INTRODUCTION
L’Onusida a fixé à l’horizon 2030 l’objectif « zéro nouvelles contaminations » (1), repris en France par les autorités de santé et les politiques locales des « villes sans sida » (six métropoles régionales ont rejoint Paris, à l’initiative de ce mouvement mondial). Depuis l’apparition du VIH il y a 40 ans, la prévention reste largement basée sur les mesures mécaniques (préservatif interne et externe) et comportementales (« safe sex »). Ces stratégies de réduction des risques ont permis de contenir l’épidémie sans pour autant y mettre un terme. 6 000 à 7 000 personnes sont contaminées en France chaque année. L’apport des outils biomédicaux, dont la primoprescription de la prophylaxie pré-exposition du VIH (PrEP), devrait permettre d’atteindre l’objectif fixé par l’OMS. Depuis le 1er juin 2021, ce traitement prophylactique est étendu à l’ensemble des médecins, en particulier aux généralistes (2).
ÉPIDÉMIOLOGIE
Une épidémie active et concentrée
L’épidémie à VIH/sida en France est une épidémie concentrée. Deux populations subissent l’essentiel des nouvelles infections : les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), et les personnes vivant dans des communautés issues de pays à forte endémie, en particulier d’Afrique subsaharienne ou des Caraïbes (incluant les Antilles-Guyane). À l’intersection des deux populations, les HSH originaires de régions à forte endémie sont ceux chez qui l’épidémie progresse aujourd’hui.
Ce constat épidémiologique résulte de l’histoire mondiale de la maladie. En France, le VIH s’est diffusé dès les années 1970 dans ces populations, bien avant la découverte de la maladie, et des moyens de dépistage et de prévention. La prévalence du VIH est historiquement très élevée dans ces groupes et explique qu’ils soient toujours majoritairement concernés par les nouveaux diagnostics. Au-delà de la question des comportements préventifs, adoptés par la majorité des individus, celle de l’environnement est tout aussi importante. Le risque de contracter le VIH est plus élevé (multiplié par 200 pour les HSH, par 18 pour les usagers de drogues injectables et par 9 pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne (3), dont il est établi aujourd’hui qu’ils se contaminent majoritairement après leur arrivée en France dans un contexte de grande précarité), du fait de la prévalence communautaire. C’est pour contrer ce risque environnemental que la PrEP constitue un atout de choix dans la stratégie de prévention combinée qui associe l’ensemble des mesures de prévention.
La population à très haut risque de contamination pouvant bénéficier de la PrEP est évaluée entre 50 000 et 150 000 personnes. Le rapport Epi-Phare (4) estime à 30 000 le nombre d’usagers de la PrEP en France à la fin du 1er semestre 2020 et les indicateurs font redouter une diminution du nombre d’initiations de PrEP du fait de la crise sanitaire liée au Covid. C’est d’ailleurs dans ce contexte assez particulier que la Haute Autorité de santé (HAS) a formulé en 2021 des recommandations sur l’extension de l’accès à la PrEP (5).
Les apports de la prévention biomédicale du VIH
L’utilisation des antirétroviraux en prévention a débuté en 1996 avec la prévention de la transmission mère-enfant (PTME) et le traitement post-exposition (TPE). Depuis la confirmation de l’effet protecteur du traitement antirétroviral (ARV) des personnes vivant avec le VIH (Treatment as prevention ou TasP) en 2008 et l’équation I = I (charge virale Indétectable = Impossibilité de transmettre le VIH), l’usage des ARV en prévention sexuelle est devenu pertinent. De nombreuses molécules ont été testées à cet effet depuis les années 2000. L’association emtricitabine (FTC)/ténofovir disoproxil fumarate (TDF), Truvada, est désormais validée et utilisée en France depuis janvier 2016. Le choix de cette association repose sur plusieurs études ainsi que sur une diffusion adaptée des molécules dans le tractus génital et ano-rectal. La PrEP au Truvada est coût-efficace, et son générique est vendu 155,42 euros aujourd’hui. Les données expérimentales sur lesquelles s’appuie l’AMM montrent une réduction des contaminations chez les HSH de l’ordre de 86 %, en tenant compte des mésusages. Ce chiffre se rapproche d’une efficacité vaccinale.
SCHÉMAS DE PRISE, EFFICACITÉ ET TOLÉRANCE
La PrEP continue ou à la demande ?
En France, deux schémas d’administration sont recommandés.
➔ La PrEP continue : 1 cp/j tous les jours
• Chez l’homme cisgenre : la PrEP débute par une première prise de 2 comprimés. L’efficacité est obtenue 2 heures après cette première prise. Ce schéma n’a pas été évalué chez l’homme ni la femme transgenre et n’est donc pas indiqué dans ce cas. La diffusion de l’association FTC/TDF à concentration efficace dans le tractus génital féminin est beaucoup plus lentement atteinte.
• Chez la femme cisgenre et les hommes et femmes transgenres, le traitement débute par 1 comprimé et la PrEP est efficace après 7 jours de prise quotidienne.
La PrEP discontinue : 2 comprimés 2 heures à 24 heures avant le rapport sexuel, puis 1/j pendant 2 jours
➔ La PrEP à la demande n’a été évaluée que chez les HSH. Par extension, elle peut être proposée en seconde intention chez les hommes cisgenres hétérosexuels qui n’adhéreraient pas à la PrEP continue.
• La première prise de 2 comprimés doit être faite 2 h à 24 h avant une situation à risque d’exposition.
• Puis la posologie est de 1 comprimé/j, toutes les 24h +/- 2h (à partir de l’heure de la première prise) jusqu’à 48 h après le dernier risque.
En cas de rapport sexuel unique, le schéma s’étale donc sur trois jours. Mais si les rapports sont répétés pendant plusieurs jours, la prise d’1 comprimé/j sera rallongée en fonction de la chronologie des rapports sexuels.
Le médecin guide l’usager dans le choix du schéma de prise, qui doit tenir compte avant tout de l’organisation de la sexualité : la fréquence des rapports, leur caractère anticipable ou spontané, pulsionnel, la capacité à gérer les prises, l’usage concomitant de produits psychoactifs, d’alcool, sont déterminants. Le FTC/TDF doit être pris de préférence en mangeant, à moins que cette contrainte rende l’observance difficile (pas de repas le matin, repas de la journée en commun…)
Une tolérance et une efficacité confirmées
L’association FTC/TDF est utilisée dans le traitement de l’infection par le VIH depuis le tout début des années 2000 et bénéficie d’un certain recul. Le principal effet indésirable sévère de l’association réside dans la potentielle et rare toxicité rénale du ténofovir.
L’étude ANRS Prévenir, qui suit longitudinalement 3 067 usagers de la PrEP, confirme sa très haute efficacité (6). Aucun arrêt de traitement n’a été justifié par une insuffisance rénale, et seules trois personnes ont stoppé la prise du médicament en raison d’une intolérance digestive, habituellement limitée aux premières prises. Les six personnes contaminées au cours des 22 premiers mois de suivi avaient arrêté de prendre la PrEP au moment où elles ont contracté le VIH.
INDICATIONS
Les indications de la PrEP se sont progressivement élargies. Aujourd’hui, les demandes émanant directement des patients doivent être prises en compte, y compris lorsqu’elles sont motivées par la recherche d’une meilleure qualité de vie sexuelle. Le médecin peut être force de proposition de la PrEP devant des circonstances que la HAS (5) énonce ainsi :
➔ Les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ou les personnes transgenres, qu’ils se définissent comme gay, bi ou hétérosexuels, rapportant des situations d’exposition au VIH présentes, passées ou futures.
➔ Les femmes et les hommes hétérosexuels présentant :
• un contexte de forte prévalence ou de forte exposition au VIH :
- personne ou partenaire(s) originaires de pays à forte endémie (en particulier l’Afrique subsaharienne, les Caraïbes et l’Amérique du Sud),
- partenaires multiples et/ou partenaires concomitants,
- travailleurs du sexe (TDS),
- sexe transactionnel ;
• un contexte relationnel de forte exposition au VIH :
- partenaires de statut VIH inconnu ou perçu comme à risque d’acquisition du VIH,
- partenaire vivant avec le VIH avec une charge virale détectable ou dont la quantification de la charge virale est inconnue,
- femmes enceintes évoquant une exposition possible au VIH ou à des violences sexuelles,
- frein du ou des partenaires à l’utilisation d’autres moyens de protection ;
des situations individuelles de forte exposition au VIH :
- non utilisation du préservatif lors de rapports vaginaux ou anaux,
- marqueurs évoquant une exposition (autres IST, IVG…),
- antériorité ou dans les suites d’un traitement post-exposition (TPE) au VIH.
➔ Les usagers de produits psycho-actifs injectables avec échanges de seringues :
- partenaire sexuel ou d’injection de statut VIH inconnu ou perçu comme à risque d’infection du VIH,
- partenaire d’injection positif au VIH,
- partage du matériel d’injection.
Les indications de la PrEP sont donc larges suivant ces critères. Ils permettent de guider le praticien dans l’évaluation de l’intérêt de la PrEP pour un patient donné, mais ne constituent pas une liste d’indications.
La PrEP n’est pas indiquée chez le/la partenaire d’une personne vivant avec le VIH, traitée et dont la charge virale serait indétectable, nonobstant l’usage ou non du préservatif. Le traitement du partenaire séropositif constitue en soi un outil de prévention suffisant (7).
La PrEP est contre-indiquée en cas d’infection par le VIH ou de suspicion d’infection récente non encore diagnostiquée, ainsi qu’en cas d’insuffisance rénale (clairance < 60 mL/mn).
PRESCRIPTION ET SUIVI
La prescription initiale
Elle est accessible à tous les médecins. Le bilan initial doit comprendre une sérologie VIH, un dosage de la créatinine plasmatique et de la clairance, et une sérologie de l’hépatite B si l’immunité n’est pas connue. Le portage de l’AgHBs contre-indique la prise de la PrEP à la demande, en raison de l’activité du ténofovir sur le VHB. La PrEP continue reste possible, sous réserve d’un avis spécialisé concernant l’hépatite B. Ce bilan de départ est idéalement complété par une recherche exhaustive des IST : sérologie de la syphilis, des hépatites A et C, d’une recherche d’infection à gonocoque et à chlamydia par PCR sur plusieurs sites en fonction du sexe et des pratiques (urines, prélèvement cervico-vaginal, anal, pharyngé), β-HCG chez la femme si nécessaire, dosage des transaminases.
La vaccination contre l’hépatite B est systématiquement proposée chez les sujets non immuns, et conditionne la possibilité de suivre la PrEP à la demande. La vaccination contre l’hépatite A est proposée aux HSH, lesquels bénéficient également d’une prise en charge par l’Assurance maladie du rattrapage vaccinal contre le papillomavirus jusqu’à l’âge de 26 ans.
La PrEP peut débuter dès lors qu’il existe un résultat négatif de la sérologie VIH datant de moins de 7 jours.
Elle est délivrée en pharmacie aux assurés sociaux sans avance de frais et prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie. Elle peut être prescrite à partir de l’âge de 15 ans.
Le suivi
Une première évaluation à 1 mois permet de contrôler la séronégativité à l’initiation de la PrEP, de vérifier l’impact du traitement sur la fonction rénale et d’évaluer avec le patient l’adéquation du schéma de prise.
Les suivis ultérieurs permettent de poursuivre l’évaluation de l’adhésion au traitement, de son innocuité, et de répéter les dépistages des IST (voir tableau). Selon les recommandations, ce suivi est le même que le traitement soit pris en continu ou discontinu.
L’arrêt de la PrEP
Le traitement peut être arrêté ou suspendu en cas de modification de l’organisation sexuelle des individus. Dans ce cas, il faut respecter la prise d’1cp/j jusque 48 h après le dernier rapport sexuel à risque.
CONCLUSION
Le site www.formaPrEP.org dispense une formation en ligne de très bonne qualité faisant intervenir experts et usagers. Le site www.vihclic.fr peut être consulté en ligne.
Au moment de la rédaction de cet article, les onglets consacrés à la PrEP étaient en cours de mise à jour. Les CoreVIH, les organismes de FMC, peuvent organiser des formations. L’association Aides édite en versions papier et numérique (en plusieurs langues) un guide très bien conçu à l’intention des patients comme des professionnels de santé.
Les usagers de la PrEP peuvent dialoguer sur la page Facebook PrEP’Dial.
S’il est convenu de préciser que la PrEP protège du VIH, mais pas des autres IST, il faut rappeler que leur pronostic n’est pas le même et surtout que le suivi associé à la PrEP permet l’accompagnement de la santé sexuelle des bénéficiaires et le dépistage (et donc le traitement) exhaustif de pathologies dont la transmission repose d’abord sur le caractère fréquemment asymptomatique.
Dr Michel Ohayon (médecin généraliste. Le 190 – Centre de Santé Sexuelle, 90 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris – tél : 01 55 25 32 72 – Email : mohayon@le190.fr)
BIBLIOGRAPHIE
1. Comprendre l’accélération. Passer à la vitesse supérieure pour mettre fin à l’épidémie de sida d’ici 2030.
https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/201506_JC2743_Un…
2. Communiqué de presse d’Olivier Veran du 28 mai 2021.
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/210528_-_cp_-_olivier_veran_a…
3. Incidence de l’infection par le VIH en France. 2003-2008. Le Vu S, Le Strat Y, Barin F, Pillonel J, Cazein F, Bousquet V, Brunet S, Thierry D, Semaille C, Meyer L, Desenclos JC. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2010, n° 45-46, p. 473-6.
4. Suite de l’utilisation prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH. Rapport EPI-PHARE, 1er décembre 2020.
https://www.epi-phare.fr/rapports-detudes-et-publications/prep-vih-2020/
5. Réponses rapides dans le cadre de la Covid-19. Prophylaxie (PrEP) du VIH par ténofovir disoproxil/emtricitabine dans le cadre de l’urgence sanitaire.
https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-04/reco_435__…
6. Incidence of HIV-infection with daily or on demand oral PrEP with TDF/FTC in France. J-M. Molina, J. Ghosn, C. Delaugerre, G. Pialoux, C. Katlama, L. Slama, C. Pintado, M. Ohayon, H. Mouhim, L. Assoumou, B. Spire, M. Ben-Mechlia, D. Rojas Castro, D. Costagliola and the ANRS Prevenir study group. CROI 2021.
7. For the PARTNER Study Group Risk of HIV transmission through condomless sex in serodifferent gay couples with the HIV-positive partner taking suppressive antiretroviral therapy (PARTNER): final results of a multicentre, prospective, observational study. Alison J Rodger and al. Lancet 2019; 393: 2428–38.
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