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Dossier

Formation et recherche

Dans les coulisses d’une jeune maison de santé universitaire

Par Camille Roux - Publié le 06/12/2019
Dans les coulisses d’une jeune maison de santé universitaire

MSU
Camille Roux

Depuis 2017, les maisons et centres de santé peuvent prétendre à une labellisation universitaire. Ce contrat tripartite entre l’ARS, la faculté et les professionnels de santé permet d’y développer la formation et la recherche en médecine générale pour faire de ces structures des modèles d’innovation en soins primaires. Reportage dans l’une d’elles, à Revigny-sur-Ornain (Meuse), devenue  la mois dernier maison de santé pluriprofessionnelle universitaire (MSPU).

À Revigny-sur-Ornain (Meuse), certains patients la surnomment avec malice « l’hôpital Bouchy ». La maison de santé pluridisciplinaire universitaire (MSPU) de ce village de 2 700 habitants, portée par le Pr Olivier Bouchy, généraliste enseignant, est, il est vrai, un modèle de dynamisme sur le territoire. En témoigne le bal incessant des voitures sur le parking situé au cœur du village, entre l’école élémentaire et le collège, et l’ambiance chaleureuse qui règne dans ces couloirs. Située à 15 kilomètres de Bar-le-Duc, au cœur du pays Barrois, la structure a obtenu en novembre le label universitaire. « Une reconnaissance de la maturité de cette maison de santé » créée en 2010, selon le Pr Bouchy. Depuis un an, le généraliste, par ailleurs professeur associé de médecine générale à la faculté de Nancy, a travaillé sur ce projet avec le Dr Alexandre Didelot, chef de clinique et médecin collaborateur au sein de la structure. Leur présence est l’un des critères pour obtenir la qualification universitaire (voir encadré p. 11). Cinq généralistes sur les sept omnipraticiens de la MSPU sont par ailleurs maîtres de stage, des étudiants de 2nd et de 3e cycles y sont régulièrement accueillis en formation. 

Fer de lance des innovations 

Ce label universitaire n’est pas anecdotique. Il va permettre à la maison de santé « d’être le fer de lance d’innovations dans les soins », estime le Pr Bouchy. Création d’une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) l’an dernier, recrutement de deux assistants médicaux en cours, développement de la télémédecine… Déjà beaucoup d’initiatives sont menées au sein de la MSPU pour améliorer l’organisation des soins dans ce territoire rural meusien. Quarante-deux professionnels, dont sept généralistes, font tourner la machine. Placée en zone prioritaire depuis 2018, la maison de santé de Revigny-sur-Ornain rayonne sur 16 communes, soit un bassin de vie de quelque 7 400 âmes. Le département se situe en dessous de la moyenne en termes de démographie de généralistes, avec 113 omnipraticiens pour 100 000 habitants, contre 126 au niveau national, selon les données 2018 de l’Ordre des médecins. « Grâce aux initiatives du Pr Bouchy, le cabinet a réussi à ne pas devenir un désert médical », salue Marie-France Benois, retraitée et patiente de longue date de la MSPU. Selon elle, la coordination entre les différents professionnels « assure un suivi qui n’existe pas forcément dans d’autres cabinets. Je l’ai notamment perçu lorsque mon époux était en fin de vie », confie-t-elle avec émotion. Le patient est en effet au centre de l’attention de la structure et des réunions de concertation pluriprofessionnelles (RCP) se tiennent tous les 15 jours autour des cas complexes.

Coordonner le travail et les actions pluriprofessionnelles de la maison de santé de Revigny est « indispensable » à la survie d’une telle structure, d’après le Pr Bouchy, par ailleurs président de la CPTS locale. Mais cela demande du temps. Sylvie, l’une des secrétaires médicales, occupe ainsi une fonction de coordination interne à raison de 15 heures par semaine. La maison de santé fait également appel à un coordinateur extérieur et le Dr Didelot s’occupe pour sa part de la gestion des travaux de recherche. La labellisation universitaire a permis aux équipes du Pr Bouchy d’obtenir de l’ARS une subvention de 8 500 euros par an, afin de rémunérer notamment les professionnels sur leur temps de réunion et les fonctions de coordination.

L’hôpital n’a plus le monopole de la formation

La formation est également dans l’ADN des MSPU. Le label universitaire va permettre de développer l’accueil d’étudiants en cabinet, ici en lien avec le département de médecine générale de Nancy. Dans l’espoir de renouveler à terme le pool de généralistes du territoire. « Beaucoup d’internes sont passés ici et un certain nombre se sont ensuite installés en Meuse, ou en rural dans les départements voisins », assure le Pr Bouchy. Le directeur du département de médecine générale de Nancy, le Pr Paolo Di Patrizio, ajoute que « permettre à des jeunes de découvrir des lieux de stage labellisés par l’université sur le terrain est le gage d’une formation innovante ». L’une des internes SASPAS actuellement en formation à Revigny-sur-Ornain, Ségolène Laminette, confirme que « la formation est de qualité ici », même si elle n’a personnellement pas encore tranché entre une installation en libéral ou un exercice hospitalier.

Une maison des internes, proposant plusieurs logements pendant les stages, est par ailleurs en projet à Bar-le-Duc, sous l’impulsion du Dr Alexandre Didelot. « Nous proposons déjà un logement à 5 km de Revigny pouvant accueillir jusqu’à trois internes, mais l’idée serait de réunir les internes ambulatoires et ceux qui sont à l’hôpital de proximité de Bar-le-Duc dans un lieu convivial et attractif », explique le chef de clinique. 

Intégration d’infirmiers en pratique avancée

La formation au sein de la MPSU ne se cantonne pas à la médecine générale. De nombreux étudiants en soins infirmiers – et bientôt en kiné – effectuent leur stage ici. L’un des infirmiers Asalee vient également de reprendre en septembre dernier une formation de deux ans en master de pratique avancée. « Il y a ici une réelle dynamique de formation et la possibilité d’élaborer des projets avec les médecins. Je n’ai pas eu de mal à convaincre les praticiens d’intégrer des infirmiers en pratique avancée (IPA) », confie Ludovic Henin. En parallèle de sa formation IPA à Nancy, ce dernier poursuit son activité d’infirmier Asalee à Revigny. Le Pr Bouchy accueillera également une future IPA en stage de fin de master début 2020 et espère pouvoir s’appuyer bientôt sur des IPA en psychiatrie comme le prévoit le gouvernement.

Des étudiants en santé réalisant un service sanitaire réalisent également des actions de prévention dans le cadre du programme « Éducation santé famille » de la MSPU. « Le but est de renforcer les connaissances des familles sur leur santé afin notamment d’éviter que des patients se retrouvent aux urgences », explique Daniel Kennel, l’un des cinq pharmaciens de la structure en charge de ce projet, qui développe par ailleurs un programme de "conciliation médicamenteuse" avec les généralistes. Des moments de formation à l’exercice coordonné sont aussi organisés. Les internes de médecine générale sont amenés, durant leurs stages, à découvrir le temps d’une journée le travail d’autres professionnels : pharmaciens, kinés, infirmiers, HAD, médecine scolaire… « Développer l’interprofessionnalité est l’un de nos objectifs et c’est également l’un de nos sujets de recherche », précise le Pr Olivier Bouchy.

Téléconsultations spécialisées et supervision vidéo des internes

Le développement de la recherche en soins primaires est, avec la formation, l’autre grand enjeu de la maison de santé universitaire. À Revigny-sur-Ornain, un programme de recherche sur la télémédecine, en lien avec la faculté de médecine de Nancy et l’hôpital virtuel de Lorraine, est à l’étude pour permettre de développer des protocoles de téléconsultation avec des spécialistes parfois éloignés géographiquement. « Les maisons de santé universitaires nous ouvrent des lieux d’investigation avec un énorme potentiel pour faire de la recherche au plus près des patients », souligne le Pr Di Patrizio. La MSPU de Revigny sera également le lieu de projets pédagogiques innovants mis en place par le Dr Didelot. « Nous avons un projet de supervision vidéo pour les internes. L’idée est de filmer l’entretien interne-patient afin de pouvoir par la suite l’analyser », explique le généraliste. Prochainement, la MSPU accueillera quelques heures par semaine un attaché de recherche clinique (ARC), mis à disposition par la faculté de Nancy pour développer les investigations au plus près des patients de la structure.

Si leur nombre n’a pas encore été officiellement recensé par le ministère de la Santé au niveau national, peu de MSPU ont obtenu le label universitaire depuis la parution des textes en octobre 2017. Le Généraliste en a recensé une vingtaine. – le Syndicat national des enseignants de médecine générale (Snemg), détenteur de cette information, n’a pas voulu nous la communiquer. En plus de celle de Revigny-sur-Ornain, trois autres MSP du Grand Est ont obtenu la labellisation à l’automne, ce qui en fait une des régions les plus en pointe.

« Les effectifs de la filière universitaire de médecine générale sont le frein principal. Il n’y a pas assez d’enseignants ni de chefs de clinique », déplore le Dr Didelot. Selon les derniers chiffres du Snemg, au 1er janvier 2019, la filière universitaire comptait un enseignant de médecine générale pour 80 étudiants, loin du ratio de certaines autres spécialités, estimé à un pour dix. L’avenir des MSPU dépend donc d’avantage de l’évolution des recrutements que de la réelle volonté des professionnels d’innover dans la formation et la recherche en médecine générale, comme c’est le cas depuis de nombreuses années à Revigny-sur-Ornain.

Les critères pour obtenir le label universitaire

L’arrêté du 18 octobre 2017 fixe les modalités de fonctionnement, d’organisation et d’évaluation des centres de santé ou maisons de santé pluriprofessionnelles qui souhaitent obtenir la qualité universitaire. Ces structures doivent répondre aux critères suivants :

Prérequis administratifs : S’il s’agit d’un centre de santé, celui-ci doit avoir déposé son projet de santé et son règlement intérieur auprès de l’ARS et avoir signé l’accord national relatif à ces établissements. S’il s’agit d’une maison de santé pluriprofessionnelle, celle-ci doit d’ores et déjà toucher les rémunérations prévues de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Par ailleurs, la MSP doit avoir reçu l’avis favorable du directeur de l’UFR et du département de médecine générale de la faculté. 

Formation : La majorité des praticiens exerçant doivent être maîtres de stage. La MSP ou le CDS doit accueillir au moins un étudiant de 2e cycle et deux étudiants de 3e cycle de manière régulière. La structure doit également accueillir ou envisager d’intégrer d’autres professionnels en formation, comme des infirmiers par exemple. Les MSPU ou CDSU doivent compter au sein de leur équipe au moins un enseignant titulaire ou associé universitaire et un chef de clinique ou ancien chef de clinique de médecine générale.  

Recherche en soins primaires : une structure souhaitant obtenir la qualification doit inciter les médecins à adhérer à un réseau national universitaire d’investigateurs en soins primaires s’il existe. Elle doit également mettre en œuvre un recueil structuré d’informations médicales permettant une analyse des données produites, formaliser un programme de participation à des travaux de recherche liés à l’activité de la MSPU ou avec l’UFR de médecine. Enfin, les professionnels ont le devoir de participer à des revues bibliographiques et à des analyses d’articles. 

Au bout de 5 ans, l’université et l’ARS évaluent les actions d’enseignement et de recherche menées. Le résultat de cette évaluation ainsi que l’avis favorable du DMG et du directeur de l’UFR conditionnent le renouvellement de la qualification universitaire de la MSP ou du CDS.

Dossier réalisé par Camille Roux