Par le Dr Marie Champel (généraliste à Saint-Germain-en-Laye), avec le Dr Henri Lellouche (hôpital Lariboisière, Institut de rhumatologie interventionnelle-Panthéon Paris)
INTRODUCTION
La prise en charge des maladies rhumatismales, qu’elles soient inflammatoires ou mécaniques, repose en première intention, et après un diagnostic précis, sur les antalgiques (+/- AINS) per os, puis souvent sur des conseils de ménagement articulaire ou tendineux et sur la kinésithérapie.
En deuxième intention, les infiltrations de corticoïdes ont une place non négligeable permettant de mettre le produit actif au cœur du processus inflammatoire et minimisant les effets généraux des traitements per os. Selon la pathologie concernée, le but des injections de corticoïdes n’est pas toujours le même (voir plus bas).
Si aujourd’hui, en France, les injections ostéoarticulaires sont réalisées dans 75 % des cas par les rhumatologues et les médecins rééducateurs, certaines infiltrations de corticoïdes peuvent être réalisées au cabinet du médecin généraliste à condition de maîtriser parfaitement la technique (et notamment l’anatomie et les différents produits) et de bien connaître les indications et contre-indications et les effets indésirables.
QUAND PROPOSER UNE INFILTRATION EN CABINET DE MEDECINE GENERALE ?
Les infiltrations de corticoïdes sont proposées en deuxième intention, en cas d’échec des traitements médicaux classiques, après affirmation du diagnostic et analyse de la demande du patient.
C’est la gêne ressentie par le patient qui va poser en premier lieu l’indication et non l’imagerie. Cependant, l’infiltration devra en général être précédée d’une imagerie standard par radiographie et/ou échographie, afin d’obtenir une certitude diagnostique forte, au risque sinon de voir la balance bénéfices-risques devenir défavorable.
>Trois indications principales en médecine générale
Les indications les plus habituelles en médecine générale sont :
• Les poussées inflammatoires d’arthrose (gonarthrose notamment).
Dans cette indication, l’injection doit être faite strictement en intra-articulaire. La cortisone locale va agir via son pouvoir atrophiant sur la membrane synoviale, siège d’une hypertrophie et responsable d’hyper-sécrétion de liquide synovial. L’objectif est de passer un cap douloureux tout en mettant en place en parallèle des mesures pour améliorer le travail articulaire (perte de poids, utilisation d’une canne, kinésithérapie, etc.).
Avant l’injection de corticoïdes, il faudra s’assurer qu’il s’agit bien d’une pathologie mécanique car la prise en charge d’une pathologie inflammatoire ou infectieuse, type arthrite, est différente, voire contre-indique les injections de corticoïdes.
• Les tendinites rebelles au traitement médical
Dans cette indication, l’infiltration n’est pas un traitement directement curatif mais un moyen d’arriver à une cicatrisation tendineuse en supprimant les phénomènes inflammatoires. Ceci impose un repos ou au minimum un ménagement du tendon malade car, dans les jours qui vont suivre l’infiltration, les phénomènes douloureux et inflammatoires vont disparaître alors que le tendon est loin d’être cicatrisé. Le risque est alors l’aggravation d’une rupture tendineuse. Cela doit être clairement expliqué aux patients, souvent impatients de reprendre leurs activités, notamment sportives.
L' injection est faite au contact du tendon en péritendineux et jamais en intratendineux pour ne pas le fragiliser.
À noter que lorsqu’il y a peu de phénomènes inflammatoires, comme par exemple au cours des épicondylites ou des tendinopathies d’Achille, les infiltrations sont très peu efficaces, voire contre-indiquées.
• Le syndrome du canal carpien
L’infiltration de corticoïdes peut permettre d’améliorer voire de guérir les syndromes du canal carpien. Cette pathologie canalaire (compression d’un nerf périphérique dans son défilé anatomique devenu étroit et inextensible, entraînant un ensemble de symptômes dans le territoire neuroanatomique correspondant) peut être diagnostiquée en consultation sans examen complémentaire.
Après avoir éliminé une cause secondaire (pathologie articulaire sous-jacente, hypothyroïdie, etc.) et vérifié l’absence de signes de gravité (déficit moteur), on peut proposer le port d’une orthèse de repos nocturne et réaliser une infiltration.
Dans cette indication, l’infiltration aura pour objectif de lever la compression canalaire via son effet anti-œdémateux local. Elle servira aussi de test thérapeutique et permettra d’éviter dans bon nombre de cas une chirurgie.
L’injection se fera en intracanalaire au contact du nerf mais suffisamment à distance pour ne pas déclencher de vives douleurs. C’est un geste technique simple bien codifié et qui ne doit pas être douloureux si l’on respecte les repères anatomiques.
>Vérifier l’absence de contre-indications
Plusieurs contre-indications absolues ou relatives doivent être écartées avant tout geste infiltratif.
• Etant donné que 3 à 5 % du produit passe dans la circulation systémique, plusieurs affections sont des contre-indications formelles (temporaires ou définitives) à l’infiltration :
- infection ou un état fébrile ;
- hypertension artérielle labile sévère non équilibrée : risque d’augmentation de ½ à 1 point (en revanche, une hypertension artérielle équilibrée ne contre indique pas le geste infiltratif) ;
- lésion ou une infection cutanée ;
- chirurgie programmée à court terme comme une chirurgie prothétique.
• L’usage d’anticoagulants est une contre-indication relative car bien souvent opérateur-dépendant et fonction de la localisation à traiter : articulation profonde ou superficielle (par exemple contre-indication formelle sur un rachis chez un patient sous anticoagulation orale mais possibilité d’infiltrer un canal carpien symptomatique).
• Un diabète de type 2 non équilibré doit faire reporter le geste d’infiltration car il existe un fort risque de décompensation du diabète imposant le passage à l’insuline. L’insulinothérapie bien maîtrisée et équilibrée n’est pas une contre-indication.
• L’immunodépression et la dialyse rénale sont également des contre-indications relatives (risque infectieux accru).
CHOISIR LE BON PRODUIT SELON L’INDICATION
> Les corticoïdes (ou corticostéroïdes)
Les corticoïdes utilisés pour les infiltrations sont toujours de type « retards » et sont préparés et montés sur un cristal permettant un délitement progressif du produit.
Les éléments importants qui caractérisent ces corticoïdes sont : leur pouvoir atrophiant (nécessaire pour les synovites) ainsi que leur pouvoir anti inflammatoire local. Ils ne possèdent pas d’action cicatrisante directe.
En France, quatre molécules sont majoritairement utilisées. Une bonne connaissance des caractéristiques de chaque molécule est nécessaire car à chaque pathologie correspond un produit. Le choix de la molécule va dépendre de la localisation de la pathologie ostéo-articulaire, de la demi-vie de la molécule, de son pouvoir « agressif » ou encore du stade de la maladie (voir tableau ci-dessous).
> Autres produits
À côté des corticostéroïdes, d’autres agents thérapeutiques -dont certains relèvent encore de la recherche- peuvent être injecter en intra articulaire ou en péri tendineux (voir encadré ci-dessous).
LES RÈGLES DE BONNES PRATIQUES
Plusieurs règles de bonnes pratiques doivent être respectées.
> Informer le patient
Dans ses recommandations (1), la Société française de rhumatologie rappelle l’importance d’informer au préalable le patient sur le geste, sa procédure et les risques de complications inhérents. Un consentement doit être obtenu tout en respectant, hors urgence ou demande du patient, un délai de réflexion. Au-delà de la simple information orale, « un compte-rendu devra être rédigé pour toute injection locale de corticostéroïdes, mentionnant au minimum l’indication, la procédure d’injection, le nom, la posologie et le numéro de lot du ou des produits injectés, et les conseils procéduraux ».
> Respecter l’asepsie
La corticothérapie locale exige au même titre que tout geste interventionnel des conditions rigoureuses de procédure. Concernant les injections ostéoarticulaires les plus courantes, le protocole d’asepsie devra obligatoirement comprendre, selon les recommandations, une désinfection cutanée en deux temps des mains (correspondant à deux applications successives d’un antiseptique), le port du masque, et l’utilisation de matériel à usage unique. Pour des gestes interventionnels jugés plus complexes ou lorsque le patient est jugé plus à risque, les recommandations préconisent une désinfection en cinq temps (détersion au savon, puis rinçage avec une eau stérile ou sérum physiologique, puis séchage et application d’antiseptique en respectant le temps de séchage à l’air libre) et usage de gants stériles.
> Maîtriser le geste technique
La préparation de l’infiltration doit être rigoureuse et méthodique. Le bon choix du matériel, notamment de la longueur et du calibre de l'aiguille selon l'indication, la bonne connaissance des repères anatomiques et la mise en confiance du patient sont des éléments indispensables.
L'infiltration ne doit pas être ressentie comme un geste douloureux. L’usage d’un anesthésique local est possible mais surtout intéressant pour les tests anesthésiques qui peuvent aider au diagnostic, notamment au contact des tendons de l'épaule. Chez certains patients inquiets, on peut poser 45 mn avant l’infiltration un patch anesthésiant sur la peau.
En cas de geste intra-articulaire, s’il y a un épanchement de synovie, il faut l'évacuer avant d’injecter le corticoïde.
> Place de l’échographie
L’échoguidage n’est actuellement pas systématique et doit être discuté au cas par cas. La question peut notamment se poser lors de diagnostics insuffisamment précis, dans des localisations complexes telles que le pied, ou lorsqu’il s’agit d’atteindre des zones de petite taille difficilement repérables avec la clinique seule (poulie), des localisations profondes (hanche) ou pour lesquelles l’accès est difficile (hiatus sacro-coccygien).
L’échographie peut également servir à préciser le degré d’inflammation locale et analyser la qualité des structures anatomiques ciblées.
APRES L’INFILTRATION
> L’immobilisation
Il n’est pas recommandé d’immobiliser systématiquement le segment de membre traité par une infiltration de corticostéroïdes, mais un ménagement articulaire est recommandé.
Pour les tendinites, il faut éviter les travaux de force ou une reprise du sport prématuré pour prévenir une fragilisation voire une rupture tendineuse, ce d'autant que le corticoïde va précocement diminuer la douleur alors que le tendon n'est toujours pas cicatrisé.
> Surveillance et suivi
Compte tenu des délais de rendez-vous, il n’est actuellement pas recommandé de faire une visite de contrôle systématique. En revanche, tout effet indésirable (voir plus bas) doit motiver une nouvelle consultation et le patient doit en être informé.
En cas d'échec ou d’efficacité insuffisante évaluée à au moins 1 mois, il est possible de prévoir une deuxième voire une troisième infiltration. Le plus souvent aujourd'hui, la deuxième injection est réalisée sous contrôle de l'imagerie écho- ou radiographique. À noter que la nouvelle génération de rhumatologues français est maintenant formée à l’échographie et peut réaliser ce geste en consultation. On considère qu’il peut être effectué trois infiltrations maximum par articulation et par année. Bien se rappeler qu’il ne s’agit pas d’un traitement continu.
Dans le cas du canal carpien, en cas de récidive plus ou moins rapide, un électromyogramme peut être réalisé et le patient confié au chirurgien..
> Les principaux effets indésirables
• Des douleurs dans les suites immédiates d’une infiltration sont possibles et doivent être prévenues. Ce rebond douloureux correspond à une réaction inflammatoire autour des cristaux de cortisone injectés, Il peut durer quelques heures au plus. Le glaçage et/ou l’administration d’antalgiques sont proposés au patient.
• Un malaise vagal peut également survenir si la douleur ressentie au moment du geste est trop importante ou chez des patients anxieux.
• Le phénomène de flush va être, quant à lui, lié au passage d'une très faible quantité du corticoïde dans la circulation systémique, entraînant ainsi une vasodilatation périphérique (avec érythème facial), tachycardie, insomnie voire irritabilité. Cette réaction est malheureusement souvent confondue avec une réaction allergique alors qu’il ne s’agit pas des mêmes mécanismes d’action.
• Enfin, la complication la plus redoutée reste l'infection au site d’injection. Cet effet secondaire potentiellement grave avait été évalué lors d’une étude menée à Nantes à 1 infection / 38 000 patients piqués (2). Elle nécessite le plus souvent une prise en charge hospitalière et une antibiothérapie ciblée.
Infiltration d’épaule

En Résumé
■ Les infiltrations de corticoïdes constituent un traitement de seconde intention qui pourra être proposé après confirmation du diagnostic dans différentes pathologies rhumatologiques.
■ Trois indications sont particulièrement fréquentes en médecine générale : la gonarthrose, les tendinites rebelles et le canal carpien.
■ Selon la pathologie concernée, le but des injections de corticoïdes n’est pas toujours le même (action antalgique, levée d’une compression nerveuse, cicatrisation tendineuse).
■ L’information du patient, notamment sur les risques et les complications, est indispensable.
■ Un protocole d’asepsie spécifique doit être respecté.
■ Une bonne connaissance anatomique et pathologique est nécessaire. Une formation pratique complémentaire est généralement requise pour maîtriser le geste.
Encadré 1 – Comment se former ?
Les infiltrations et injections de produits intra-articulaires sont autorisées pour tout praticien formé.
Il n’existe pas actuellement de Diplôme Universitaire accessibles aux médecins généralistes, ni aux médecins du sport. La formation actuelle passe par le DPC, dispensé par de nombreux organismes privés.
La plupart des formations consistent en une journée entière dédiée, avec 8 heures de cours partagés entre théorie et pratique. N’étant pas diplômante, cette formation ne peut être inscrite « officiellement » sur les plaques des médecins généralistes.
Encadré 2 - Cotations applicables en médecine générale
Plusieurs cotations peuvent être appliquées selon les cas :
- MZLB001 – 26,72 euros (revalorisation prévue à 27,30 euros) pour une « Injection thérapeutique d'agent pharmacologique dans une articulation ou une bourse séreuse du membre supérieur, par voie transcutanée sans guidage »
- AHLB006 – 30,14 euros (revalorisation prévue à 30,80 euros) pour une « Infiltration du nerf médian dans le canal carpien »
- NZLB001 – 31,51 euros (revalorisation prévue à 32,20 euros) pour une « Injection thérapeutique d'agent pharmacologique dans une articulation ou une bourse séreuse du membre inférieur, par voie transcutanée sans guidage »
- NZHB002 – 29,46 euros (revalorisation prévue à 30,10 euros) pour une « Ponction ou cytoponction d'une articulation du membre inférieur, par voie transcutanée sans guidage ».
Encadré 3 – Les autres produits injectables
- L’acide hyaluronique est injectable aussi bien dans les articulations qu’en péritendineux, même si la localisation intra-articulaire reste de loin majoritaire. Son indication principale est l’arthrose.
Il existe une dizaine de marques commercialisées aujourd’hui avec des caractéristiques différentes. Ces produits ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale bien que leur utilisation soit validée dans la gonarthrose par la Société française de rhumatologie.
L’injection en intra-articulaire doit être systématiquement vérifiée (soit par ponction de liquide synovial confirmant la localisation, soit sous contrôle échographique). L’adjonction d’acide hyaluronique à la cortisone est fréquente et peut être réalisée dans le même temps opératoire ou en différé, selon l’opérateur.
- Les extraits plaquettaires (ou plasma riche en plaquettes - PRP) sont des agents cicatrisants et ont pour cibles aussi bien les tendons, les muscles que les articulations. Après un prélèvement sanguin du patient, les plaquettes sont récupérées par centrifugation et peuvent ainsi être réinjectées au malade. Actuellement en France, il n’y a pas de recommandations officielles. Ce type d’injection fait appel à une formation spécifique et ne peut être réalisée que dans une structure équipée. Plusieurs études sur l’utilisation des plaquettes sont en cours.
- L’espoir se tourne également vers les cellules souches ou agents assimilés (facteurs de croissance) permettant par exemple de reconstituer du cartilage. Les études sont toujours en cours et il faudra déterminer leur positionnement vis-à-vis des corticoïdes.
Liens d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt relatifs au contenu de cet article
Bibliographie
(1) Yves Maugars et al. Les infiltrations ostéoarticulaires de corticostéroïdes : recommandations de la Société Française de Rhumatologie, Revue du Rhumatisme, Volume 90, Issue 1, 2023, Pages 11-24.
(2) Yves Maugars et al, groupe de travail de la section SIRIS. Infections iatrogènes après geste interventionnel ostéoarticulaire : incidence en Loire Atlantique en 2008. Revue du Rhumatisme Volume 81, Issue 3, May 2014, Pages 240-245
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