LE REMODELAGE OSSEUX, processus physiologique par lequel la masse osseuse est maintenue constante chez l'adulte, comprend deux phases. Il y a d'abord résorption de l'os par les ostéoclastes, suivie de la formation d'os nouveau par les ostéoblastes. Les ostéoblastes ont aussi une autre fonction durant le remodelage osseux : ils contrôlent la différenciation des ostéoclastes ; en d'autres termes, ils contrôlent directement ou indirectement tout le processus de remodelage osseux.
Parmi les nombreux régulateurs systémiques de la masse osseuse, la leptine, une hormone synthétisée par les adipocytes, a été identifiée comme un régulateur extrêmement puissant de la masse osseuse.
« La leptine occupe une place unique dans l'arsenal endocrinien régulant la masse osseuse », précise au « Quotidien » le Pr Karsenty. « En effet, non seulement ses actions sont très puissantes mais elles sont exercées par un médiateur neurologique et non par un contact direct entre l'hormone et l'ostéoblaste ; enfin, la leptine affecte, par sa régulation de l'activité des ostéoblastes, les deux aspects du remodelage osseux. »
« Nous avons d'abord montré que la leptine inhibe la formation osseuse, via le système nerveux sympathique, sans fournir à l'époque un mécanisme moléculaire (« Cell », 2002) », explique le Pr Karsenty. Cette action s'effectue par un relais cérébral (les neurones hypothalamiques), et un médiateur périphérique (le système nerveux sympathique) sur les récepteurs bêta 2-adrénergiques présents sur les ostéoblastes.
« Nous avons pu montrer ensuite, au niveau général et moléculaire, comment la leptine régule également la résorption osseuse en agissant uniquement sur les ostéoblastes (« Nature », février 2005). En effet, la leptine favorise la résorption osseuse via le système nerveux sympathique, en augmentant dans les ostéoblastes l'expression du facteur Rankl, ce qui induit la différenciation des ostéoclastes. Par ailleurs, nous avons montré, en collaboration avec Christian Vaisse et Karine Clément, que la leptine inhibe également la résorption, par l'intermédiaire du neuropeptide hypothalamique CART qui diminue dans les ostéoblastes le signal Rankl. »
« Les nouveaux travaux ont été motivés par le décalage qu'il y avait entre résorption et formation », poursuit Gérard Karsenty.
« Puisque le remodelage osseux est une fonction homéostatique - résorption et formation surviennent séquentiellement et de manière équilibrée - il semblait a priori logique qu'il soit régulé par l'horloge interne. En effet, toutes les fonctions homéostatiques, comme l'appétit, la soif, la libido, la tension artérielle, présentent des rythmes circadiens contrôlés par l'horloge interne. »
Rappelons qu'une horloge centrale, située dans le noyau suprachiasmatique de l'hypothalamus, contrôle des horloges subalternes situées dans les tissus périphériques. Les horloges, centrale et périphériques, sont réglées par des gènes circadiens.
Des souris mutantes ont une masse osseuse accrue.
« Nous avons donc analysé des souris mutantes déficientes en un ou plusieurs gènes d'horloges (gènes Per, Cry, Bmal1). Toutes ces souris mutantes ont un poids normal et sont fertiles, mais elles ont une masse osseuse accrue, du fait d'une augmentation de la formation d'os. Ce phénotype osseux est celui que l'on observe en absence de leptine. De plus, le fait qu'elles soient non obèses et fertiles était cohérent avec l'observation, que nous avions déjà faite, de la spécificité d'action des médiateurs de l'action osseuse de la leptine. »
« Pour voir si l'horloge est en amont de leptine, nous avons injecté de la leptine dans le troisième ventricule de ces souris déficientes en gènes d'horloge (injection intracérébroventriculaire). Contrairement à ce que laisse attendre l'hypothèse d'une horloge en amont, il n'y a pas diminution mais bien au contraire une augmentation de la masse osseuse. Le seul moyen d'expliquer ce paradoxe est de postuler que l'horloge est exprimée dans les ostéoblastes et médie l'action inhibitrice du système nerveux sympathique sur la formation osseuse. »
Une expression qui suit un rythme circadien.
Plusieurs observations sont venues confirmer cette hypothèse.
« Tous les gènes d'horloge sont exprimés dans les ostéoblastes et leur expression suit un rythme circadien. De plus, leur expression est régulée par le système nerveux sympathique. »
L'équipe a ensuite montré que l'horloge moléculaire inhibe la formation d'os en prévenant la prolifération des ostéoblastes. En effet, les souris mutantes déficientes à la fois en signal sympathique (par déficit du récepteur bêta 2-adrénergique) et en gènes d'horloge ont en commun une importante augmentation du nombre des ostéoblastes.
Les gènes d'horloge inhibent la prolifération des ostéoblastes par le mécanisme moléculaire suivant : en inhibant l'expression de c-myc, les gènes d'horloge suppriment l'expression des cyclines G1 (et notamment de la cycline D1) qui contrôlent la transition du cycle cellulaire de la phase G1 à la phase S.
En conclusion, l'horloge moléculaire agit en aval du signal sympathique dans les ostéoblastes pour inhiber leur prolifération, et, par conséquent, inhiber la formation d'os.
« Une observation contradictoire a permis de découvrir que la leptine, via le sympathique, favorise aussi la formation d'os.
Tandis que les anomalies cellulaires et moléculaires sont identiques, comme elles devraient l'être, entre les os déficients en signal sympathique et les os déficients en gènes d'horloge, l'infusion intracérébroventriculaire de leptine augmente le nombre d'ostéoblastes chez les souris déficientes en gènes d'horloge, mais ne change rien chez les souris déficientes en signal sympathique (déficientes en récepteur bêta 2-adrénergique). La meilleure explication pour cette divergence entre deux modèles qui devraient être des phénocopies exactes, est que le signal sympathique exerce deux actions régulatrices sur la prolifération des ostéoblastes, l'une négative par l'intermédiaire des gènes d'horloge, l'autre positive à travers des gènes qui restaient à identifier. »
L'équipe a établi que la leptine, via le sympathique, stimule effectivement la prolifération des ostéoblastes, en augmentant l'expression de la famille AP-1 des facteurs de transcription (dont c-fos), lesquels favorisent l'expression des mêmes régulateurs du cycle cellulaire (cycline D1) qui étaient inhibés par les gènes d'horloge.
Dernier point montré, l'horloge moléculaire exerce une fonction dominante sur la prolifération des ostéoblastes, et inhibe l'expression des gènes AP-1.
La leptine apparue durant l'évolution chez les vertébrés.
« Au total, et au terme de ces six ans de recherche, il est clair que la leptine régule la formation d'os par deux voies antagonistes, à l'instar du double mécanisme employé par la leptine pour réguler la résorption osseuse. »
« C'est la première fois qu'une fonction physiologique est démontrée pour l'horloge moléculaire », souligne le Pr Karsenty.
De plus, ajoute-t-il, ces éclaircissements moléculaires apportent un nouvel argument à l'appui de l'hypothèse selon laquelle le remodelage osseux est une fonction ancestrale de la leptine. « Les souris sans gène d'horloge sont minces et fertiles ». Ainsi les médiateurs de la régulation de la masse osseuse par la leptine n'interviennent pas dans les autres fonctions cardinales de la leptine, comme le contrôle de l'appétit et la reproduction. Cette spécificité d'action est d'autant plus surprenante que les gènes clock, les gènes AP-1 et le gène du récepteur bêta 2-adrénergique ne sont pas spécifiques des ostéoblastes.
« La spécificité d'action de ces médiateurs, la capacité de la leptine à réguler puissamment les deux aspects du remodelage osseux, joint au fait que la leptine est apparue durant l'évolution chez les vertébrés (donc en même temps que le remodelage osseux) souligne l'importance de la leptine pour la régulation de la masse osseuse et soulève la possibilité que cette régulation pourrait avoir été la fonction ancestrale de cette hormone », concluent les chercheurs.
« Cell » 9 septembre 2005, Karsenty, Loning et coll.
(1) Baylor College of Medicine, Houston, Texas.
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