En donnant régulièrement le produit aux combattants, ce pourrait être une façon de mieux les tenir ».

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9452