INTRODUCTION
Dès la mi-2020, on a vu apparaître sur les réseaux sociaux les termes de Covid chronique, de Covid persistant, de Covid post-aigu… Une réalité objectivée par de nombreux praticiens de ville. Face à ces plaintes somatiques et psychologiques de patients – dans un contexte de maladie encore inconnue jusqu’alors –, les médecins avant tout et les autorités sanitaires secondairement se sont penchés sur ces symptômes qui persistent plusieurs semaines (pour environ 20 % des patients) ou plusieurs mois (10 %) après les premières manifestations de l’infection
à SARS-CoV-2.
SYMPTOMATOLOGIE
Ce sont les Britanniques qui, les premiers, dans leurs recommandations NICE (1), ont fixé la définition du Covid long : il s’agit de manifestations qui se prolongent ou surviennent plus de 4 semaines après le début de la maladie et peuvent durer jusqu’à 12 semaines, voire 6 mois. Parmi les symptômes mis en avant dans la phase post-aiguë, les signes généraux (asthénie, douleurs articulaires et musculaires, baisse de la qualité de vie) viennent au premier plan, tout comme les signes respiratoires (dyspnée, toux persistante, besoin en oxygène).
Des symptômes psycho-neurologiques (anxiété, dépression, troubles du sommeil, syndrome post-traumatique, déclin cognitif, céphalées, manque du mot, irritabilité), cardiaques (palpitations, douleurs thoraciques), thromboemboliques, rénaux, ORL (hyposmie, anosmie, dysgueusie, phantosmie, parosmie, acouphènes, hypoacousie, perte d’audition, vertiges) ou cutanés (prurit, urticaire, pseudo-engelures) ont aussi été rapportés (2).
Ces symptômes surviennent de manière fluctuante et l’histoire naturelle de cette maladie n’est pas encore connue. À la fin de la première période épidémique, en mai 2020, 20 % des patients déclaraient souffrir de symptômes prolongés à 5 semaines et 10 % après 3 mois.
Face à la multiplication des demandes de patients et la mise en place de consultations post-Covid en hôpital de jour dans des centres de référence, la Haute Autorité de santé (HAS) a saisi un panel d’une quarantaine de médecins (dont quatre généralistes), des soignants et des représentants d’associations de patients afin de rédiger une « fiche de réponse rapide» (3) aux symptômes prolongés suite à un Covid.
La HAS précise que les symptômes prolongés peuvent survenir même chez des personnes ayant fait des formes peu sévères. La majorité des patients peut être suivie en soins primaires dans le cadre d’une prise en charge holistique, bien que le caractère polysymptomatique et fluctuant des manifestations cliniques génère des interrogations et des inquiétudes pour les patients et les cliniciens. Une démarche pragmatique, rationnelle, scientifique et parfois multidisciplinaire de prise en charge de ces patients est nécessaire afin d’éviter une multiplication d’examens et un certain nomadisme médical.
DIAGNOSTIC
Pour évoquer le diagnostic de Covid long, trois critères doivent être pris en compte :
• un épisode initial symptomatique de Covid, soit confirmé (PCR, test antigénique, sérologie, anosmie/agueusie brutale, scanner), soit probable (trois critères parmi fièvre, céphalée, fatigue, myalgies, dyspnée, toux, douleurs thoraciques, diarrhée, odynophagie),
• la persistance d’un symptôme initial au-delà de 4 semaines après la phase aiguë,
• des symptômes initiaux et prolongés non expliqués par une autre maladie.
Le premier temps de la consultation doit avoir pour but de rechercher des diagnostics différentiels : complications de la phase aiguë (fibrose pulmonaire, pneumopathie interstitielle diffuse, myocardite, péricardite), pathologies et symptômes pouvant survenir à la phase prolongée du Covid (hyperventilation, hyperréactivité bronchique, dysautonomie, désadaptation à l’effort…) ou décompensation de comorbidités sous-jacentes. Une évaluation des symptômes de la première phase et de l’état actuel du patient est nécessaire. Certains scores pourraient être utilisés : échelle mMRC en cas de dyspnée, score de Nijmegen (pour l’hyperventilation), score HAD d’anxiété, score MoCA en cas d’atteinte cognitive…
L’examen clinique doit être réalisé au repos et à l’effort.
À l’issue de l’examen – en l’absence de critères de sévérité et lorsque le diagnostic de Covid long semble probable –, il est important de faire part d’éléments d’informations qui peuvent ouvrir la porte à un dialogue : temps de récupération variable selon les individus, recul limité des connaissances, absence de traitement étiologique à ce jour mais possibilités de prise en charge avec amélioration des symptômes, intérêt de la reprise de l’activité physique voire du réentraînement à l’effort.
QUAND PRESCRIRE DES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES OU ADRESSER AU SPÉCIALISTE ?
Même si, parfois, des examens complémentaires sont nécessaires, l’escalade de bilans non-pertinents doit être évitée. Néanmoins, un complément paraclinique ou un avis par un spécialiste d’organe en fonction des symptômes peuvent être
nécessaires en cas :
– d’hypoxémie SpO2 ≤ 95 % au repos ou désaturation à l’exercice,
– de douleurs thoraciques faisant évoquer une atteinte cardiaque ou pulmonaire, des troubles du rythme ou des signes d’insuffisance cardiaque,
– des douleurs inexpliquées intenses,
– un syndrome neurologique non expliqué ou s’aggravant,
– une fièvre inexpliquée,
– une atteinte cutanée pouvant justifier une biopsie,
– une aggravation d’une pathologie préexistante,
– des limitations ou restrictions des activités
de la vie quotidienne ou professionnelle.
La prise en charge initiale est fondée sur l’écoute attentive et empathique, ainsi que sur une approche individualisée selon les symptômes. Après cette évaluation holistique associée à une évaluation clinico-bio-psycho sociale et fonctionnelle prenant un compte les comorbidités, un plan de soins peut être proposé dans le cadre d’une décision partagée.
CAS PARTICULIERS
La HAS propose des fiches techniques qui peuvent permettre d’accompagner le suivi médical des patients porteurs de symptômes tels que :
→ Une fatigue prolongée
Outre l’écoute attentive et la recherche systématique d’un syndrome anxio-dépressif, un bilan biologique standard et l’utilisation du score de fatigue de Chalder permettent de proposer des objectifs individualisés. La prévention de la fatigue repose essentiellement sur le non-dépassement brusque des seuils identifiés et tolérés pour les différentes activités de la vie quotidienne. L’amélioration de la fatigue sera progressive avec des fluctuations : c’est pour cette raison que l’intensité de la réadaptation doit se conformer à la tolérance du patient. Le recours à un kinésithérapeute, voire à un service de rééducation/réadaptation, est souvent bénéfique, et en parallèle un soutien psychologique peut être nécessaire si le retentissement de la fatigue est net sur la vie quotidienne et professionnelle.
→ Les troubles dysautonomiques polymorphes
Il s’agit de sensations de vertiges, lipothymie, syncope, sueurs, tachycardie ou bradycardie, nausées, diarrhées, fuites urinaires, troubles de la régulation thermique… Ces troubles peuvent être évalués simplement par la recherche d’une hypotension orthostatique ou d’une arythmie respiratoire à l’aide d’un saturomètre (fréquence cardiaque qui, physiologiquement, augmente lors de l’inspiration et diminue à l’expiration). La prise en charge repose sur l’arrêt de tout traitement (bêtabloquants, antidépresseurs tricycliques, alphabloquants, diurétiques) pouvant aggraver ces signes et des moyens non pharmacologiques peuvent être proposés : collants de contention, fractionnement des repas, lutte contre la déshydratation, augmentation de l’apport en sel. Il est parfois possible de prescrire des traitements tels que la midodrine, la dompéridone, et pour les patients non hypertendus de la fludrocortisone.
→ Les douleurs thoraciques
La première consultation pour douleurs thoraciques prolongées post-Covid est longue. Elle permet de préciser si ces plaintes particulièrement fréquentes sont en lien avec une pathologie cardiaque ou pulmonaire relevant d’une prise en charge spécialisée (péricardite, épanchement pleural, myocardite) ou si elles s’intègrent dans le tableau du Covid long, qui peut comprendre des douleurs pariétales, une contracture des muscles inspiratoires accessoires, une contracture du diaphragme, des causes pleuro-pulmonaires, digestives hautes, digestives basses.
→ Les manifestations neurologiques
Elles sont souvent polymorphes.
Les céphalées – après avoir éliminé les manifestations en lien avec une pathologie crânienne, ORL ou systémique – doivent être traitées par thérapies physiques ou antalgiques de paliers 1 ou 2.
Les troubles cognitifs, décrits le plus souvent comme un ralentissement psychique, un manque de clarté dans la pensée, une difficulté aux tâches quotidiennes, un manque du mot… doivent être évalués par une échelle MoCA et les patients peuvent être si nécessaire référés à un neurologue.
Les myalgies, en l’absence d’affection musculaire, peuvent bénéficier d’une rééducation progressive et non algique.
Les douleurs à type de brûlure relèvent de la prise en charge des douleurs chroniques.
Les troubles du sommeil, qu’ils se traduisent par une fragmentation du sommeil, des cauchemars ou une hypersomnie, doivent être pris en charge selon les recommandations habituelles.
→ La dyspnée prolongée
Elle est souvent sous-diagnostiquée et mise sur le compte de l’asthénie. Or il est essentiel de rechercher des signes objectifs (mesure de la SpO2, recherche de désaturation à l’effort, signes d’insuffisance cardiaque), qui nécessitent la réalisation d’un scanner non injecté et parfois un avis spécialisé. La corticothérapie inhalée n’est pas, à ce jour, conseillée, sauf après avis d’un pneumologue. La réhabilitation respiratoire est de mise, surtout lorsqu’un syndrome d’hyperventilation est associé.
→ Le syndrome d’hyperventilation
Il correspond à un dysfonctionnement post-Covid non parenchymateux, vraisemblablement d’origine centrale (shunt de la voie chémoréceptrice et moindre régulation par le tronc cérébral). Cela peut se traduire cliniquement par un syndrome d’hyperventilation sans pathologie respiratoire documentée. Dyspnée, toux sèche, utilisation des muscles respiratoires accessoires, soupirs, bâillements ne sont pas associés à des signes de désaturation, et une hypocapnie peut être présente. Après avoir éliminé toute pathologie pulmonaire, une prise en charge kinésithérapique, en cabinet et à domicile, fondée sur la conscientisation de la respiration, peut être proposée. Il est possible d’y associer des techniques de relaxation et de sophrologie.
→ Le réentraînement à l’effort
Il doit faire appel aux kinésithérapeutes, ce qui permet d’engager les patients dans une démarche active de réentraînement à l’effort. Les séances comprennent un travail aérobie et de la force musculaire associés, au cas par cas, à un réentraînement des muscles respiratoires, à une action sur l’équilibre, à une réintégration du geste sportif, etc.
→ Les troubles du goût et de l’odorat
Si, après la période d’instauration brutale de l’anosmie, l’odorat se rétablit spontanément dans la majorité des cas, certains patients peuvent se plaindre d’une altération prolongée de la détection des odeurs ou d’une distorsion de la perception des saveurs et des odeurs. Dès le 15e jour, des lavages de nez au sérum physiologique peuvent être proposés, associés à une rééducation olfactive à l’aide de produits courants : vanille, café, clou de girofle, huile essentielle de citron, vinaigre, huile essentielle de lavande, curry, huile essentielle de rose, cannelle… Ces différents ingrédients doivent être placés chacun dans un pot hermétique et deux fois par jour, le patient doit inhaler dans le calme (à 2 cm du nez, pendant 15 secondes et avec un délai de 15 secondes au moins entre chaque stimulation) les parfums, après avoir pris connaissance du contenu du récipient ouvert.
Au-delà de deux mois de symptômes ORL, un avis spécialisé est nécessaire, tout comme une IRM des bulbes olfactifs (lire Mise au point du Généraliste n° 2040 : Les troubles de l'odorat).
→ Les troubles somatiques fonctionnels
Ces symptômes durables, répétés, invalidants dans la vie quotidienne et multiples – au moins trois dans les groupes cardio-vasculaires, gastro-intestinaux, musculo-squelettiques et généraux –, sont à l’origine de consultations parfois complexes à mener en raison d’une étiologie pas encore clairement établie et de facteurs psychologiques ou sociaux prédisposants. Des facteurs d’entretien ou de maintien pérennisent les causes : conduites d’évitement, focalisation attentionnelle, iatrogénie et nomadisme médical, dénigrement de la pénibilité des symptômes, voire rejet par les proches et les soignants. La consultation en soins primaires a pour but de reconnaître les symptômes comme réels et la plainte comme légitime. La prise en charge a pour finalité de briser les cercles vicieux de pérennisation des troubles en proposant une réadaptation à l’effort ou une thérapie cognitivo-comportementale. Il est aussi possible, dans de rares cas, de prescrire des antalgiques ou des antidépresseurs.
Dr Isabelle Catala (rédactrice), Dr Xavier Gocko (MD – PhD, maître de conférences des universités, faculté de médecine, Campus Santé Innovations, 10, rue de la Marandière, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, xavier.gocko@univ-st-etienne.fr, 04 77 42 14 00)
BIBLIOGRAPHIE
1. COVID-19 rapid guideline: managing the long-term effects of COVID-19. https://www.nice.org.uk/guidance/ng188
2. Nalbandian A, Sehgal K, Gupta A et coll. Post-acute COVID-19 syndrome. Nature Medicine. https://www.nature.com/articles/s41591-021-01283-z.pdf.
3. HAS. Covid-19 : diagnostiquer et prendre en charge les adultes présentant
des symptômes prolongés, HAS, 12 février 2021.
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