Nous prenons tous soin de tous nos patients. Autant par humanisme qu’altruisme. Nous avons la même déontologie ; en cela je ne peux qu’approuver les Drs Bersay (« Priorité aux jeunes en réa ? Pas d'accord », Le Quotidien du 20/11) et Laurent (« N’oublions pas notre serment », Le Quotidien du 24/11. En exergue dans mon article ( «Confinement : une fausse solution », Le Quotidien du 13/11), une citation a attiré leur attention en les choquant profondément : « Oui, il est humain de privilégier les soins aux personnes plus jeunes et actives ». J’aurais aimé qu’ils lisent plus loin dans mon texte « dans la mesure du possible » Il n’y avait rien de systématique bien sûr. Le problème est que cette citation est lue sortie de son contexte, celui d’une crise sanitaire et sociale mondiale sans précédent depuis le Moyen-Âge.
Bien sûr, on ne peut normalement avoir à choisir l’accès en réanimation entre deux personnes. C’est un cauchemar que je ne souhaite à personne. Il est naturel aussi de tenir compte de nombreux paramètres afin d’évaluer si le patient bénéficiera d’un passage en soins intensifs. Il est normal de chercher à maintenir en vie dans les meilleures conditions possible. On est bien d’accord.
Nous parlons de pandémie. Nos réflexes de praticien au chevet d’un malade n’ont rien à voir avec la prise en charge globale de la lutte contre une pandémie comme le Covid-19. Prenons la métaphore belliqueuse du Président Macron : « nous sommes en guerre » Pour gagner une bataille, le général a besoin de jumelles, pas d’un microscope ! La situation de victimes en masse peut imposer parfois une forme de triage. C’est « douloureux mais nécessaire »
Le Dr Laurent n’aime pas ma référence à la grippe espagnole de 1919. Il est pourtant essentiel de connaître l’histoire pour comprendre le présent et prévoir l’avenir. L’histoire est un cycle éternel qui ne fait que se répéter. En étudiant ces périodes tragiques, on s’aperçoit que la médecine a fait d’immenses progrès, en même temps que la perception de la mort a considérablement changé. Vivre : oui « c’est une volonté très forte, très ancienne qui date de la nuit des temps » comme le note le Dr Bersay, tout simplement l’instinct de survie partagé par tous les êtres vivants. Ce n’est pas ce qui nous rend humains, nous avons en plus un néocortex, une raison, qui nous permet de déterminer notre vie. Vivre oui ! Mais dans quelles conditions ? Je discutais avec une patiente qui me dit, choquée par la prise en charge des personnes âgées lors de la crise du Covid : « On n’a plus le droit de mourir ! »
Le Dr Bersay m’accuse de vouloir « laisser mourir ces vieillards diminués » Belle déformation de mon message. Il est évident que tout patient requiert d’être dans le meilleur état possible. Je précise seulement qu’il n’est pas sensé de « sauver à tout prix » en Ephad ces patients en fin de vie. Le Dr Bersay doute qu’ils n’aient « plus de raison ni de goût de vivre. » En leur parlant depuis 25 ans, beaucoup se sont confiés à moi. Perdant peu à peu tout, leurs proches, leur autonomie, environ 50 % d’entre eux expriment leur souhait de mourir. Tous les médicaments du monde n’y changeront rien. Il est impossible de ne pas être ému par cette détresse.
Faillite, détresse, désespoir
La vie est notre bien le plus précieux mais il reste à savoir comment nous voulons gérer une pandémie sans détruire notre société, pour sauver la vie de nous tous. Il s’agit d’une pandémie, pas d’un fantasme de science fiction – selon le Dr Bersay « le film célèbre Soleil vert, où la fin de vie avait été fixée arbitrairement à 30 ans » – ni d’un fantasme totalitaire, selon le Dr Laurent, « Il y a eu des précédents dans l’histoire ! » En allant de confinement en confinement, les pays d’Occident, dont particulièrement la France, permettent à des personnes âgées de vivre quelques années de plus au prix de la déroute économique et sociale la plus massive et la plus destructrice depuis 1945.
Mon texte doit se lire comme une recherche de solution pour prévenir cette catastrophe sociale. Près de chez moi, trois jeunes se sont suicidés. Faillite. Désespoir. Il est faux de croire que le gouvernement va pouvoir tout payer comme si de rien n’était. Il est criminel de penser et faire croire que la société et l’économie sont des machines qui se remettent en marche spontanément après un confinement. Les traces, beaucoup plus douloureuses que prévu, sont avant tout morales. Surtout elles assurent la mainmise économique et à terme politique sur notre monde de pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde, qui ont su gérer la crise de manière beaucoup plus pragmatique et efficace.
Nous sommes médecins. Le serment d’Hippocrate nous engage à « promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ». Soigner l’homme est indissociable de la préservation de la société. Cela vaut bien quelques choix.
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