Ils sont près de 11 000 aujourd’hui, dont 43% de généralistes, à continuer leur activité après la retraite. Et ce n’est pas fini. Les projections tablent sur 30 000 d’ici à 5 ans ! Ces panthères grises en blouses blanches sont-ils la solution à la crise de la démographie médicale ? Pas pour tout et pas partout... A l’issue de cette « Semaine bleue » qui braque les projecteurs sur les seniors, zoom sur ces aînés de la profession qui jouent encore les prolongations.
On aurait tort de les imaginer se la couler douce sur un bateau de croisière. Encore fringants, à 65, 70, 75 ans et parfois davantage, la plupart des médecins à la retraite n’ont aucune envie de raccrocher leur stéthoscope ! Et si, en 2013, le solde de la démographie médicale est positif c’est grâce à eux. Alors que les inscrits au tableau de l’Ordre diminuaient légèrement (-0,12 %), les retraités gagnaient des points (8 %). Au premier janvier 2013, on comptait 10 952 médecins retraités actifs dont 43 % de généralistes (voir infographie). Un score qui a été multiplié par quatre depuis 2007. Ce qui témoigne d’un phénomène relativement récent donc, mais qui n’est pas prêt de s’arrêter. L’escadron des retraités actifs devrait avoisiner, à l’horizon 2018, les 30 000 médecins !
Qui sont-ils ? Le portrait-robot a été établi. Il désigne un homme, jeune retraité de 68 ans en moyenne, exerçant trois fois sur quatre en libéral. Et la tendance ne concerne pas que les médecins. Une récente étude de l’Insee montre que la proportion des retraités sexagénaires qui occupent un emploi a doublé depuis 2006. Première explication : « L’assouplissement des conditions de cumul emploi retraite intervenues à partir de 2009 a favorisé cette évolution », souligne l’Institut. Depuis cette date, en effet, le cumul emploi retraite a été déplafonné. Parmi les « cumulards », les commerçants et les professions libérales sont sur-représentés.
Cependant, cet essor demeure fragile. La preuve : un amendement qui proposait le retour du plafond a été déposé dans le cadre du projet de loi de réforme des retraites actuellement en débat. Et s’il n’a pas été voté en première lecture, le couperet n’est pas passé loin.
Un statut pour les médecins retraités ?
Mais les médecins ne continuent pas à exercer seulement pour l’amour du métier. C’est ce que pointe Jean-Paul Hamon de la FMF. Alors que leur taux de remplacement est plus faible que chez les confrères salariés, les médecins retraités « veulent garder leurs revenus ». « La retraite moyenne des généralistes est de 3 000 euros brut par mois, estime le président de MG France Claude Leicher, ce qui ne correspond pas tout à fait à la moitié de leurs anciens revenus. » D’autant plus que, tout en ayant liquidé leurs droits, les médecins retraités continuent à cotiser… à fonds perdus ! Selon Michel Chassang, « ce serait normal qu’ils soient exonérés, notamment dans les zones démographiquement fragiles ». « Si les conditions étaient assouplies, bon nombre de médecins resteraient en activité pour prêter main-forte ! », parie-t-il. Le patron de la CSMF propose même d’étendre le fameux « contrat de génération » du gouvernement aux entreprises libérales « pour faciliter la transmission ».
En pointe sur la question, le SML réclame, depuis un certain temps, la création d’un « statut spécifique » au médecin retraité actif. Maurice Prudat est à la base de ce travail qui avait suscité, un temps, l’intérêt de Xavier Bertrand. Fin 2011, le ministre de la Santé d’alors avait promis d’encourager le dispositif par un statut de retraité actif aussi allégé en charges que celui des remplaçants. Des incitations financières qui n’ont pas été retenues par la nouvelle locataire de l’avenue de Ségur… « Même si elle avait dit qu’elle y prêterait attention, la proposition de Xavier Bertrand n’a pas été reprise par Marisol Touraine », déplore le Dr Prudat. Aujourd’hui, le généraliste de 72 ans, lui-même retraité actif, penche plus pour une « défiscalisation partielle ou totale en fonction du lieu d’exercice » que pour une baisse des charges qui aurait, selon lui, comme effet secondaire d’augmenter l’impôt sur le revenu.
Une solution, mais pas forcément « la » solution
Pour autant, peut-on présager un lendemain plus serein pour les déserts médicaux ? Pas si sûr vu que les médecins retraités n’exercent pas forcément dans les zones sous-dotées. L’Ile-de-France et la région PACA polarisent à elles seules un tiers des effectifs. En outre, pour la plupart, les médecins retraités restent sur leurs terres d’origine. « Par définition, la désertification ne peut pas être traitée en demandant aux gens de rester là où ils sont déjà », fait remarquer Claude Leicher pour qui la priorité est de « favoriser l’installation de nouveaux médecins ». Reste que les retraités actifs pourraient assurer un passage de relais en douceur. « On a besoin d’eux, dans une période de démographie médicale déclinante » assure le responsable du dossier à l’Ordre des médecins Jean-François Rault. « On ne peut pas dire que ce soit la solution à la désertification médicale. C’est une des solutions », argue-t-il.
On a donc besoin des séniors, mais il ne faut sans doute pas en attendre des miracles. La preuve : malgré un engouement pour une prolongation de l’activité, les secteurs déficitaires restent, en effet, les mêmes : certaines spécialités et, surtout, les généralistes. Ces derniers « font moins de cumul que d’autres spécialités », assure Claude Leicher. Et, quand c’est le cas, les généralistes retraités actifs n’enchaînent pas forcément les consultations. Pour la plupart, ils réduisent leur activité ou « font plutôt de la régulation, de l’expertise, des remplacements », assure-t-il. Pour Maurice Prudat, les statistiques des généralistes retraités actifs sont d’ailleurs « artificiellement gonflées » par les phlébologues, allergologues, acupuncteurs et autres médecins à exercice particulier (MEP). En outre, « depuis dix ou quinze ans, raconte-t-il, les médecins généralistes ont commencé à diversifier les sources de revenus. Or quand ils prennent leur retraite, c’est souvent leur deuxième activité qui prend le dessus ».
Dynamiques et passionnés...
Nombreux sont ceux qui choisissent un exercice salarié en EHPAD ou dans la fonction territoriale. Comme, par exemple, le Dr Denys Chayette qui, retraité depuis 2008, a aussitôt repris une activité salariée au Conseil général de l’Indre où il s’occupe désormais de médecine préventive. D’autres sont élus locaux, comme le Dr Gilles Assi, vice-président de la communauté urbaine de Lyon, engagé dans l’environnement. Ou le Dr Roland Bindel, maire de sa commune, Loiron, dans la Mayenne, où il a d’ailleurs mis à profit son mandat pour mettre sur pied une nouvelle maison de santé. Dans la Sarthe voisine, le Dr Gilles Brunot a laissé son cabinet à son ancienne remplaçante pour laquelle, au retour de son séjour aux Etats-Unis, il commencera à faire des remplacements.
Enfin, il y a aussi ceux qui, passionnés par la transmission du savoir comme le Pr Rissane Ourabah, enseignent à l’université, tout en gardant un pied au cabinet. Tout ça témoigne du dynamisme des médecins seniors, mais ne fait pas une relève en soi...