Les critères sur lesquels est fait le diagnostic de MA aujourd’hui sont encore peu spécifiques. Trop souvent, le diagnostic est posé au stade de démence avérée alors que les lésions neurologiques débutent tôt dans la vie, sans symptômes pendant des années avant l’apparition de la démence. Si ce diagnostic de MA peut maintenant être fait précocement ainsi que le diagnostic différentiel possible avec d’autres causes dégénératives ou vasculaires, il est, en réalité, encore peu posé formellement : 30-50 % des cas sont reconnus et documentés, avec un délai de deux-trois ans (cinq ans chez les jeunes) après les premiers symptômes et avec un MMS moyen au moment du diagnostic de 19/30. Un diagnostic plus précoce permettrait de mieux prendre en charge patients et aidants, et de favoriser la recherche.
DÉFINITION D’UNE MALADIE D’ALZHEIMER PRODROMALE
♦ Déficit cognitif, le plus souvent de la mémoire épisodique
♦ Avec au moins un des examens complémentaires en faveur de MA :
– imagerie morphologique,
– ou fonctionnelle,
– ou biomarqueurs du LCR
♦ En l’absence de perte d’autonomie dans les actes essentiels de la vie quotidienne (1).
Les 3 lésions de l'alzheimer
Pour rappel, la maladie d’Alzheimer est définie par trois lésions majeures :
la perte neuronale, l’accumulation de peptides bêta-amyloïdes (qui forment les plaques amyloïdes), l’agrégation des protéines tau, qui engendrent une dégénérescence neurofibrillaire.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Environ 900 000 personnes vivent aujourd’hui avec la maladie d’Alzheimer ou une pathologie dite apparentée (2). À leurs côtés, plus de deux millions de proches aidants. On dénombre 225 000 nouveaux cas par an en France. Un Français sur quatre de plus de 65 ans sera touché par la maladie en 2020. Si la tendance ne s’inverse pas, près de 1 300 000 personnes devraient être atteintes en 2020 et 2 100 000 en 2 040 (3). La MA constituera « la grande cause sanitaire du XXIe siècle » dans les pays industrialisés.
Près d'un tiers des cas concerne des personnes de moins de 79 ans ; avant 65 ans, la MA est rare (environ 20 000 cas/an dont près de 5 000 de moins de 60 ans) et difficile à diagnostiquer.
POURQUOI DÉPISTER PRÉCOCEMENT UNE MA ?
On sait que consulter dès les premiers symptômes est primordial. « Plus on diagnostique tôt, plus on a de chances de casser l’évolution naturelle de la maladie ».
► Des freins au dépistage précoce sont invoqués :
– l’absence de traitement curatif,
– la peur de l’annonce du diagnostic et de ses conséquences,
– la croyance que celle-ci accroît la détresse des patients et de leur entourage,
– le manque de connaissances sur la maladie et ses premiers symptômes.
La MA fait peur, évoque la perte de soi, la mort sociale… Il s’ensuit un diagnostic de la maladie souvent tardif, une personne sur deux ignore qu’elle est atteinte et ne l’apprendra qu’à un stade avancé. Ce retard a des conséquences dramatiques pour les patients et leur entourage.
► Dans un grand nombre de cas, le bilan de la plainte permet de rassurer, et parfois de traiter une cause curable. « Toute plainte cognitive n’est pas un trouble cognitif, lequel n'est pas forcément une maladie d’Alzheimer » rappelle Florence Pasquier.
Établir rapidement le diagnostic permet de déterminer l’origine de troubles mnésiques qui n’ont parfois rien à voir avec la survenue d’une MA.
Une multitude de pathologies peuvent conduire à des problèmes cognitifs (hypothyroïdie, alcoolisme, dépression, apnées du sommeil, infection au VIH, etc.) qui relèvent de prises en charge spécifiques.
► L’incertitude est difficile à vivre. Les personnes souffrant de MA ont le droit de connaître leur diagnostic en toute dignité. « Une personne qui se plaint de sa mémoire, dit avoir l’impression que son cerveau ne fonctionne pas comme avant a besoin de comprendre ce qui lui arrive », insiste le Pr Pasquier. « On ne doit pas refuser un diagnostic à quelqu'un qui s’interroge, on ne le ferait jamais pour d’autres maladies, parfois plus terribles et à échéance plus rapide, et c’est d’autant plus justifié que ces patients vont avoir à un moment plus de mal à raisonner et comprendre ce qui leur arrive. » Mais il faut connaître la personne, prendre le temps et lui faire préciser ses représentations de la maladie. L’annonce du diagnostic est évidemment douloureuse, mais elle n’aggrave pas les symptômes dépressifs et diminuerait l’anxiété (4). Il ne faut pas confondre douleur morale à l’annonce de la mauvaise nouvelle et dépression.
► Il faut savoir que plus de 90 % des personnes interrogées voudraient connaître leur diagnostic si elles souffraient de MA, tout comme la grande majorité des personnes consultant pour un trouble cognitif léger et les aidants pour eux-mêmes et 80 % même s’il n’y a aucun traitement (5, 6, 7).
► L’annonce du diagnostic, individualisée, sans stigmatiser la personne en la réduisant à la “maladie d’Alzheimer”, implique d’apporter des informations sur la maladie, et de dédramatiser : « La MA d’aujourd’hui n’est plus celle des années passées, et si on n’a pas actuellement de traitement médicamenteux qui stoppe la maladie, il existe des prises en charge appropriées et la perspective de thérapies efficaces dans les années à venir. Certes, la nouvelle n'est pas bonne, mais le pronostic n’est plus le même. Nous devons avoir une perception différente de la maladie ; on peut vivre mieux et longtemps avec une MA. »
► Le diagnostic précoce donne à la personne l’opportunité de s’ajuster et de participer activement à la planification de son avenir : retraite, finances, sécurité, lieu de vie… à un moment où elle est à un stade paucisymptomatique lui permettant d’être acteur de sa maladie, ce qui ne serait plus réalisable au stade d’anosognosie. Elle peut ainsi obtenir des conseils pratiques et des soutiens en temps opportun. C'est seulement une fois le diagnostic posé qu’une prise en charge peut être instaurée pour améliorer la capacité cognitive. L’objectif est de préserver la qualité de vie avec le plus haut degré possible d’autonomie et le meilleur confort de vie possible pour lui et ses proches (8, 9, 10, 12).
► L’information de l’entourage est tout aussi importante et les aide à comprendre que leur parent « ne fait pas exprès » d’oublier ou d’avoir un comportement inhabituel. Cela leur permet également de contacter une association et d’anticiper certaines situations – ce qui est toujours mieux que d’y faire face sans préparation (11).
PERSPECTIVES
Des essais thérapeutiques sont en cours au stade précoce de la maladie. « C'est le grand enjeu du dépistage précoce, explique le Pr Florence Pasquier. Nous aurons les résultats dans quelques années, et espérerons que des molécules très prometteuses fassent la preuve de leur efficacité, ce qui changera nos façons de procéder ».
L’immunothérapie est déjà expérimentée mais chez les apparentés dans des familles avec une mutation génétique, ces cas sont rares.
COMMENT DIAGNOSTIQUER PRÉCOCEMENT UNE MA ?
Toute plainte mnésique justifie d’être prise en compte. Une exploration doit être proposée aux personnes se plaignant de ressentir une modification récente de leur cognition et à celles dont l’entourage remarque l’apparition de troubles cognitifs ou d’un changement psychocomportemental non expliqué. « Le diagnostic de maladie d’Alzheimer ne se fait qu’après élimination des autres hypothèses. »
Un ou des tests cognitifs pour explorer le trouble mnésique
Des tests neuropsychologiques permettent la recherche d’un syndrome amnésique. Le Pr Pasquier recommande : « Le test le plus sensible pour les stades précoces de la maladie est le MoCA (Montreal cognitive assessment) conçu pour l’évaluation des dysfonctions cognitives légères. Le temps d’exécution est de 10 à 15 minutes approximativement. Le nombre de points maximum est de 30, un score inférieur à 26 et plus est pathologique ». Ce test de la mémoire incidente est réalisé lors d’une consultation dédiée (cotation spécifique ALQP003 : 69,12 euros), de manière fluide, sans demander d’efforts particuliers. « Tout patient se plaignant de sa mémoire et obtenant 30 au MOCA peut être rassuré ». En cas de mise en évidence de troubles cognitifs mêmes légers, « attention, ne pas insister sur les difficultés du patient mais plutôt valoriser ce qui fonctionne. » Il est nécessaire de proposer la réalisation d’examens complémentaires.
Une IRM cérébrale
Une imagerie cérébrale morphologique avec des temps T1, T2, T3 FLAIR et des coupes coronales pour mettre en évidence une atrophie hippocampique caractéristique de la MA, une hémosidérose et une pathologie amyloïde est recommandée pour tout trouble cognitif avéré de découverte récente. L’IRM permet aussi d’éliminer d’autres pathologies organiques (processus expansif ou occupant intracrânien, hydrocéphalie à pression normale, séquelle d’AVC, etc.) qui pourraient être révélées par des troubles de la mémoire et surtout d’apprécier les lésions vasculaires associées.
► L’IRM peut être normale au stade précoce de la maladie, dans ce cas la décision d’investigations supcomplémentaires relève des centres experts : analyse du LCR pour rechercher les marqueurs physiopathologiques dont les anomalies sont précoces (diminution de la concentration du peptide β amyloïde, augmentation des concentrations en protéine tau et phosphotau) avec une sensibilité et une spécificité > 80 % et/ou imagerie fonctionnelle SPECT et PET-FDG, marqueurs de dysfonctionnement neuronal, pour mettre en évidence une hypoperfusion du cortex pariétal associatif ou un hypométabolisme. Ces examens permettent d’affiner le diagnostic et d’éliminer d’autres pathologies (démence fronto-temporale ou à corps de Lewy, etc.) (13).
Un bilan biologique
Il est toujours nécessaire pour éliminer une autre origine au trouble mnésique : TSH, NFS, CRP, ionogramme sanguin, calcémie, glycémie, albuminémie, clairance de la créatinine. Un dosage de vitamine B12, folates, bilan hépatique, une sérologie syphilitique, VIH ou de la maladie de Lyme sont prescrits en fonction du contexte clinique.
Une évaluation neuropsychologique
Un complément d’investigation comprenant une évaluation neuropsychologique détaillée et explorant tous les domaines de la cognition au mieux dans un Centre de la mémoire ressources et recherche. L’avis spécialisé est nécessaire pour avoir une confirmation.
PRISE EN CHARGE DES PATIENTS AU STADE PRODROMAL
L’annonce de la maladie engage. Diagnostiquer à un stade précoce une MA ne se conçoit que dans le cadre d’un plan de soins et d’aides.
Les patients qui présentent des troubles cognitifs légers justifient d’un suivi régulier (tous les 6 à 12 mois), à expliciter comme tel au patient, puisque les interventions thérapeutiques précoces sont susceptibles d’être plus efficaces lorsqu’elles commencent tôt dans le processus de la maladie. L’objectif est d’améliorer les fonctions cognitives, traiter la dépression, améliorer la disposition des aidants, maintenir le niveau le plus bas possible de stress pour le patient et/ou son entourage, assurer sa sécurité en respectant sa dignité et sa volonté (17,18,19,20).
► Il n’y a pas d’indication de traitement médicamenteux (anticholinesterasiques) au stade prodromal, en l’absence d’études ayant montré leur efficacité. La surveillance régulière permettra de les instaurer quand le MMS sera perturbé. [Ndlr : Les médicaments anti-Alzheimer seront déremboursés à compter du 1er août 2018 sur recommandation de la commisssion de la transparence de la HAS qui juge leur rapport bénéfice/risque insuffisant]
► Prévenir les facteurs d’aggravation et les traitements délétères :
– Corriger l’HTA qui favorise le développement de la MA et en aggrave l’évolution, et corriger les autres facteurs de risque vasculaires (14) (15). « Il faut veiller à tout ce qui peut contribuer à une meilleure santé du cerveau », insiste Florence Pasquier.
– Veiller à éviter les anticholinergiques, les psychotropes, certains antidépresseurs anticholonergiques, etc.
► Pratiquer une activité physique. « De nombreuses études ont montré que l’activité physique (marcher ¾ h ou 1 h/j, jardiner, se bouger…) améliorerait le métabolisme cérébral (la preuve en a été apportée chez les souris qui développent moins vite la maladie). De plus, c’est l’occasion d’en profiter pour améliorer les relations sociales avec des activités comme le Jiu-Jitsu, la randonnée, etc. Il est essentiel que le patient ait des activités qui lui apportent du plaisir, qui soient valorisantes et dans un environnement bienveillant, sans ennui ni comparaison avec des jeunes » (16).
► La stimulation cognitive peut être variée, expliquée au patient, favorisée par les aidants, lors de séances d’animation ou via des ateliers mémoire. « On n’a pas prouvé que certaines activités étaient plus efficaces que d’autres, mais la plus efficiente semble la “double tache”. Par exemple, un patient qui participe à une chorale fait plusieurs choses à la fois : il chante, suit les yeux le chef et lit la partition ». Ceci toujours dans un domaine qui soit agréable pour la personne. « On demande aux patients : “Qu’est-ce qui a changé et que vous regrettez ?”, et on essaie de trouver un moyen, même détourné, pour qu’ils puissent le faire à nouveau », explique Florence Pasquier. Les possibilités sont variées : art-thérapie, musique…
« L’idéal est une association exercice physique, entraînement mental, socialisation avec une alimentation de type méditerranéen. Au-delà des médicaments, c’est donc peut-être un art de vivre qui permettrait à la maladie de se stabiliser ou ralentir son évolution ».
► Pour certains, une prise en charge orthophonique surtout en cas d’atteinte du langage et des fonctions exécutives, qui vise à maintenir et à adapter les fonctions de communications du patient et à aider la famille et les soignants à adapter leur comportement. L’orthophoniste est juge des modalités du suivi.
Bibliographie
1- Dubois et al. 2007: Research criteria for the diagnosis of Alzheimer’s disease revising the NINDS-ADRDA criteria Lancet Neurology 6: 734-46
2- www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-…
3- Helmer C et al. Épidémiologie de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés.
4- Carpenter BD. Reaction to a dementia diagnosis in individuals with Alzheimer's disease and mild cognitive impairment. JAGS 2008; 56:405-12.
5- EREMA site, http://www.espace-ethique-alzheimer.org/
6- Le regard porté sur la maladie d'Alzheimer – Inpes inpes.santepubliquefrance.fr/professionnels-sante/pdf/PMAF_synthese.pd
7 - Elson P. Do older adults presenting with memory complaints wish to be told if later diagnosed with Alzheimer's disease? Journ Geriatric psy. 2006 vol 21;5: 419-25.
8- Woods, R.T. et al., Dementia:Issues in early recognition and intervention in primarycare. Journal of the Royal Society of Medicine, 96 (2003), 320-24.
9- Leifer, B.P., Early diagnosis of Alzheimer’s disease: Clinical and economic benefits. Journal of the American Geriatrics Society, 51 (2003), 281-88.
10- McAiney, C.A. et al., First Link: Strengthening primary care partnerships for dementiasupport. Canadian Journal of Community Mental Health, 27 (2008).
11- Florence Pasquier AFDET – 2014 La maladie d'Alzheimer : quelle(s) place(s) pour les proches ?
12- Antoine & Pasquier Emotional and Psychological Implications of Early AD Diagnosis Med Clin NorthAm 2013; 97(3): 459-75
13- M. Sarazin, L. Cruz de Souza, B. Dubois. Maladie d’Alzheimer : nouveaux critères de diagnostic clinique. La lettre du neuro. Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012. 301-4
14- Forette F et al. Prevention of dementia in randomised double-blind placebo-controlled Systolic Hypertension in Europe (Syst-Eur) trial. Lancet 1998; 352: 1347-51.
15- Debete S Markus HS: the clinical importance of white Matter hyperintensities on brain IRM: metaanalysis BMJ 2010, 341 pc3666
Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des pathologies apparentées. Recommandations - fevrier 2012. Fédération Nationale des Centre Mémoire de Ressources et de Recherche.
16- Rolland Y. Activité physique et maladie d’Alzheimer. Les cahiers de l'année gérontologique. March 2010, Volume 2, Issue 1, pp 24–29
17- Prince, M., Bryce, R., Ferri, C., World Alzheimer report 2011: the benefits of early diagnosis and intervention. Alzheimer’s Disease International (2011).
18- B Dubois al. Potential benefics early diagnosis: Revue neurologique, 169, 2013. 744-751
19- Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des pathologies apparentées. Recommandations de la Fédération nationale des centres mémoire de ressources et de recherche, fév 2012.
20– HAS. Maladie d’Alzheimer : une nouvelle recommandation pour le diagnostic et la prise en charge. 2011.
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