INTRODUCTION
En 2014, l’Organisation mondiale de la santé a fixé pour objectif l’élimination des hépatites virales de la surface du globe d’ici 2030. L’élimination est définie par une diminution de 90 % des nouvelles infections, associée à une réduction de la mortalité liée au virus de l’hépatite C (VHC) de 65 % (1). En France, en 2018, le premier ministre Édouard Philippe a fixé cet objectif pour 2025. Pour l'atteindre, plusieurs actions simultanées sont nécessaires : dépistage, traitement, prévention.
Il n’y a que très peu d’études épidémiologiques en France sur l’infection par le VHC. En 2011, une modélisation a estimé la prévalence de l’infection par le VHC à 193 000 personnes. Les estimations disponibles indiquent qu’un peu moins de 100 000 personnes sont encore infectées, parmi lesquelles 60 à 70 000 resteraient à dépister. Récemment, Santé publique France a publié des données de prévalence dans la population générale (hors personnes à risque comme les usagers de drogues par exemple). Dans cette population, la prévalence chez les 18-75 ans est estimée à 0,30 % (intervalle de confiance 95 % : 0,13-0,70) (2). Il n’y a aucune donnée récente sur la prévalence de l’infection par le VHC dans les populations à risque comme les usagers de drogues par exemple. L’incidence de l’infection par le VHC n’est pas connue non plus.
LES MOYENS DE DÉPISTAGE ET DE DIAGNOSTIC
Le dépistage de l’hépatite C est fondé sur la détection des anticorps totaux du VHC à l’aide d’un test immuno-enzymatique Elisa (enzyme-linked immunosorbent assay) de 3e génération à partir de sérum ou plasma (méthode de référence) ou de sang total capillaire déposé sur papier filtre (DBS, dried blood spot). Les anticorps VHC peuvent être également détectés à l’aide de tests rapides (TROD, test rapide d’orientation diagnostique) à partir de sang total capillaire après ponction digitale ou de liquide craviculaire (liquide sécrété entre le sillon antérieur de la gencive et les lèvres). Les tests rapides permettent une biologie délocalisée (« hors les murs »), en particulier à destination des populations vulnérables insuffisamment dépistées (usagers de drogues, travailleurs du sexe, personnes incarcérées, migrants). Ces tests rapides ont un intérêt majeur en milieu médico-social et associatif, où ils peuvent être réalisés par différents intervenants (médecins, infirmiers, éducateurs ou bénévoles).
→ Un résultat positif doit être systématiquement contrôlé à l’aide d’un test immuno-enzymatique Elisa de 3e génération à partir de sérum ou plasma, ou éventuellement de sang total capillaire déposé sur papier filtre. Si les anticorps totaux VHC sont présents, la présence d’ARN viral doit être systématiquement et automatiquement recherchée sur le même échantillon (« reflex testing ») à l’aide d’un test moléculaire qualitatif ou quantitatif avec une limite de détection de 15 UI/mL permettant d’affirmer le caractère actif de l’infection. Néanmoins, un test qualitatif moins sensible avec un seuil de détection à 1 000 UI/mL (3 Log UI/mL) peut être également utilisé. En effet, la grande majorité (> 99,8 %) des patients a un niveau de réplication virale supérieur à 1 000 UI/mL.
Dans les populations exposées à un risque accru d’infection, un dépistage fondé sur la détection de l’ARN viral pourrait avoir un rôle bénéfique dans un but d’élimination du VHC, et ce d’autant que des tests moléculaires utilisables « hors les murs » sont désormais disponibles. Le test développé par Cepheid (Xpert® HCV Viral Load Fingerstick) permet, à partir d’un prélèvement de sang capillaire (100 µL), d’obtenir la charge virale (ARN du VHC) en moins de 60 minutes. Le test Genedrive® HCV ID Kit est un test qualitatif réalisé à partir de 30 µL de sérum ou de plasma et permettant un rendu de résultats en 90 minutes.
LE DÉPISTAGE
En septembre 2019, la Haute Autorité de Santé a publié des recommandations de bonne pratique au sujet du dépistage vis-à-vis de l’infection par le VHC (4). Un dépistage ciblé est toujours recommandé chez les personnes à risque comme les personnes ayant eu avant 1992 une transfusion, une intervention chirurgicale lourde, un séjour en réanimation, un accouchement difficile, une hémorragie digestive, des soins à la naissance en néonatalogie ou en pédiatrie, une greffe de tissu, cellules ou organe. Parmi les personnes à risque, il faut citer aussi les patients hémodialysés, les personnes ayant utilisé une drogue par voie intraveineuse ou pernasale, les enfants nés de mère séropositive pour le VHC, les partenaires sexuels des personnes atteintes d’hépatite chronique C, les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes, l’entourage familial des personnes atteintes d’hépatite chronique C, les personnes incarcérées ou l’ayant été, les personnes ayant eu un tatouage ou un piercing, de la mésothérapie ou de l’acupuncture, les personnes originaires ou ayant séjourné plusieurs années ou ayant reçu des soins (médicaux ou dentaires) dans des pays à forte prévalence du VHC, les patients ayant un taux d’alanine aminotransférase (ALAT) supérieur à la normale, sans cause connue, les patients séropositifs pour le VIH ou porteurs du VHB, les professionnels de santé en cas d’accident d’exposition au sang.
Lors de la réalisation d’un dépistage de l’infection par le VHC, il est nécessaire de réaliser aussi un dépistage de l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) et le VIH. La proposition d’un dépistage associant VHC, VHB et VIH est un élément important pour le développement de la politique de dépistage en France pour trois raisons :
• les infections à VHC, VHB et VIH ont des similitudes épidémiologiques,
• le développement des techniques permet de proposer l’utilisation de tests rapides d’orientation diagnostique combinés (tri-TROD),
• le dépistage combiné permet de faciliter l’organisation du dépistage à destination des populations à risque éloignées des structures de soins et notamment en milieu médico-social et associatif.
Le dépistage universel de l’hépatite C (tous les adultes au moins une fois dans leur vie) est une étape indispensable pour espérer une élimination du VHC, comme l’ont recommandé la Société française d’hépatologie (AFEF) et tout récemment l’US Preventive Services Task Force (5). Ce dépistage doit être assuré par les médecins généralistes et les structures intervenant dans les actions de dépistage de premier recours : centres d’examen de santé, centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), centres de planning familial, centres d’accueil de migrants, centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (CAARUD...), voire services d’urgences. Dans l’idéal, ce dépistage universel devrait être préparé et accompagné par des campagnes d’information des médecins et du grand public (réseaux sociaux, presse écrite, télévision, radio), avec le concours de Santé publique France.
LA PRISE EN CHARGE
L’hépatite chronique virale C est à la fois une maladie virale et une maladie hépatique et extra-hépatique. L'objectif principal du traitement est la guérison virologique, c'est-à-dire l’obtention d’une réponse virologique soutenue (ARN du VHC indétectable) 12 semaines après la fin du traitement. La « guérison » virologique est généralement associée à une amélioration clinique et une lente régression des lésions hépatiques chez les malades sans cirrhose. Cependant, chez les patients avec cirrhose, même si le risque de survenue d’une décompensation de la maladie hépatique (insuffisance hépatocellulaire, hypertension portale) disparaît, le risque de survenue d’un carcinome hépatocellulaire (CHC) ne disparaît pas complètement. La prise en charge globale des patients doit être poursuivie, notamment en ce qui concerne les comorbidités hépatiques (consommation d'alcool, syndrome métabolique).
Le développement de molécules pangénotypiques a bouleversé la prise en charge thérapeutique de l’hépatite C. En vue de l’élimination virale en France, plusieurs axes de prise en charge ont été proposés :
• simplifier le parcours de soin,
• favoriser une prise en charge de proximité,
• recommander des schémas thérapeutiques simples, efficaces et bien tolérés,
• limiter le recours aux réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP).
Dans un but d’élimination virale, deux types de prise en charge (tableau 1) doivent être proposés :
- dans le cadre d’un parcours de soins simplifié,
- dans le cadre d’un parcours de soins spécialisé.
La prescription des agents anti-viraux directs à l’ensemble des médecins en France a été autorisée en mai 2019, et les agents antiviraux directs sont délivrés par l’ensemble des pharmacies depuis début 2019.
Le parcours simplifié (encadré 1) doit pouvoir être réalisé au plus proche du lieu de vie du patient ou dans un lieu où le patient est déjà suivi (CSAPA, Unité sanitaire en milieu pénitenciaire, maison de santé pluridisciplinaire, cabinet médical…).
→ Lors du diagnostic (charge virale du VHC détectable), le médecin doit évaluer les comorbidités :
• consommation d’alcool,
• surpoids ou obésité, diabète, syndrome métabolique,
• co-infection VHB et/ou VIH,
• insuffisance rénale sévère.
En cas de co-infection VHB et/ou VIH, d’insuffisance rénale sévère, de comorbidité mal contrôlée selon le médecin ou un traitement antiviral antérieur, un parcours spécialisé est nécessaire.
Le bilan sanguin initial doit comprendre : NFS plaquettes, bilan hépatique, bilan rénal. Le diagnostic de maladie hépatique sévère est écarté si les valeurs sont inférieures aux seuils suivants (6) :
• FibroScan® < 10 kPa
• ou FibroTest® ≤ 0,58
• ou Fibromètre® ≤ 0,786
Ces tests sont tous remboursés par la Sécurité sociale dans cette indication. En cas de suspicion de maladie hépatique sévère, un parcours spécialisé est nécessaire.
Une évaluation complète des traitements pris par le patient doit être faite, aussi précisément que possible (sans oublier l’automédication, la naturopathie, la consommation de pamplemousse, d’orange sanguine ou de millepertuis). Pour évaluer les risques potentiels d’interactions médicamenteuses, la consultation du site www.hep-druginteractions.org ou l’utilisation de l’application smartphone HEP iChart sont recommandées.
→ La prescription du traitement peut être faite d’emblée pour la durée complète du traitement. Il n’est pas nécessaire que le patient soit revu systématiquement par le médecin prescripteur durant le traitement. Les consultations de suivi pendant le traitement sont optionnelles et peuvent être effectuées par du personnel non médical. Elles visent à évaluer la tolérance, l’observance et les interactions médicamenteuses.
Dans ce parcours simplifié, deux stratégies équivalentes sont recommandées : Epclusa® (sofosbuvir + velpatasvir) pendant 12 semaines ou Maviret® (glécaprevir + pibrentasvir) pendant 8 semaines.
Une charge virale du VHC doit être réalisée 12 semaines après l’arrêt du traitement. Si elle est indétectable, le patient est considéré en réponse virologique soutenue, c’est-à-dire guéri. Les patients doivent être informés de la persistance des anticorps anti-VHC après guérison virologique.
Les patients ayant des comorbidités hépatiques (consommation d’alcool, syndrome métabolique) doivent continuer à bénéficier d’un suivi régulier, et une éducation pour la santé adaptée doit leur être proposée. Après réponse virologique soutenue, les patients avec maladie hépatique sévère doivent bénéficier de la poursuite du dépistage semestriel du CHC, même si le risque de CHC diminue par rapport aux patients sans réponse virologique soutenue. La durée de ce dépistage n’est pas définie, certaines études montrant la persistance d’un risque de carcinome hépatocellulaire plusieurs années après la réponse virologique soutenue. Des varices œsophagiennes préexistantes au traitement doivent aussi être surveillées, selon les recommandations actuelles.
→ Prévenir une réinfection Après réponse virologique soutenue, la persistance de comportements à risque (usagers de drogues actifs, comportements sexuels à risque) expose au risque de réinfection. Chez ces patients, une recherche régulière de la charge virale du VHC doit être proposée.
ENC. 1 - PRISE EN CHARGE DANS LE PARCOURS SIMPLIFIÉ
Bilan initial :
• Charge virale du VHC, antigène HBs, anticorps anti-HBs, anticorps anti-HBc, sérologie VIH,
• NFS plaquettes, ASAT, ALAT, GGT, bilirubine, débit de filtration glomérulaire,
Évaluation de la sévérité de la maladie hépatique (en indiquant « hépatite chronique C non traitée »),
• Soit mesure de l’élasticité hépatique par Fibroscan®,
• Soit FibroTest®,
• Soit Fibromètre®.
Traitement :
Avant de débuter le traitement :
• Rechercher d’éventuelles interactions médicamenteuses (www.hep-druginteractions.org ou application smartphone HEP iChart),
• Enquêter sur l’automédication et sur la médecine naturelle (millepertuis, compléments alimentaires...),
• S’assurer de l’absence de consommation de pamplemousse ou d’orange sanguine pendant le traitement,
• Insister sur la nécessité d’une observance optimale au traitement.
Traitement par association d’AAD pangénotypique :
• Epclusa® 1 cp/jour pendant 12 semaines OU Maviret® 3 cp/jour en une prise, avec de la nourriture, pendant 8 semaines.
Pendant le traitement (rythme à adapter à chaque patient) :
• Interrogatoire sur l’observance, la tolérance et les interactions médicamenteuses.
Après le traitement :
• Mesure de la charge virale du VHC, 12 semaines après l’arrêt du traitement.
CONCLUSION
L’élimination de l’infection par le VHC en France est possible avant 2025. Tous les acteurs impliqués dans le dépistage et la prise en charge de cette infection doivent s’associer pour permettre à la France d’être le premier pays européen à pouvoir annoncer l’élimination virale sur son territoire. Le traitement est simple et peut être prescrit par l’ensemble des médecins, selon le principe « un traitement pour chacun et l'élimination pour tous ». Enfin, la prévention est la dernière pierre angulaire de l’élimination, avec entre autres des actions d’information et de réduction des risques auprès des personnes les plus à risque, notamment les usagers de drogues par voie intra-veineuse ou nasale.
Ce défi, unique dans l’histoire récente de la médecine, est à la portée de notre pays avec la contribution de tous : autorités sanitaires, personnels soignants et associations de patients.
Bibliographie
1. World Health Organization. Global hepatitis report. 2017.
2. Brouard C, Saboni L, Gautier A, Chevaliez S, Rahib D, Richard JB, Barin F, et al. HCV and HBV prevalence based on home blood self-sampling and screening history in the general population in 2016: contribution to the new French screening strategy. BMC Infect Dis 2019;19:896.
3. Journal Officiel. Arrêté du 1er août 2016 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d'orientation diagnostique de l'infection par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH 1 et 2) et de l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC) en milieu médico-social ou associatif https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2016/8/1/AFSP1622318A/jo/texte 2016.
4. Haute-Autorité-de-Santé. Hépatite C : prise en charge simplifiée chez l'adulte. 2019:https://www.has-sante.fr/jcms/c_2911891/fr/hepatite-c-prise-en-charge-s….
5. Force USPST, Owens DK, Davidson KW, Krist AH, Barry MJ, Cabana M, Caughey AB, et al. Screening for Hepatitis C Virus Infection in Adolescents and Adults: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2020.
6. de Franchis R, Baveno VIF. Expanding consensus in portal hypertension: Report of the Baveno VI Consensus Workshop: Stratifying risk and individualizing care for portal hypertension. J Hepatol 2015;63:743-752.
Liens d'intérêts
L’auteur déclare pour 2016-2020 des invitations, consultings et interventions pour les laboratoires Gilead, Intercept Pharma, AbbVie, et du consulting pour les laboratoires BMS, Promethera, Diafir, MYR-Pharma, Alfasigma, Pfizer.
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