Nadège, 19 ans, vient consulter avec sa tante car depuis quelques mois, elle a de gros problèmes de sommeil. En parallèle, ses résultats scolaires sont catastrophiques. Ses parents ont divorcé il y a deux ans et ont chacun reconstitué un nouveau foyer. Nadège doit donc composer avec une nouvelle belle-mère et un nouveau beau-père. Cette jeune patiente est quelque peu triste, mais très attachée à sa tante célibataire qui la considère comme sa fille. L’examen clinique se révèle satisfaisant, excepté sur son bras gauche où la présence de cicatrices (cliché 1) témoigne d’une automutilation sans notion de suicide (Non-suicidal Self-Injury : NSSI).
INTRODUCTION
Les automutilations débutent le plus souvent dans l’adolescence (entre 13 et 15 ans).
Dans près de 80 % des cas, elles concernent des jeunes filles. 14 et 21 % des adolescents reconnaîtraient s’être mutilés et plus de 25 % de ceux concernés disent avoir effectué ce geste plusieurs fois.
Ces chiffres sont bien plus importants chez les patients suivis en unité psychiatrique : chez ceux qui sont suivis en ambulatoire, 40 % se sont automutilés, tandis que parmi les hospitalisés, entre 40 et 60 % se sont automutilés.
La prévalence de ces gestes est en nette augmentation depuis près de 35 ans.
À noter encore que dans 36 % des cas, aucun membre de l’entourage, proche ou non, n’a été mis au courant d’un tel geste, et que seuls 3,3 % des patients s’étant automutilés ont consulté un médecin.
DIFFÉRENTS TYPES D’AUTOMUTILATION
Six critères (selon Gratz et American Psychiatric Association) permettent de mettre en avant les NSSI (TAB. 1).
En parallèle, pour mieux les caractériser, la classification de Favazza est fréquemment utilisée. Elle permet de différencier les automutilations en trois catégories :
■ Les automutilations superficielles ou modérées
Il s’agit de la configuration la plus fréquente. Elle est en très nette augmentation depuis près de dix ans chez les adolescents. C’est un comportement qui a pour but d’atteindre directement une partie de son corps, sans réelle volonté de mettre fin à ses jours.
Trois formes sont classiquement décrites :
– la dermabrasion avec les ongles ou un outil peu contondant,
– la scarification,
– les brûlures, avec une cigarette le plus souvent.
Il peut s’agir d’une automutilation compulsive avec une attitude répétitive qui a pour conséquence de ne pas favoriser la cicatrisation des plaies engendrées : morsure d’un bras, onychotillomanie, périonyxis secondaire à des manipulations fréquentes de la matrice unguéale, onychophagie excessive avec atteinte matricielle.
Il peut également s’agir d’une automutilation impulsive qui est souvent épisodique, mais peut être parfois répétitive : plaies réalisées avec l’aide d’un rasoir, scarifications profondes avec un morceau de verre ou la mine d'un crayon.
Il est également important de déterminer le site concerné par ces automutilations superficielles. Si les lésions surviennent sur un avant-bras opposé à la main directrice, elles sont souvent pathognomoniques d’une automutilation dans un contexte non psychiatrique. L’adolescent souhaite par ce geste « canaliser » son mal-être, qu’il « soulage » de cette manière.
A contrario, des scarifications multiples sur tout le corps doivent faire penser à l’existence d’une pathologie psychiatrique sous-jacente.
■ Les automutilations majeures
Elles conduisent le sujet à effectuer des actes destructeurs : énucléation, émasculation, fractures diverses au niveau d’une partie du corps. Le plus souvent, ces automutilations sont associées à des pathologies psychiatriques importantes qui nécessitent une prise en charge adaptée (schizophrénie, états délirants).
■ Les automutilations stéréotypiques
On les observe le plus souvent chez un sujet ayant une pathologie psychiatrique (autisme, oligophrénie, pathologie neurologique dégénérative). Il peut s’agir de compressions des globes oculaires, de traumatismes de la tête contre un mur.
COMMENT L’EXPLIQUER
Différents facteurs peuvent expliquer ces automutilations.
→ La peau est une enveloppe qui est une marque identitaire
La peau est une barrière qui est un outil permettant un échange avec les autres. C’est à ce niveau que se développent des interactions sensorielles.
La NSSI est une manière pour l’adolescent de reprendre le dessus sur lui-même. Il réagit sur son corps, car son corps lui appartient. La souffrance éprouvée par ce jeune est imprimée, et permet d’avoir un souvenir d’une période difficile à vivre.
→ Les NSSI, une manière d’expression
Les automutilations sont une manière de retourner vers soi les colères que l’on peut avoir vis-à-vis des autres, ou d’apaiser la souffrance psychique.
Il est plus facile de prendre en charge une blessure physique (traitement local) qu’une blessure psychique, dont la prise en charge est difficile.
Certains psychiatres mettent en avant le fait que ces manifestations sont une façon pour l’adolescent de donner une réalité à des propos qu’ils ne savent pas exprimer. Ainsi, on peut considérer que le sang qui coule suite à l’automutilation est une représentation des larmes que l’adolescent ne peut extérioriser.
D’autre part, il existe souvent une ambivalence suite à la réalisation de ce geste. L’adolescent exprime au travers de son automutilation sa volonté plus ou moins consciente d’attirer l’attention sur lui, alors qu’il peut également éprouver une certaine honte vis-à-vis d’un geste que la société réprouve.
→ L’adolescence, période de grands changements
Le jeune change d’identité durant cette période. Il devient plus autonome, des modifications morphologiques (puberté, acné, sexualité) s’opèrent sans qu'il ait la possibilité d’intervenir.
Aussi, pour manifester sa volonté d’être maître de lui-même, le jeune intervient en s’automutilant.
Ce processus est d’autant plus important que l’adolescent se trouve en situation d’échec ou est victime de moqueries de la part de son entourage (cas de l’acné, d’un problème de surpoids, etc.).
INTERROGATOIRE ET PRISE EN CHARGE
→ L’interrogatoire est un élément prépondérant très utile pour une prise en charge ultérieure de l’adolescent. Tout praticien doit intervenir dans ce contexte pour comprendre les raisons d’une automutilation.
Il est donc important de rechercher et d’évaluer :
– d’éventuels conflits familiaux (sentiment d’abandon comme dans le cas de Nadège, drame familial, relations incestueuses),
– l’existence de problèmes scolaires (harcèlement à l’école ou par le biais de réseaux sociaux, rejet de camarades, etc.),
– des problèmes sentimentaux pouvant conduire à de tels actes (rupture sentimentale, difficulté de mettre en avant son identité sexuelle).
Cet interrogatoire est parfois difficile à réaliser car les adolescents peuvent avoir peur de se confier. Dans ce contexte, il est important que le médecin mette en avant son empathie, son écoute et sa compréhension vis-à-vis de cette situation.

→ La prise en charge Souvent, ces adolescents en souffrance vont consulter en premier lieu leur « référent », en l’occurrence leur médecin de famille. Il existe entre le jeune et ce praticien une relation de confiance qui s’est construite au fil des ans.
Ils se connaissent bien sur certains plans, alors qu’il existe aussi parfois des non-dits ou des histoires privées du patient qui n’ont jamais été abordées ou dévoilées.
Aussi, pour mener à bien cette prise en charge, il est souvent impératif de voir l’adolescent plusieurs fois ; impératif aussi d’avoir un entretien sans la présence des parents. Il arrive alors que de graves problèmes familiaux (inceste notamment) puissent être verbalisés par l’adolescent, qui a beaucoup de culpabilité à les exprimer.
Le praticien est le thérapeute, qui doit avoir une oreille attentive et empathique envers l’adolescent. Il va lui donner des conseils d'ordre pratique : hygiène de vie, organisation de ses journées au collège ou au lycée, etc.
Ces démarches permettent de lui montrer qu’il est attentif à ses problématiques de santé, et qu’il souhaite l’aider. C’est par ce biais, et lorsque la confiance sera obtenue, qu’il sera possible de proposer une prise en charge spécifique des automutilations, comme la psychothérapie.
Il ne faut pas oublier que les automutilations surviennent le plus souvent dans un contexte non suicidaire. Ces actions sur son propre corps sont avant tout une manière de montrer pour l’adolescent qu’il veut vivre et non tenter de mettre fin à ses jours.
Néanmoins, il faut être prudent car pour certains auteurs, il peut exister un risque suicidaire, que le praticien doit être capable d’identifier. Ainsi, des auteurs ont défini des items qui doivent alerter le praticien : apparition des NSSI avant l’âge de 15 ans ; répétition de ces actions d’automutilation ; association de NSSI et de conduites addictives avec parfois des conséquences sur la santé (comme un coma éthylique) ; présence de troubles du comportement alimentaire (l’adolescent se faisant vomir, par exemple).
Bibliographie
1. Choquet M, Pommereau X, Lagadic C. Les élèves à l’infirmerie scolaire : identification et orientation des jeunes à haut risque. Ed. Inserm 2001.
2. Whitlock J, Eckenrode J, Silverman D. Self injurious behaviors in a college population. Pediatrics 2006 ; 117 (6) : 1939-1948.
3. Pommereau X. L’adolecence scarifiée. Ed. L’harmattan 2009.
4. Fournier L, Malcher A. L’automutilation, ce symptôme qui retient notre attention. Revue Médicale Belge 2017 ; 72 ; 4 : 199-204.
5. Gratz KL, Dixon-Gordon KL, Chapman AL, Tull MT. Diagnosis and characterization of DSM-5 nonsuicidal sel-injury disorder using the clinician-administered Nonsuicidal Self-injury Disorder Index. Assessment 2015 ; 22 (5) : 527-539.
6. Hu T, Watson W. Automutilation non suicidaire chez les adolescents. Candian Family Physician 2018 ; 64 : 195-197.
7. Garel P. L’automutilation superficielle à l’adolescence : le corps dans tous ses états. Cahiers critiques de Thérapie familiale et de Pratique de Réseaux 2008 ; 1 (40) : 227-235.
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