Fatigue, dyspnée mais aussi douleurs thoraciques ou encore troubles cognitifs… Avec le temps, de plus en plus de patients consultent pour des symptômes de Covid persistants. Alors que les causes de ces réminiscences restent mal connues, tout l’enjeu est de ne pas banaliser les plaintes des patients sans pour autant céder à la surenchère diagnostique et thérapeutique malgré l’incertitude. Pour aider les praticiens, la HAS vient de publier plusieurs « réponses rapides ».
Un an après le début de l’épidémie de Covid-19, force est de constater que chez certaines personnes, les symptômes jouent volontiers les prolongations. Alors que depuis le printemps, les témoignages de patients se multiplient sur les réseaux sociaux, la communauté médicale et les institutions prennent de plus en plus la mesure du problème. Début février, l’OMS a ainsi consacré tout un séminaire au « Covid long », tandis que la HAS vient de publier un avis qui balise le diagnostic et la prise en charge de ces symptômes prolongés du Covid-19.
De nombreux patients concernés
Il est vrai que le phénomène est loin d’être anecdotique. Selon des données anglaises, près de la moitié des patients présenterait encore au moins un symptôme 4 semaines après le début de l’infection aiguë, et plus de 10 % 6 mois après. Soit l’équivalent en France d’environ 300 000 patients. Dans une étude chinoise parue dans le Lancet en janvier, sur une cohorte de 1 700 patients hospitalisés pour Covid-19, les trois quarts présentaient encore à 6 mois au moins un symptôme, et près des deux tiers souffraient d’asthénie et de faiblesse musculaire.
En France, les données précises manquent encore. Une analyse de la cohorte française ComPaRe (plateforme collaborative de patients coordonnée par l’AP-HP) apporte un premier aperçu, répertoriant au moins 50 manifestations cliniques persistantes, chez des personnes n’ayant pas forcément été hospitalisées. Une seconde phase, en cours, devrait permettre d’obtenir une mesure valide et fiable de l’évolution du Covid long grâce à un questionnaire dédié. En soins primaires, l’étude Procoseco collige au long cours les symptômes post-Covid recueillis en médecine générale, par l’intermédiaire du site internet covidetmoi.fr (voir ci-contre). Pour sa part, l’étude nationale Cocolate, lancée en décembre par le centre hospitalier de Tourcoing, cherche à définir les profils à risque. Enfin, la métacohorte Pneumo-Covid-19, alimentée par la communauté des pneumologues français, fournira des données au long cours sur le devenir pulmonaire d’un éventail de patients Covid.
La HAS balise la prise en charge
En attendant, « définir le Covid long est comme s’aventurer en terre inconnue, résume le Dr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale (CMG). D’où l’initiative indispensable de la HAS pour aider les médecins à se repérer dans ces symptômes chroniques, de manière pragmatique, afin d’éviter une fuite en avant par la multiplication des examens complémentaires ou, à l’inverse, la banalisation de réels symptômes, parfois invalidants. »
S’il acte une reconnaissance officielle du problème, le travail de la HAS se veut surtout une aide pour les praticiens. « Les médecins de premier recours voient arriver dans leur cabinet des personnes qui ont des symptômes qui durent et qui les inquiètent. Face à ces symptômes prolongés encore mal connus, il n’est pas facile pour eux de savoir quoi faire et ils peuvent parfois se sentir un peu démunis, souligne le Pr Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS. C’est pour cela que, même si les données scientifiques sont encore limitées, nous venons de publier des réponses rapides pour les aider à identifier et à prendre en charge ces patients. »
Sur le terrain, le Covid long est en effet une réalité à laquelle les médecins de premier recours semblent de plus en plus confrontés. « Je constate une augmentation des consultations pour symptômes post-Covid, avec la persistance, la réapparition ou l’accentuation de certains signes », témoigne le Dr Yoann Gaboreau, médecin généraliste en Savoie et investigateur de l’étude Procoseco. « C’est surtout à l’occasion d’un autre motif de consultation que certains patients me font part d’un symptôme qu’ils attribuent au Covid-19 », rapporte pour sa part le Dr Jean-Philippe Joseph, généraliste à Bordeaux.
Des symptômes polymorphes et fluctuants
Globalement, les symptômes décrits « sont polymorphes, et peuvent évoluer de façon fluctuante sur plusieurs semaines ou plusieurs mois » résume le Dr Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques professionnelles à la HAS, mais l’évolution se fait en règle vers une amélioration à un rythme propre à chaque patient.
Parmi les plaintes les plus fréquentes, la HAS liste la fatigue, les troubles neurologiques (cognitifs, sensoriels, céphalées), les troubles cardio-thoraciques (douleurs et oppressions thoraciques, tachycardie, dyspnée, toux) et les troubles de l’odorat et du goût. Des douleurs, des troubles digestifs et cutanés sont également fréquents.
« Au sein de ma patientèle, explique Yoann Gaboreau, les personnes qui sont entravées dans leurs activités quotidiennes sont plutôt des femmes d’une quarantaine d’années, qui présentent une fatigue psychique, une sorte de “brouillard cérébral”, des difficultés de vocabulaire, de concentration, d’exécution de tâches, qui ont du mal à retrouver leur vitalité habituelle, à reprendre une activité professionnelle. Elles se sentent moins performantes sur les plans physique et psychique. »
Ces symptômes « peuvent survenir même chez des personnes ayant fait des formes peu sévères », précise Pierre Gabach. Et globalement, le profil des patients qui souffrent de Covid long ne se superpose pas à celui des sujets les plus à risque de formes graves. Ainsi, les adultes jeunes sont également touchés puisque selon l’OMS, 20 % des malades entre 18-34 ans en bonne santé avant la rencontre avec le virus seraient concernés.
Une prise en charge en soins primaires
Concernant la prise en charge, la majorité des patients peut être suivie en soins primaires, estime la HAS. De fait, « le généraliste est probablement le mieux placé pour recevoir ce type de plaintes, appuie le Dr Joseph, de par sa proximité avec son patient et son habitude à gérer les situations d’incertitude et les symptômes médicaux inexpliqués ».
Le caractère polysymptomatologique et fluctuant de ces manifestations cliniques « générant des interrogations et des inquiétudes pour les patients et les cliniciens », la HAS invite les médecins à faire preuve « d’écoute et d'empathie » envers leurs patients et à les rassurer quant aux possibilités de prise en charge et au caractère temporaire et réversible de leur situation. « À nous de faire du sur-mesure, insiste Paul Frappé, pour trouver le juste milieu pour ne pas être délétère, dans l’attitude du médecin comme dans la prise en charge biomédicale adéquate. »
En pratique, face à ce type de symptômes, « il faut éliminer une complication de la phase aiguë qui a pu passer inaperçue (telle une péricardite, une myocardite…) et une décompensation d’une maladie chronique (thyroïdite, diabète, BPCO…) », indique la HAS.
Sur le plan thérapeutique, les traitements actuels sont essentiellement symptomatiques. La HAS déconseille tous les régimes alimentaires d’éviction, les vitamines et suppléments en vente libre, « inutiles et potentiellement nocifs ». Par ailleurs « nous n’avons pas d’élément pour recommander des approches telles que l’acupuncture, l’auriculothérapie et l’ostéopathie, qui n’ont pas démontré leur efficacité dans ce contexte », ajoute le Dr Gabach. En revanche, « la rééducation du malade occupe une place centrale ». Selon les symptômes, il peut s’agir d’une rééducation respiratoire, d’une rééducation olfactive ou encore de réentraînement à l’effort.
En l’absence de contre-indications, la HAS appelle aussi à encourager les patients à garder des activités physiques, même modérées.
Le cas échéant, « l’exploration de troubles anxieux et dépressifs, de troubles fonctionnels et la proposition d'un soutien psychologique sont à envisager à toutes les étapes du suivi ».
Pour autant, « dans le covid, on ne pense pas être dans une situations majoritaire où les patients ont des troubles psychosomatiques, nuance le Pr Dominique Salmon-Ceron, présidente du groupe de travail à l'origine de l'avis de la HAS. Ils ont réellement des troubles mais ils sont parfois tellement effrayés par leurs symptômes que cela les paralyse et ils n'osent pas reprendre leur activité. Le risque alors est d'entraîner une pérennisation des troubles, une anxiété, etc. »
Actuellement, les causes de ces symptômes prolongés restent encore mal connues. Les femmes jeunes étant les plus représentées, la piste hormonale a été évoquée. Compte tenu d'une forte proportion de personnes allergiques parmi les patients concernés, l’hypothèse d'une origine dysimmunitaire a aussi été avancée. Mais pour l’heure, le « mystère du Covid long » pointé par l’OMS est encore loin d’être résolu.
Alors que certains patients plaident pour la création d’une ALD et qu’une résolution en faveur d’un parcours de soins adapté a été adoptée à l’Assemblée nationale le 17 février, certains experts s’interrogent encore sur la réalité de cette pathologie en tant qu’entité propre. Et pour le moment, la HAS préfère parler de symptômes prolongés plutôt que de Covid long…
Symptômes prolongés ou complications ?
Pour la HAS, on peut parler de symptômes prolongés du Covid-19 pour « les personnes ayant eu un Covid confirmé ou probable et qui présentent encore au moins un des symptômes initiaux 4 semaines après le début de la phase aiguë, sans qu’aucun de ces symptômes ne puisse être expliqué par un autre diagnostic ». L’instance insiste aussi sur la différence entre les complications et les conséquences des formes sévères du Covid-19 d’une part et les symptômes prolongés d'autre part .