INTRODUCTION
L’arthrose est la plus fréquente des maladies articulaires et constitue la première cause d'invalidité dans les pays industrialisés. En France, elle toucherait environ 10 millions de personnes, avec un coût estimé de plus de 3,5 milliards d'euros.
Alors que les traitements pharmacologiques sont pour la plupart des traitements symptomatiques de court terme, l’approche non pharmacologique apparaît comme un élément essentiel et complémentaire de la prise en charge.
Cependant, si certaines interventions ont démontré leur efficacité, avec des niveaux de preuves parfois plus importants que ceux des traitements médicamenteux, d’autres sont utilisées régulièrement malgré un niveau de preuve insuffisant.
Par ailleurs plusieurs études qualitatives récentes soulignent à la fois le manque de confiance des patients envers une prise en charge jugée « simpliste » et les réserves de certains soignants quant aux résultats et à l’applicabilité de ces traitements.
Dans ce contexte, la SFR* s’apprête à publier, conjointement avec la SOFMER**, de nouvelles recommandations dédiées aux traitements non pharmacologiques de la gonarthrose.
Ce travail complète les recommandations de la SFR parues en 2020 sur le traitement pharmacologique de la gonarthrose.
Il concerne toutes les gonarthroses de l’adulte, y compris l’arthrose traumatique du sujet jeune.
Une analyse systématique de la littérature (voir encadré ci-dessous) a permis de préciser l’efficacité des différents traitements non-pharmacologiques de la gonarthrose, puis d’en préciser la place dans la prise en charge.
Ont été étudiés : les aides techniques (orthèses genoux et semelles, chaussures, aides à la marche…), les exercices et activités physiques, les traitements topiques (laser, acupuncture, ultrasons…), l’éducation et les thérapies cognitivo-comportementales, et la nutrition (contrôle pondéral, aliments, compléments alimentaires, régimes…)
Cet article résume pour chaque traitement étudié, les conclusions de cette analyse et les cinq principes généraux et 11 recommandations qui en découlent.
En pratique, l’activité physique, l’éducation et le contrôle pondéral (si nécessaire) ressortent comme les trois piliers de la prise en charge non médicamenteuse, avec un haut niveau de preuve.
Quel que soit le traitement considéré, aucun effet structural n’a été mis en évidence. Les bénéfices observés sont essentiellement d’ordre fonctionnel et/ou antalgique.
APPROCHE NUTRITIONNELLE
> Le contrôle pondéral
Le surpoids est l'un des grands facteurs de risque de gonarthrose. A contrario, la réduction pondérale, quelles qu’en soient les modalités, s’est montrée efficace pour réduire les symptômes et notamment la douleur. Selon les études, une réduction minimale de 5 % du poids corporel est nécessaire pour obtenir un bénéfice clinique significatif. Une perte de poids de 10 % permet une amélioration de 20 % du score Womac douleur.
En conséquence :
[RECO 9] En cas de surpoids ou d’obésité, une perte d’au moins 5 % du poids corporel doit être proposée .
La perte de poids doit être encadrée, progressive (1 à 2 kg/mois) et couplée avec de l’activité physique (effet positif sur les symptômes de la gonarthrose et en prévention de sarcopénie). L’accent doit être mis sur le maintien de la perte de poids dans le temps. Les régimes à très basses calories sont déconseillés.
> Régimes et compléments alimentaires
Différents aliments ou compléments alimentaires (huile de poisson, vitamines D et E, algue marine, créatine, écorce de saule, membrane de coquille d’œuf, méthyl sulfonyle méthane, boswellia serrata, collagène, gingembre, écorce de pin, acide hyaluronique, L Carnitine, pré- ou probiotiques) ont été proposés contre l’arthrose. Cependant, compte tenu de l’hétérogénéité et de la faible qualité des études, les données sont insuffisantes pour émettre des recommandations positives.
Le curcuma a fait l’objet de plusieurs essais randomisés et métanalyses suggérant un bénéfice sur les symptômes mais les données et la qualité méthodologique sont trop hétérogènes pour conseiller un usage en pratique courante.
Ainsi, à l’heure actuelle, aucun aliment/complément alimentaire ne peut être conseillé chez le sujet atteint de gonarthrose.
Par ailleurs, aucun régime d’exclusion n’a fait la preuve de son efficacité dans la gonarthrose.
ACTIVITÉ ET EXERCICES PHYSIQUES
> L’activité physique
Comme évoqué dans les principes généraux (voir encadré ci-dessous), l’activité physique doit être systématiquement encouragée, quel que soit le stade de la maladie, en prenant en compte les capacités physiques et les comorbidités des patients.
L’objectif est d’atteindre ou dépasser les recommandations OMS pour la santé (activité modérée régulière 30 mn par jour 5 jours/semaine). Il peut être nécessaire de commencer par des activités de faible durée et/ou de faible intensité́, afin de favoriser l’adhésion.
> Les programmes d’exercices physiques
En complément de l’activité physique quotidienne, les recommandations mettent l’accent sur la pratique d’exercices physiques plus spécifiques, dans le cadre d’un programme dédié, pour un effet additif.
De nombreuses études démontrent le bénéfice de l’exercice physique sur la douleur et la fonction à court et moyen terme, avec des tailles d’effet entre 0,5 et 0,6 pour la kinésithérapie (vs par exemple 0,2 à 0, 4 pour le paracétamol, 0,5 à 0,7 pour les anti-inflammatoires).
En conséquence :
[RECO 5] Un programme d’exercices physiques, à sec et/ou en milieu aquatique, ciblant les membres inférieurs doit être proposé.
La pratique sera encadrée dans un premier temps par un kinésithérapeute, avant d’envisager un apprentissage des auto-exercices.
Les modalités d’intervention (fréquence, intensité, rythme…) ne sont pas clairement définies. L’ordonnance précisera le type d’exercice : renforcement musculaire et étirements des chaînes antérieures et postérieures (en évitant les exercices de renforcement à haute intensité). Des massages peuvent associés, les études montrant un effet antalgique à court terme, de durée limitée et modeste.
Par ailleurs, dans une optique de prévention de l’enraidissement, notamment en préopératoire :
[RECO 6] Les mobilisations articulaires doivent être intégrées au programme d’exercices physiques
Les données disponibles suggèrent une efficacité potentielle pour les interventions répétées mais les études sont hétérogènes et comportent des biais importants. Le bénéfice peut être optimisé et prolongé par l’auto-mobilisation.
TRAITEMENTS TOPIQUES
> Les techniques antalgiques
Différentes techniques antalgiques, souvent non remboursées, sont utilisées actuellement dans la gonarthrose. Peu de données soutiennent leur usage, les études disponibles étant de faible qualité et présentant de nombreux biais.
En conséquence :
[RECO 4] L’électrothérapie, la thermothérapie, la thérapie par ondes de choc, le laser et les thérapies électromagnétiques ne doivent pas être utilisées.
Cette recommandation négative pourrait évoluer pour l’électrothérapie, une étude française récente bien conduite ayant montré un bénéfice du Transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) notamment en termes d’épargne en antalgiques.
Pour les ondes de chocs extracorporelles, leur utilisation pourrait se discuter au cas par cas en présence de douleur d’origine péri-articulaire (tendons, ligaments) surajoutée.
> L’acupuncture
Deux études récentes de bonne qualité ont démontré un bénéfice à court terme de l’acupuncture sur la douleur et la fonction.
Elle pourrait être proposée à visée antalgique non spécifique (recommandation 8).
Compte tenu de certains bémols (faible effet à long terme, hétérogénéité des techniques, effet placebo contextuel, coût des séances pour le patient, etc.), le groupe de travail propose de privilégier l’acupuncture chez des patients atteints de douleurs diffuses chroniques, en cas d’échec d’autres thérapeutiques (avis d’experts).
AIDES TECHNIQUES
> Les semelles
Les semelles orthopédiques (semelles correctrices en valgus ou en varus notamment) sont souvent plébiscitées par les patients mais il n’y pas de preuve décisive de leur efficacité. Elles n’ont donc pas d’indication sauf en cas de troubles morphostatiques (pied plat, pied creux, etc.).
Par ailleurs, les chaussures plates sont à éviter au profit de modèles avec un bon support de la voûte plantaire, les chaussures de soutien stables améliorant davantage la douleur au genou lors de la marche selon une étude récente.
En conséquence :
[RECO 3] Le port de chaussures adaptées (chaussures souples avec semelles amortissantes neutres) doit être conseillé.
> Les orthèses
Les orthèses souples (genouillères) et le « kinesio-taping » (technique consistant à coller des bandes adhésives autour du genou pour diminuer la sensation douloureuse, et renforcer la stabilité sans limiter les mouvements) n’ont pas démontré de façon décisive leur efficacité sur la douleur ou la fonction dans l’arthrose fémorotibiale.
En conséquence :
[RECO 2] Orthèses souples et bandes adhésives de contention ne doivent pas être proposées pour la prise en charge symptomatique de la gonarthrose.
Elles gardent une place potentielle en cas d’atteinte fémoropatellaire avec instabilité ou ponctuellement lors de la pratique d’un exercice physique, dans une optique de sécurisation du patient plutôt qu’à visée fonctionnelle.
Les orthèses de décharge sont des dispositifs médicaux qui permettent de soulager les contraintes sur le compartiment fémorotibial. Elles ont démontré un bénéfice sur la douleur, la fonction et la qualité de vie en comparaison aux soins usuels.
En conséquence :
[RECO 1] Les orthèses de décharge peuvent être proposées en cas de douleurs prédominant sur un compartiment fémorotibial.
Leur efficacité est conditionnée à un port régulier d’au moins cinq heures par jour. Elles peuvent être à l’origine d’effets indésirables notamment à type de frottements et abrasions cutanées. Leur prescription est réservée à certains spécialistes (chirurgiens orthopédistes, médecins de MPR, rhumatologues) et implique un moulage sur mesure.
Compte tenu de ces contraintes, elles s’adressent préférentiellement à certains patients, par exemple des sujets plutôt jeunes avec un trouble statique (varus valgus) lors de la reprise d’une activité physique plus intense.
> Les cannes
Même si la littérature est particulièrement pauvre, l’usage de la canne est systématiquement recommandé par toutes les sociétés savantes. Une étude de référence de 2012 retrouve un bénéfice faible sur la douleur, la fonction, la qualité de vie et la distance de marche. Elle permet de favoriser l’autonomie, d’améliorer la qualité de la marche et d’éviter les chutes.
En conséquence :
[RECO 4] Le port d’une canne peut être proposé pour soulager les douleurs et/ou améliorer la marche.
Le groupe de travail conseille un usage notamment en cas de participation osseuse de la gonarthrose (nécrose, fissure, œdème, péri méniscite). La canne doit théoriquement être utilisée du côté controlatéral au genou symptomatique.
AUTRES INTERVENTIONS
> Les cures thermales
Spécificité française, les cures thermales sont peu étudiées à l’international. Les données disponibles (dont une seule étude de bonne qualité) suggèrent un bénéfice essentiellement en association à l’activité physique, dans le cadre d’une démarche éducative.
En conséquence :
[RECO 10] Une cure thermale intégrant de l’éducation à la maladie et de l’activité physique pourrait être proposée.
Compte tenu de certaines limites (accessibilité pour les sujets professionnellement actifs, impact financier du thermalisme), le groupe de travail conseille de proposer la cure thermale surtout aux sujets âgés, volontiers polyarthrosique.
> Prise en compte du milieu professionnel
La gonarthrose fait partie des causes fréquentes d’inaptitude au travail et touche de plus en plus des sujets jeunes encore en activité professionnelle. Le groupe de travail a donc inclus dans ses recommandations une recommandation spécifique :
[RECO 11] Les patients susceptibles de présenter des difficultés à leur poste de travail peuvent être adressés au médecin du travail, ou à défaut à un Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales, afin de mettre en place une stratégie de maintien dans l’emploi.
Il s’agit d’une recommandation d’expert de faible niveau de preuve (pas d’étude disponible). L’objectif est d’informer, de prévenir et d’orienter les patients pour les démarches médico-administratives en vue d’une éventuelle évolution des conditions de travail (adaptation du poste, reconversion, voire possibilité de retraite précoce).
Cinq grands principes
En compléments de leurs 11 recommandations spécifiques, la SFR et la SOFMER ont émis cinq grands principes généraux sur la prise en charge non pharmacologique de la gonarthrose :
• La prise en charge optimale de la gonarthrose associe des mesures non pharmacologiques et pharmacologiques, dans le cadre d’un accompagnement faisant intervenir des professionnels de santé et de l’activité physique.
• Elle doit être personnalisée et fondée sur une décision partagée tenant compte des besoins et des préférences du patient. Plusieurs paramètres du patient doivent être pris en compte dans les choix thérapeutiques : déficiences (présence d’un épanchement, raideur, intensité de la douleur, niveau du handicap, âge, comorbidités, caractère aigu ou chronique des douleurs, polyarthrose associée) ; activité et participation du patient (profil d’adhésion prévisible) ; contexte (professionnel, sportif, facteurs personnels, coût et remboursement des mesures non-pharmacologiques).
• L’adhésion à long terme des patients aux mesures non-pharmacologiques est déterminante et nécessite des réévaluations régulières.
• L’activité physique adaptée doit être systématiquement proposée (voir ci-dessus).
• Une éducation du patient à la gonarthrose associée à l’acquisition de techniques d’auto-gestion doit être systématiquement proposée.
L'éducation des patients a démontré son intérêt à la fois pour réduire les symptômes et améliorer l’adhésion du patient aux mesures non-pharmacologiques. Vu l’hétérogénéité des programmes éducatifs et des techniques d’auto-gestion, le groupe de travail ne privilégie aucun modèle en particulier. L’arthrose n’étant pas une ALD, elle ne fait pas l’objet de programme d’éducation thérapeutique structuré systématique.
Les sujets d’intérêt pour les patients sont nombreux : connaissance de la maladie, gestion de la douleur, alimentation, activité physique, préparation à la chirurgie…
Méthodologie
Ces recommandations reposent sur une analyse systématique de la littérature sur l’efficacité des traitements non-pharmacologiques dans la gonarthrose, arrêtée au 1er octobre 2021.
Seuls les méta-analyses et les essais randomisés contrôlés ont été retenus.
Cinq types d’interventions ont été étudiés : exercices et activités physiques, traitements topiques, éducation et thérapies comportementales et cognitives (TCC), et la nutrition (contrôle pondéral, aliments, compléments alimentaires, régimes…).
L’élaboration des recommandations s’est fondée sur les procédures standardisées de l’EULAR ;
Chaque recommandation s'est vue attribuer une force de recommandation (A à D) et un niveau de qualité des preuves (1A à 4). Un comité indépendant de lecture a indiqué son niveau d’agrément.
* Société française de rhumatologie
** Société française de médecine physique et de réadaptation
Mise au point
La dermoscopie en médecine générale
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?