On y arrive : le « traitement universel » de l’hépatite C est maintenant proposé. Ce changement de paradigme repose sur une double dynamique :
– traiter dès que possible les patients déjà connus comme infectés par le VHC et n’ayant pas encore été efficacement traités ;
– dépister les personnes infectées qui s’ignorent.
HISTOIRE NATURELLE DU VHC
L’infection aiguë survient après une incubation moyenne de 7 semaines (2 semaines à 6 mois) et reste asymptomatique dans 90 % des cas. La guérison spontanée après la phase aiguë concerne 15 à 20 % des patients, dans les 6 mois après la contamination.
► L’infection chronique par le VHC se définit par la persistance de l’ARN viral pendant plus de six mois. L’infection par le VHC génère dans 80 à 85 % des cas une hépatite chronique qui, elle-même, peut progresser vers la cirrhose, en 10-20 ans, chez 10-20 % des malades. Le carcinome hépatocellulaire (CHC) ne survient que très rarement sur un foie sain mais le plus souvent sur cirrhose (incidence : 3-5 % par an). En France, 43 % des malades seraient au stade de fibrose F0 ou F1 [4], 49 % entre F2 à F4, et 8 % au stade de complications (cirrhose décompensée ou CHC). Les complications génèrent 3 600 décès par an en France, dont 2 600 directement imputables au VHC.
Les facteurs de risque d’évolution vers la cirrhose sont :
– l’âge avancé au moment de la contamination [21] ;
– le sexe (progression plus lente chez les femmes) ;
– une consommation d’alcool > 50 g/j (risque x 16) [11] ;
– la co-infection par le VIH (taux de cirrhose x 2 à x 5 et délai plus court [22]) surtout si CD4 < 200 ;
– la co-infection VHB ;
- et probablement : le syndrome métabolique [11], la consommation de tabac et de cannabis.
► Le médecin généraliste a donc un rôle à jouer dans le repérage et la gestion des comorbidités cirrhogènes : contrôle du poids, limitation des consommations toxiques comme l’alcool, le tabac mais aussi les médicaments.
► Trois malades sur quatre présentent au moins une manifestation extra-hépatique de l’hépatite C [18, 20] (voir tableau 1).
Les manifestations systémiques du virus de l’hépatite C sont peu fréquentes, mais parfois sévères et pouvant évoluer indépendamment du degré d’atteinte hépatique.
QUI EN EST ATTEINT ?
Mal connus, les chiffres de l’épidémie varient d’une enquête à l’autre, mais on estimait en 2014 [7] que près de 195 000 personnes étaient, en France, infectées par le VHC (= avec un ARN viral positif) dont environ 75 000 l’ignoraient.
► La contamination est quasi exclusivement sanguine. Si les contaminations avant les années 1990 étaient essentiellement liées à des transfusions, 70 % des 5 000 nouvelles contaminations annuelles sont liées à la toxicomanie (intraveineuse ou intranasale) [1, 7].
De manière plus marginale, il persiste des contaminations chez les professions de santé (accidents d’exposition au sang) et des cas de transmission verticale lors de l’accouchement.
► La prévalence est plus élevée dans certaines populations : détenus (RR x 5), toxicomanes, personnes en situation de précarité ou infectées par le VIH.
Chez les usagers de drogues intraveineuses (UDIV) :
la prévalence du VHC était de 44 % en 2011 [17] contre 10 % pour le VIH, avec une importante variabilité entre les agglomérations : de 24 % à Bordeaux à 56 % à Marseille. Un fléchissement de la séroprévalence est observé entre 2004 (60 % des UDIV) et 2011 (44 %), en particulier chez les UDIV de moins de 30 ans (de 28 % à 9 %), reflétant en partie l’impact de la politique de réduction des risques. Parmi les UDIV infectés par le VIH, environ 90 % sont co-infectés par le VHC (voir figure 1).
QUI DÉPISTER EN 2017 ?
► Le dépistage ciblé, en présence de facteurs de risque (FDR), est recommandé et doit être poursuivi [2] (voir tableau 2).
Cependant, cette stratégie n’est pas suffisante, car chez 20 à 30 % des patients, aucun FDR n’a pu être identifié [1, 7].
Le rapport Dhumeaux [7] évoque les obstacles au dépistage par les MG : manque d’expérience (un MG ne suit en moyenne que 3 patients infectés par le VHC), manque de temps, difficulté à aborder certains FDR avec les patients. Ces derniers peuvent eux aussi méconnaître certains FDR, ou être réticents à évoquer des pratiques à risque, notamment anciennes et/ou ponctuelles.
► La dernière version du rapport Dhumeaux [7] propose un dépistage systématique à tous les adultes n’ayant jamais été dépistés, quel que soit leur sexe. Ce dépistage généralisé en population générale est particulièrement coût-efficace si le traitement anti-VHC est débuté à un stade précoce de l’infection (F0, F1). Par ailleurs, le dépistage généralisé permettra sans doute de venir à bout du réservoir de cas méconnus.
COMMENT DEPISTER ?
► Le dépistage repose sur la sérologie (anticorps anti-VHC). Lorsque la sérologie revient positive, il faut rechercher l’ARN viral [7].
1. Sérologie +, ARN – : infection ancienne guérie. Il n’est pas utile d’adresser à un spécialiste. Chez les patients exposés à un ou plusieurs FDR au cours du mois précédant le dépistage, une nouvelle recherche de l’ARN du VHC devra être faite 6 mois plus tard.
2. Sérologie +, ARN + : l’ARN sera quantifié par le laboratoire dans le même temps. Le bilan devra ensuite être complété par une NFS, un bilan hépatique, les sérologies du VIH et du VHB, une échographie hépatique. Pour avancer dans la prise en charge du patient, le médecin généraliste peut prescrire lui-même le génotypage du VHC et un test d’évaluation non invasive de la fibrose hépatique (FibroTest® ou FibroMètre® ou Hépascore ou FibroScan®), afin de diagnostiquer une fibrose sévère ou une cirrhose. Si la sérologie du VHB est négative, une vaccination antivirale B doit être proposée au patient.
► Depuis peu, les TROD (tests rapides d’orientation diagnostique) complètent l’offre de dépistage [9, 10]. Sur le sang capillaire, leurs sensibilité et spécificités sont proches de 100 % ; la sensibilité est légèrement moindre sur le liquide craviculaire (liquide sécrété au niveau du sillon antérieur de la gencive ou des lèvres). On considère qu’un résultat négatif 3 mois après la date présumée de l’exposition signe l’absence vraisemblable d’infection. Comme pour le VIH, la diffusion des TROD, notamment en milieu associatif et « hors les murs », permettra vraisemblablement d’atteindre des publics éloignés de l’offre traditionnelle de dépistage.
► Cas particulier : en cas de suspicion d’hépatite C aiguë, le diagnostic repose sur la détection des anticorps anti-VHC et de la charge virale. Les anticorps anti-VHC peuvent apparaître négatifs dans les 6 premières semaines suivant l’exposition (fenêtre sérologique). Les autres infections virales (VHB, VIH) doivent être recherchées systématiquement. Compte tenu du fort taux de passage à la chronicité, du risque de transmission élevé, de l’excellent rapport efficacité/tolérance des agents viraux à action directe, il est recommandé de traiter tous les patients qui ont une hépatite aiguë.
LE TRAITEMENT POUR TOUS
La prise en charge thérapeutique du VHC a connu de fantastiques progrès depuis la première utilisation de l’IFN-α en 1986 (seulement 5 % de réponse virologique soutenue [RVS]).
Dans les années suivantes, l’ajout de ribavirine a augmenté les chances de guérison : entre 45 et 85 % en fonction des génotypes, au prix d’une mauvaise tolérance. Au début des années 2000, le traitement reposait sur l’association IFN pégylé + ribavirine durant 6 à 12 mois.
En 2011 ont été mis sur le marché les premiers antiviraux à action directe (AAD). Combinés au traitement précédent, ils doublaient les chances de RVS, mais uniquement sur les génotypes 1. La tolérance restait médiocre.
À partir de 2013, plusieurs nouveaux AAD ont été mis à disposition, d’abord pour des patients les plus graves. Dotés de mécanismes d’action variables selon les molécules, ils permettent de faire face au risque d’émergence de mutants résistants. Ces associations permettent ainsi d’envisager sans risque virologique des schémas thérapeutiques ne comportant plus d’interféron. Pour la première fois, il est possible d’obtenir des taux d’éradication virale dans plus de 90 % des cas, avec une très bonne tolérance (l’arrêt prématuré du traitement concernant moins de 1 % des patients) et peu d’interactions médicamenteuses, pour des durées n’excédant pas 8 à 12 semaines, avec une galénique facilitant l’observance (molécules combinées dans un même comprimé). La plupart de ces molécules sont « pangénotypiques », c’est-à-dire actives contre toutes les souches (voir figure 2).
L'objectif principal du traitement est d’obtenir une RVS (ARN indétectable) 12 semaines après la fin du traitement [1]. Elle est généralement associée à une amélioration clinique et une lente régression des lésions hépatiques chez les malades sans cirrhose. Chez les patients avec cirrhose, le risque de décompensation hépatique (insuffisance hépatocellulaire, hypertension portale) disparaît, mais pas le risque de survenue du CHC, même s’il diminue fortement. Les manifestations extra-hépatiques peuvent guérir de manière inconstante.
Sur le plan infectieux, l’absence de réservoir viral fait que la RVS est synonyme de guérison virologique (mais pas guérison de la maladie hépatique sous-jacente), et qu’une immunosuppression ultérieure – chimiothérapie par exemple – ne provoquera pas de réactivation, contrairement à ce que l’on constate parfois dans les infections par le VHB [15].
En 2014, la HAS préconisait de réserver les AAD aux patients les plus sévères (fibrose ≥ F2, co-infection VIH, greffe ou attente de greffe, dialyse, manifestations extrahépatiques…), et uniquement après discussion en RCP. Fin 2016 [3], considérant que les patients les plus prioritaires avaient été traités avec succès, la HAS estime que le traitement doit désormais être proposé à l’ensemble des patients ayant une infection chronique par le VHC (y compris les porteurs asymptomatiques F0 et F1), sans RCP systématique (sauf cas complexes). En cas de fibrose modérée à minime, le traitement ne dure que huit à douze semaines. Les prix ont significativement baissé depuis le 1er avril 2017.
ET APRÈS ?
► Le bilan après la fin du traitement par les AAD [7] doit comprendre une recherche de l’ARN du VHC 12 semaines après l’arrêt du traitement. Il est également conseillé d’effectuer une recherche de l’ARN du VHC 48 semaines après l’arrêt du traitement, afin de détecter une rechute tardive.
► Il est tout aussi important d’évaluer les modifications du comportement concernant l’alcool, les prises de risque et le poids. Chez les patients à risque persistant de réinfection (UDIV ou prise de risque sexuel), la recherche de la réinfection doit être réalisée tous les six mois via la recherche de l’ARN viral. Si l’ARN viral est positif, une nouvelle détermination du génotype du VHC est recommandée.
► Après guérison, le suivi des patients par les méthodes non invasives d’évaluation de la fibrose hépatique n’est pas actuellement recommandé. Le dépistage échographique du CHC concerne tous les patients qui avaient une fibrose sévère (F3) ou une cirrhose documentées avant traitement [7]. La durée idéale de ce dépistage semestriel n’est pas établie.
APRÈS UNE EXPOSITION
Il est utile de rappeler la prise en charge d’une exposition. La contagiosité débute à partir du moment où la charge virale devient détectable, c'est-à-dire en moyenne sept jours après le contage. à la suite d'un accident d'exposition du sang par piqûre, le taux de transmission est de 1 à 3 % (10 fois moindre après exposition muqueuse ou sur peau lésée). Il n’y a pas de traitement prophylactique post-exposition, contrairement au VIH [16] ; en revanche, un traitement précoce au moment de la primo-infection VHC permet la guérison dans un grand nombre de cas.
► La surveillance sérologique après exposition se fait :
– Si le patient est traité pour le VIH : à J0, un mois, deux mois et quatre mois avec la sérologie VHC et les ALAT ; la PCR VHC est indiquée en cas d’élévation des ALAT.
– Si le patient n’est pas traité pour le VIH, les contrôles sérologiques sont faits à J0, six semaines et mois.
– Si le patient source est virémique pour le VHC, on ajoute un contrôle de la PCR VHC à M1 ou six semaines selon que le patient a été traité pour le VIH ou non.
Bibliographie
1- Association française pour l’étude du foie. Recommandations AFEF sur la prise en charge de l’hépatite virale C. Mars 2017.
2- Inserm-ANRS. Rapport Prise en charge des personnes infectées par le virus de l'hépatite B ou de l'hépatite C. Mai 2014.
3- HAS. Prise en charge de l’hépatite C par les médicaments antiviraux d’action directe (AAD). Élargissement du périmètre de remboursement. Décembre 2016.
4- HAS. Prise en charge de l’hépatite C par les médicaments antiviraux d’action directe (AAD). Juin 2014.
5- HAS. Traitements de l’hépatite C : élargissement des populations cibles. Juin 2016.
6- HAS. Hépatite chronique C. Actes et prestations affections de longue durée. Juillet 2015.
7- Ministère des Affaires sociales et de la Santé, ANRS, AFEF, CNS. Prise en charge thérapeutique et suivi des personnes infectées par le virus de l’hépatite C, dit rapport Dhumeaux 2.
8- HAS. Place des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) dans la stratégie de dépistage de l’hépatite C. Recommandation. Mai 2014.
9- HAS. Place des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) dans la stratégie de dépistage de l’hépatite C. Note de cadrage. Mai 2013.
10- Légifrance. Arrêté du 1er août 2016 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d'orientation diagnostique de l'infection par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH 1 et 2) et de l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC) en milieu médico-social ou associatif. Août 2016.
11- Grando-Lemaire V, Kazemi F, Trinchet JC. Facteurs prédictifs de l’évolution vers la cirrhose au cours des maladies chroniques du foie. La Rev Prat 2005 ; 55 : 1533-8.
12- Bailly F, Hartig-Lavie K, Lebossé F et al. Traitement de l’hépatite C : des progrès thérapeutiques décisifs. La Rev Prat 2015 ; 65 : 255-6.
13- Pariente A. Hépatite C : bientôt éradiquée ? La Rev Prat Med Gén 2014 Mai ; 28 (922) : 424-5.
14- Piroth L, Hillon P, Minello A. Hépatite C : quels enjeux ? La Rev Prat Med Gén 2015 Nov ; 29 (949) : 720-1.
15- Bella A, Bronowick JP. Risque de réactivation du VHB sous chimiothérapie et immunosuppresseurs. La Rev Prat 2011 janv ; 61 : 52-3.
16- Section MST/SIDA de la SFD. Recommandations diagnostiques et thérapeutiques pour les MST. Février 2016.
17- Jauffret-Roustide M, Pillonel J et al. Estimation de la séroprévalence du VIH et de l’hépatite C chez les usagers de drogues en France - Premiers résultats de l’enquête ANRS-Coquelicot 2011. BEH. 2013;(39-40):504-9.
18- Cacoub P. Les manifestations extra-hépatiques au cours de l’infection par le VHC. FMC gastro.
19- Matsuo K, Kusano A, Sugumar A, Nakamura S, Tajima K, Mueller NE. Effect of hepatitis C virus infection on the risk of non-Hodgkin’s lymphoma: a meta-analysis of epidemiological studies. Cancer Sci 2004;95:745-52. 54.
20- Fédération SOS-hépatites. Les manifestations extra-hépatiques. Y’a pas que le foie dans l‘hépatite C. Etre hépatant n°6. 2008.
21- Poynard T, Ratziu V, Charlotte F, Goodman Z, McHutchison J, Albrecht J. Rates and risk factors of liver fibrosis progression in patients with chronic hepatitis C. J Hepatol 2001;34(5):730-9.
22- Mohsen AH et al. Impact of human immunodeficiency virus (HIV) infection on the progression of liver fibrosis in hepatitis C virus infected patients. Gut 2003;52(7):1035-40.
Liens d'intérêts : aucun
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