Dr Claude Virot : « L’hypnose a un effet régulateur sur le monde intérieur du patient »

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Publié le 03/06/2022
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Psychiatre à Rennes, le Dr Claude Virot a toujours pratiqué l’hypnose ericksonienne, qui s’est répandue, depuis son arrivée, en France et dans d’autres pays. L’hypnose classique, celle de Charcot, est toujours enseignée à l’Institut français d’hypnose mais peu utilisée à l’heure actuelle.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Dans votre livre*, vous racontez que l’hypnose à orientation médicale et thérapeutique est née à l’époque de la révolution française !

Dr CLAUDE VIROT : À l’époque où de nombreuses personnes étaient un peu occultistes, Franz Anton Mesmer, médecin allemand installé en Autriche, prétendait pouvoir soigner des gens à distance sans contact direct. Mais c’était en totale opposition avec toutes les logiques matérialistes au sein des sociétés viennoises. En réaction, il a commencé alors à prétendre qu’il existait un support matériel : un fluide animal qu’il était capable de capter.    

Après avoir été mis à l’écart à Vienne, Mesmer est venu à Paris, où la tendance chez les philosophes des Lumières était une ouverture aux idées et aux expériences nouvelles. Deux enquêtes ont été diligentées par ce qu’on appellerait aujourd’hui le ministère de la Santé sous l’autorité du roi. Ce fameux fluide n’a pas été trouvé, il a été qualifié de foutaise et de charlatanisme. Mais les scientifiques ont pu vérifier que beaucoup de gens étaient guéris et ont émis dans leur rapport officiel la théorie de l’imagination, une porte ouverte sur un nouveau monde.    
Par la suite, on a fini par penser que l’imagination constituait une dimension naturelle de tout être humain et qu’en l’activant, on pouvait aller mieux et même guérir. Celle-ci va petit à petit devenir l’inconscient et de nombreuses théories vont être élaborées tout au long du XIXe siècle. Puis à partir de 1900, plus rien, avec un retour aux modèles purement matérialistes de la médecine, Pasteur passant par là. Entre-temps, Charcot s’est intéressé à l’hypnose pendant une vingtaine d’années, ce qui a donné de l’essor à cette branche. Il a voulu élaborer une théorie neurologique de l’hypnose, mais en vain.

Puis l’hypnose, qui avait disparu en Europe, s’est timidement installée aux États-Unis au XXe siècle, notamment par le biais d’un psychologue, Clark Hull, dont Milton H. Erickson était l’élève. À l’époque, tout le monde était soigné de la même manière, une hypnose directive, aujourd’hui appelée hypnose classique. Cela n’a pas du tout plu à Erickson, il pensait au contraire qu’il fallait s’adapter à chacun. C’est de cette manière qu’il a emprunté un chemin original et très controversé, avant de finir en pleine gloire.

Vous dites que lors de la première consultation, il ne faut pas faire d’hypnose ?

Avant de faire un acte majeur de soin, on fait d’abord une évaluation, une espèce de check-up pour mieux connaître le patient, la raison de sa venue, qui il est. Ensuite, je décide en voyant les gens si j’aurai on non recours à l’hypnose. Une première rencontre est très thérapeutique et des changements peuvent se produire. Très régulièrement, je vois lors d’une première séance des patients souffrant de douleurs éparses, de troubles du sommeil, d’anxiété et qui reviennent en me disant : « C’est bizarre, ça va mieux ». Je leur explique alors que ce n’est pas la peine d’avoir recours à l’hypnose s’ils continuent à aller suffisamment bien. Si leur état évolue favorablement, je ne les vois plus.

Il existe beaucoup de techniques lors d’une première rencontre ; c’est la séance la plus complexe de toutes. Certaines personnes vont déjà mieux avant même de commencer, car elles se sont mises en route vers un processus évolutif.

Vous insistez beaucoup sur la respiration et la communication…

C’est un processus corporel très important. Il existe de nombreuses personnes à qui il suffit d’apprendre à respirer pour qu’elles aillent bien. C’est d’ailleurs étonnant comme il faut peu de choses parfois pour soulager. Je vais vous raconter une histoire récente. Une dame vient me voir, elle a des douleurs dans le mollet droit. J’ai utilisé la technique de thérapie brève en lui demandant de faire des choses un peu bizarres. Je lui ai demandé de trouver chez elle une grande chaussette qu’elle mettrait tous les soirs sur sa jambe gauche, et tous les soirs de placer deux pièces de monnaie sous la chaussette à chaque fois à des endroits différents. Elle l’a fait pendant 15 jours. « Au début, m’a-t-elle expliqué, ça m’embêtait, mais n’empêche que depuis 10 jours, je ne souffre plus ». Je lui ai dit : « Vous allez bien, rentrez chez vous ».

Les mots sont très importants, c’est tout le cœur d’une première rencontre et de toutes les formations. Cela s’appelle la communication thérapeutique. Des mots comme douleur, peur, tristesse fabriquent de la douleur, de la peur ou de la tristesse. Effectivement, plus vous parlez de douleur, plus vous avez mal. Que fait-on dans les hôpitaux ? On ne parle que de douleur tout le temps, on l’évalue à longueur de journée. La médecine classique en est peu consciente…

A-t-on observé le cerveau avant et après une séance ?

Beaucoup d’études extrêmement importantes sur le sujet ont été réalisées entre 1997 et 2000. Le cerveau ne fonctionne pas de la même façon lors d’une séance ou dans un état de conscience ordinaire. Les images montrent des zones du cerveau plus actives et d’autres moins. Cela a permis de valider le fait que l’hypnose a un impact, mais les connaissances sur la conscience restent très parcellaires aujourd’hui.

Pourriez-vous décrire une séance ?

Nombre de personnes pensent que toutes les séances se ressemblent, mais il existe plein de formes différentes d’hypnose. Quand je reçois un patient, j’ai un catalogue de 20 ou 25 techniques. Mais voici la technique classique, celle que l’on enseigne : je demande au patient d’imaginer mentalement un endroit où il se sent bien, comme être au bord de la mer. Je vais employer cette technique avec un patient qui m’affirme ne pas être bien, qui est anxieux, tendu, enfermé dans ce malaise. Il peut aussi me dire quelque chose qu’il aime faire, du vélo, du ski, de la cuisine. Il va aussi me décrire la météo, les gens avec qui il aimerait être. Je vais recueillir ses propos, on appelle cela recueillir un thème. Je vais l’aider à se dépasser mentalement, à emporter sa conscience ailleurs. Cet effet-là, quand on arrive à l’imaginer suffisamment fort et pendant un certain temps, a un effet régulateur sur tout le monde intérieur du patient.

Et avec les patients qui prennent des médicaments, notamment des neuroleptiques, peut-on agir efficacement ?

On peut très bien travailler avec des patients psychotiques, mais il faut être un expert de la psychose, au moins psychologue ou psychiatre. Les neuroleptiques sont faits pour figer la conscience et apaiser, alors que l’hypnose est faite pour faire bouger la conscience. Donc des effets antinomiques… Maintenant, je vois des jeunes qui ont des troubles psychologiques récents et, avec eux, on va pouvoir éviter des aggravations de psychose. Avec en plus des psychiatres et des institutions qui contrôlent leur état. On peut aider à peu près tout type de patient, car chacun a en lui des capacités pour trouver des solutions. Changer sa manière de voir la vie, de modifier ses sensations corporelles, ses émotions.

À mes débuts, je prescrivais des médicaments. Soit je ne faisais que cela, soit je ne n’utilisais que la psychothérapie. S’il m’arrivait à la fois de donner des médicaments et d’avoir recours à l’hypnose, cela ne marchait pas vraiment, donc j’ai arrêté les médicaments au bout de 10 ans.
La plupart des échecs de l’hypnose dans la dépression viennent des limites du thérapeute à comprendre, à aider. Il existe pratiquement autant de dépressions que de patients et, au début, on arrive à soigner des dépressions relatives et légères, mais c’est plus compliqué pour les pathologies complexes. L’expérience est nécessaire pour entrer suffisamment en résonance et synchronisation avec le patient. Il faut arriver soi-même à se modifier intérieurement. Même principe avec les enfants dont la conscience fonctionne différemment.

Pour le nombre et le délai entre les séances, il n’existe pas vraiment de règles, mais l’écart entre deux séances dépasse rarement un mois… Les personnes aux cas très compliqués peuvent évoluer très vite alors qu’au contraire des patients aux troubles moins importants vont curieusement demander plus de travail.

Et l’hypnose lors d’opérations ?

Quand j’ai découvert cette possibilité, cela m’a fasciné et me fascine encore. Il existe de sacrées compétences dans la nature humaine, mais pour s’en servir, il faut être aidé. Donc les anesthésistes et le personnel se forment avec toute une technique relationnelle. Même s’il n’y a pas forcément d’hypnose durant l’opération, une séance faite juste avant va permettre aux patients d’être plus paisibles avant l’anesthésie générale. Avec un réveil plus serein et plus confortable…

La profession n’est pas réglementée…

Il faut faire attention car n’importe qui peut se proclamer hypnothérapeute. Or, une étude a révélé que 90 % des gens ne savent pas faire la différence entre un professionnel de santé et quelqu’un qui n’a pas de compétence autre que d’avoir fait une formation en hypnose. La reconnaissance par l’Organisation mondiale de la santé a été arrêtée à cause du Covid, mais des processus sont en cours. Un annuaire spécifique « L’hypnose santé » oriente vers des professionnels qui ont de solides bagages.

*Hypnose et auto-hypnose, éditions Robert Laffont, 2021

Propos recueillis par Agnès Figueras-Lenattier

Source : Le Quotidien du médecin