« Toute céphalée inhabituelle d’apparition récente chez un sujet de plus de 50 ans, en particulier après 70 ans, doit faire évoquer le diagnostic de maladie de Horton » : voilà un adage bien connu des étudiants en médecine. Cependant, la HAS recommande de ne plus parler de « maladie de Horton », qui relève d’une sémantique strictement francophone, mais d’artérite à cellules géantes (ACG), pour s’aligner sur la terminologie internationale.
ÉVOQUER LE DIAGNOSTIC : LA CLINIQUE !
Un diagnostic d’ACG repose sur des éléments cliniques, des examens complémentaires et la réponse au traitement corticoïde. Il n’y a pas d’algorithme diagnostique universellement accepté. Le rôle du médecin généraliste est d’évoquer le diagnostic d’ACG et d’orienter rapidement un patient suspect d’ACG vers un centre spécialisé.
Le tableau peut être typique (manifestations cliniques évocatrices chez un patient de plus de 50 ans), ou extrêmement peu spécifique, telle une altération de l’état général avec syndrome inflammatoire. De même, si les symptômes évoluent souvent depuis plusieurs semaines ou mois, le début peut également être brutal. Aucun signe n’est constant.
La pierre angulaire : céphalique
L’ACG est une maladie inflammatoire vasculaire localisée préférentiellement aux branches des artères carotides externes (notamment la temporale superficielle), aux artères ophtalmiques et leurs branches, et aux artères vertébrales. Ce tropisme explique ses principales manifestations cliniques « céphaliques ». Les céphalées sont d’installation récente voire soudaine ; le siège est totalement aspécifique : temporal, occipital, hémi- ou holocrânien. C’est surtout leur caractère inhabituel qui doit alerter. L’hyperesthésie du cuir chevelu (« signe du peigne », douleur au contact de l’oreiller) ou la claudication/douleur de la mâchoire sont moins fréquents mais plus spécifiques. Une nécrose linguale, du voile du palais ou du scalp sont très fortement évocatrices du diagnostic, mais exceptionnelles. Dans certains cas, une toux sèche rebelle est la plainte principale. L’examen clinique doit rechercher des anomalies uni- ou bilatérales de l’artère temporale qui peut être turgescente, saillante, sensible, indurée, irrégulière, hypo-pulsatile ou sans pouls.
La gravité immédiate : ophtalmique
L’atteinte ophtalmique détermine la gravité immédiate d’une ACG. Il peut s’agir soit d’un trouble visuel monoculaire ou bilatéral transitoire ou permanent (voile noir, scotome central ou déficit du champ visuel partiel), soit d’une diplopie transitoire ou permanente. En cas de baisse de vision permanente, l’examen ophtalmologique conduit 9 fois sur 10 à un diagnostic de NOIA ou, plus rarement, d’une occlusion de l’artère centrale de la rétine ou d’une neuropathie optique ischémique postérieure. Encore plus rarement, un trouble visuel peut révéler une cécité corticale révélant un AVC occipital (territoire vertébro-basilaire).
Les signes généraux : fréquents
Le motif principal de consultation peut être une anorexie/amaigrissement, une asthénie, un fébricule/fièvre persistante. Les signes généraux sont rarement spectaculaires. Environ 50 % des ACG s’accompagnent d’une PPR. Des arthralgies périphériques (poignets, mains, chevilles) d’aspect œdémateux ou des myalgies diffuses peuvent également être observées.
L’atteinte des gros vaisseaux : silencieuse
L’atteinte des artères de plus gros calibre est le plus souvent infra-clinique, mais il peut s’agir d’une claudication ou, exceptionnellement, d’une ischémie. L’examen clinique doit rechercher une anisotension, un souffle d’insuffisance aortique, un souffle artériel (sous-clavier, axillaire ou fémoral), ou un anévrysme de l’aorte abdominale. La rupture d’un anévrysme ou la dissection aortique inaugurales sont rares mais graves.
Le syndrome inflammatoire : quasi-constantLa réaction inflammatoire systémique est quasiconstante et l’absence de syndrome inflammatoire rend le diagnostic d’ACG assez improbable. Les seuils des valeurs habituellement observés dans un contexte d’ACG sont d’au moins 50 pour la VS et d’au moins 25 pour la CRP. Un tiers des patients présente une cholestase anictérique, mais sa valeur prédictive positive est faible.Enfin, il existe des circonstances balisées où l’ACG doit être systématiquement évoquée : neuropathie optique ischémique antérieure (NOIA), pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR), aortite, AVC ischémique - en particulier vertébrobasilaire.
QUI EST TOUCHÉ ?
• Comme le dit l’adage, l’ACG touche effectivement les plus de 50 ans, même si l’incidence atteint son maximum après 70 (survenue à 75 ans en moyenne). Les femmes représentent 70 à 75 % des diagnostics. La maladie concerne surtout les populations d’origine européenne (avec un gradient décroissant du Nord vers le Sud), et est beaucoup plus rare chez les personnes d’origine africaine, asiatique ou des pays arabes.
• L’ACG reste une maladie rare en France même si son incidence aurait au moins triplé entre 1950 et 1995, du fait du vieillissement de la population combiné à une meilleure identification des cas.
• Son étiologie n’est pas bien comprise. Le terrain génétique prédisposant (HLADR4) n’aurait qu’un rôle mineur face aux facteurs de risque environnementaux. Une artériosclérose préexistante est un facteur prédisposant. Bien que suspectée, aucune hypothèse infectieuse n’est pour l’instant confirmée.
CONFIRMER LE DIAGNOSTIC
Dès que le diagnostic d’ACG est suspecté, les examens de confirmation diagnostique doivent être planifiés au plus vite en raison du risque imprévisible de survenue de complications ophtalmologiques irréversibles.
► La biopsie d’artère temporale (BAT) est l’examen de référence. Facile à réaliser, en ambulatoire sous anesthésie locale, elle ne se complique qu’exceptionnellement. Dans une situation de diagnostic « hautement probable », la biopsie ne doit pas retarder la mise en route du traitement puisque les anomalies histologiques persistent pendant au moins 15 jours. Environ 60 à 80 % des cas d’ACG ont une BAT positive : une biopsie sans signe inflammatoire net n’écarte donc pas le diagnostic. Dans 10 à 20 % des ACG, la BAT ne montre des anomalies que d’un seul côté.
► L’imagerie est parfois utilisée. L’échographie-Doppler de l’artère temporale, réalisée par un opérateur très expérimenté disposant d’une sonde de haute fréquence, montre fréquemment un « halo » hypo-échogène circonférentiel (photo 1). Le « halo » peut aussi être vu sur les artères sous-clavières, axillaires, mandibulaires ou fémorales. L’écho-Doppler doit être fait avant ou dans les jours qui suivent l’instauration du traitement puisque les anomalies peuvent disparaître rapidement. Cette méthode est toujours en cours d’évaluation. Sa sensibilité serait de 54 % et sa spécificité de 81 %.
► L’inflammation artérielle peut aussi être visualisée par une IRM des artères temporales, une angio-TDM, une angio-IRM ou un TEP-scanner. L’avantage de cette approche est qu’elle permet, en plus de conforter le diagnostic, de bilanter les lésions de l’aorte et/ou de ses branches, présentes chez la moitié des patients. Onéreux et d’accès limité, on considère les examens de l’aorte thoracique et abdominale comme relevant de la 2e intention, en cas d’incertitude diagnostique et de BAT non contributive.
► Au terme de ces explorations, il restera certains patients chez qui le diagnostic n’a pu être affirmé de manière certaine. Une réponse favorable au traitement et l’absence de diagnostic alternatif avec un recul de plusieurs mois confirmeront définitivement le diagnostic.
ÉVALUER LA GRAVITÉ
► Le pronostic vital de l’ACG en France est globalement bon, même si la morbimortalité cardio-vasculaire et cérébro-vasculaire est multipliée par 1,5 à 2. La gravité d’une ACG est avant tout conditionnée par l’atteinte ophtalmologique et les complications d’une aortite.
► En pratique, il convient de faire à tout patient chez qui a été diagnostiqué une ACG un examen ophtalmologique systématique.
► La présence d’une complication aortique (dilatation, anévrysme ou dissection aortique, insuffisance aortique) doit être dépistée dès la phase initiale de la maladie et de manière régulière au cours du suivi, les complications survenant habituellement plusieurs années après le diagnostic. En particulier, les anévrysmes de l’aorte thoracique ascendante sont 2-17 fois plus fréquents qu’en population générale. Les modalités de ce dépistage ne sont pas codifiées : TDM ou IRM thoraco-abdominale au diagnostic puis tous les 2 à 5 ans, ou, pour certains, échographie cardiaque transthoracique.
On ne dispose pas de marqueur pouvant prédire la réponse au traitement ou la survenue de complications dues à la maladie ou au traitement. Cependant, après 1 à 2 semaines d’un traitement adéquat, les personnes sont habituellement à l’abri des complications ischémiques les plus graves.
TRAITER : OÙ, QUAND, COMMENT, COMBIEN ?
Les modalités du traitement relève du spécialiste, mais le médecin généraliste doit savoir planifier les soins.
► Dans l’ACG avec atteinte ophtalmique, le traitement doit être débuté immédiatement, sans attendre un avis complémentaire : une dose orale de prednisone (1 mg/kg) au cabinet médical ou dès sa sortie, puis hospitalisation en urgence. À l’hôpital, le patient recevra des bolus IV de méthylprednisolone (500-1 000 mg/jour), pendant 3 jours, avec un relais par la prednisone orale à 1 mg/kg/jour.
► Pour une ACG non compliquée, une posologie de prednisone orale de 0,7 mg/kg/j est recommandée et maintenue pendant 2-4 semaines. La phase de décroissance peut être débutée dès que les manifestations cliniques et le taux plasmatique de CRP sont contrôlés. Pendant cette phase de décroissance, les objectifs de dose de prednisone à atteindre sont de 15 à 20 mg/j au 3e mois, de 10 mg/jour au 6e mois, de 7,5 mg/j au 9e mois et de 5 mg/jour à un an. Le traitement à partir de ce seuil de 5 mg/j de prednisone correspond à la phase de sevrage pendant laquelle la décroissance sera de 1 mg/mois. En cas d’évolution favorable, le traitement corticoïde peut être arrêté au terme de 18-24 mois. Le sevrage définitif n’est pas toujours facilement obtenu : les rechutes ou récidivent surviennent dans au moins 40 % des cas.
► La corticosensibilité rapide, souvent spectaculaire, est la règle sur la plupart des symptômes (céphalées, claudication de la mâchoire, douleurs articulaires) qui commencent à régresser en 24-72 heures. L’hyperesthésie du cuir chevelu, la nécrose du scalp ou de la langue, les anomalies cliniques de l’artère temporale sont plus lentes à régresser. Une résistance primaire au traitement corticoïde est extrêmement inhabituelle et l’absence d’amélioration doit conduire à une remise en cause du diagnostic d’ACG. La fréquente absence de récupération d’un déficit visuel signe habituellement une séquelle et non d’une résistance au traitement.
► La CRP revient généralement à la normale en 1 à 3 semaines. Les paramètres inflammatoires à cinétique lente (VS, fibrinogène) sont plus longs à se corriger. En cas de réponse complète, l’ensemble des marqueurs inflammatoires se normalise environ en 4 semaines. Aucun autre examen n’est nécessaire pour surveiller la réponse au traitement.
► La prescription éventuelle de traitements adjuvants (méthotrexate, tocilizumab), notamment en cas de rechutes multiples ou de corticodépendance, est une décision d’expert.
TRAITEMENTS ASSOCIÉS, ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
► L’indication d’une antiagrégation plaquettaire (75 à 300 mg/j) par aspirine est incertaine. Il semble raisonnable d’en réserver la prescription aux ACG avec atteinte ophtalmologique, en prévention secondaire. Pour toutes les autres formes d’ACG nouvellement diagnostiquées, la prescription d’aspirine doit se faire au cas par cas après évaluation du risque vasculaire individuel (par exemple par l’outil SCORE). Il en est de même pour les statines et les IEC/ARA2.
► En cas de lésions structurales de l’aorte, la pression artérielle doit être étroitement contrôlée. Le tabagisme est un facteur de risque de complication d’une aortite.
► La prévention de l’ostéoporose cortisonique est souvent sous-estimée. L’indication à prescrire un traitement anti-ostéoporotique est formelle. Les biphosphonates de référence sont l’alendronate ou le risédronate (par voie orale) ou l’acide zolédronique (5 mg en perfusions IV) pendant 2 ans. La supplémentation vitaminocalcique, le sevrage d’un tabagisme, une limitation de l’alcool et une activité physique régulière font partie des recommandations systématiques.
► La vaccination anti-grippale saisonnière et antipneumococcique est spécifiquement recommandée aux patients traités par corticoïdes pour une maladie inflammatoire chronique. Une corticothérapie prolongée (≥10 mg/jour d’équivalent prednisone) contre-indique l’administration de vaccins vivants atténués.
► Les diabètes cortico-induits sont fréquents dans cette population âgée et l’intervention d’un(e) diététicien (ne) est justifiée pour mettre en place un régime alimentaire adapté en termes d’apports glucidiques, caloriques et sodés. Il faut tout autant s’assurer de l’absence de perte de poids ou de déshydratation chez des patients qui suivraient les conseils diététiques de manière trop assidue. La myopathie cortisonique est prévenue par une activité physique régulière voire des séances de kinésithérapie.
► Comme dans la plupart des maladies chroniques, il existe une association de patients pouvant aider le patient à comprendre sa pathologie : www.associationvascularites.org
Outil pour la pratique
Outil SCORE du calcul du risque cardiovasculaire global.
http://www.heartscore.org/fr_FR
Bibliographie
1- Haute Autorité de Santé, Filière de Santé des Maladies Auto-Immunes et AutoInflammatoires Rares et Groupe d’Etude Français des Artérites des gros vaisseaux. Artérite à cellules géantes (Horton). Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS). Juillet 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-08/pn…
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