Dans la population française globale, prise en charge par 226 000 médecins généralistes, 10 % des femmes environ pourraient être ou avoir été victimes de violences physiques, psychologiques ou sociales au cours de leur vie. Aucune femme n’est à l’abri, quels que soient son âge, sa profession, son origine culturelle…
Chaque année en France, selon les résultats de l’enquête « Cadre de vie et sécurité », 219 000 femmes âgées de 18 à 75 ans (soit 1 % de la population correspondante) sont victimes de violences infligées par leur partenaire (25 victimes par heure). Seules 19 % d’entre elles osent porter plainte, pourtant les conséquences physiques et psychologiques de ces actes de violence sont indéniables. Plus alarmant encore, dans notre pays, plus de 120 femmes ont été victimes de féminicides au cours des 11 premiers mois de l’année 2019.
Quand on interroge les femmes victimes de violence sur les relais sociaux qu’elles pourraient trouver, elles citent volontiers leur médecin généraliste. Et de fait, une femme victime de violences sur cinq consulte son médecin à la suite de l’événement traumatique. Ces médecins de famille occupent donc une place clé dans le repérage des signes et l’accompagnement dans le parcours long et complexe qui suit la verbalisation des violences.
La HAS a édité en juin 2019 des recommandations de bonne pratique et de repérage des femmes victimes de violences au sein du couple. Un outil pratique qui permet d’aborder plus facilement la question auprès de potentielles victimes et de les accompagner dans leur cheminement au quotidien.
REPÉRER
Pour la HAS, il est souhaitable que le généraliste montre son implication dans la lutte contre la violence faite aux femmes dès la salle d’attente, en proposant un affichage et des brochures sur ce sujet. L’interrogatoire doit ensuite être adapté au contexte en précisant que les questions sont à aborder avec toutes les patientes en raison de la fréquence des violences.
→ Des questions simples Le sujet doit être évoqué à l’aide de questions simples mais explicites : Comment votre conjoint se comporte-t-il avec vous ? Avez-vous déjà vécu des évènements qui vous ont fait mal ou qui continuent de vous faire mal ? Vous est-il déjà arrivé d’avoir peur de votre partenaire ? Avez-vous déjà été victime de violences (physiques, verbales, psychiques, sexuelles) au cours de votre vie ? La HAS explique : « la violence au sein du couple, qu’elle soit physique, sexuelle, verbale ou psychologique, peut avoir une incidence majeure sur la santé des victimes. L’état de tension, de peur et d’angoisse dans lequel elles sont maintenues par leur agresseur, de même que les coups et les blessures directes, ont de graves conséquences sur la santé et sont à l’origine de troubles très variés : physiques (signes fonctionnels vagues, chroniques, inexpliqués, lésions traumatiques répétées…), psychologiques (dépression, addictions, stress post-traumatique, troubles émotionnels, anxiété, troubles du sommeil ou de l’alimentation…), sexuels (infections répétées, douleurs pelviennes, grossesses non désirées, comportement à risque pendant la grossesse…) ».
→ Certains comportements inhabituels ou inadaptés doivent aussi alerter : un partenaire accompagnant trop impliqué, répondant à la place de sa compagne, minimisant les symptômes ou tenant des propos méprisants ou disqualifiants. Parfois c’est le comportement des enfants qui doit faire penser à l’existence de violences intrafamiliales : rupture dans le comportement, repli sur soi ou hyperactivité, rupture scolaire, régressif des acquisitions ou maturité précoce, troubles alimentaires, troubles du sommeil, douleurs répétées, actes délictueux, mise en péril de soi…
→ Les facteurs sociaux associés Le profil des femmes victimes de violence et des hommes violents est assez stéréotypé :
– Les femmes victimes de violence sont plus souvent jeunes, de faible niveau d’instruction, exposées à la violence conjugale dans l’enfance, maltraitées dans l’enfance, et dans l’acceptation de la violence. Certaines périodes ou caractéristiques de vie sont plus à risque : la grossesse, la périnatalité, la maladie de longue durée, le handicap, les conduites addictives (alcool, drogue), les problèmes de santé mentale ou la dépendance financière.
– Les hommes qui se montrent violents sont plus souvent jeunes, de faible niveau d’instruction, exposés à des violences ou avec des antécédents de violence pendant l’enfance. Ils banalisent la violence et abusent souvent d’alcool ou de drogues. Les troubles de la personnalité sont plus souvent représentés. – Les facteurs relationnels ou conjoncturels sont courants : insatisfaction dans le couple, contexte de séparation conflictuelle, domination masculine dans la famille, stress économique ou précarité, vulnérabilité liée à une dépendance administrative, sociale ou économique, écart entre les niveaux d’instruction, situation dans laquelle une femme est plus instruite que son partenaire, différence d’âge importante dans le couple ou déracinement géographique entraînant un isolement sociétal.
ÉCOUTER ET ÉVALUER
La consultation avec le médecin généraliste est un moment clé de détection des violences.
→ La consultation doit se faire en toute confidentialité – y compris en téléconsultation, précise la HAS – et en favorisant un climat de confiance. Le partenaire ou l’entourage ne doit pas participer à la consultation car les victimes, qui déjà parlent assez rarement des violences subies, doivent pouvoir s’exprimer librement. Il est recommandé de débuter l’entretien par des questions de préférence ouvertes et adaptées à la situation. La révélation – dont le rythme varie selon les personnes – est un moment clé qui peut être le point de départ d’un changement et nécessite un soutien thérapeutique approprié (par le médecin lui-même ou par un service adapté). L’écoute active et le non-jugement guideront l’intervention. Ces attitudes relationnelles seront d’autant plus importantes que la honte, la culpabilité, l’ambivalence sont caractéristiques de ces situations, de même que la faible estime de soi liée au vécu de violences. C’est le rôle du généraliste d’expliquer à la femme qu’elle n’est pas la seule, qu’il lui a fallu du courage pour dévoiler cette situation mais que ce qu’elle vit est inacceptable : « Tout le monde mérite de se sentir en sécurité chez soi » ; « Le comportement violent n’est pas acceptable » ; « Ce n’est pas votre faute » ; « Votre conjoint peut être aussi aidé s’il le souhaite » ; « Votre état de santé me préoccupe, vivre une situation de ce genre n’est pas sans conséquences sur votre santé et celle de vos enfants ».
→ Le médecin doit s’efforcer de faire exprimer à la femme son désarroi. Il doit comprendre son sentiment de vulnérabilité, son désespoir, sa tendance à nier les faits, à les minimiser, voire à défendre son oppresseur. Il doit accepter que la femme soit confuse, effrayée, honteuse voire agressive.
→ Le médecin doit légitimer la situation de la victime, lui confirmer qu’elle est dans son droit de demander de l’aide et l’encourager dans cette démarche. En rappelant que les faits de violence sont interdits et punis par la loi, le médecin doit expliquer à la victime qu’elle est en droit de déposer plainte.
→ Un dossier médical doit être constitué en complète confidentialité. Tous les éléments recueillis à l’interrogatoire et à l’examen doivent être consignés, tant les faits objectifs que subjectifs : début des violences, fréquence, type des violences, contexte déclenchant, conduite addictive du conjoint, lésions constatées, retentissement sur le psychisme, violences à l’encontre d’autres membres de la famille.
→ Un certificat (enc. 1) doit être établi dans un but de dépôt de plainte.
→ Des signes de gravité (fréquence, contexte, menaces, conséquences des violences…), une dangerosité de l’agresseur (menace de mort, tentative de passage à l’acte avec strangulation par exemple, présence d’armes à domicile), un retentissement sur les enfants du foyer ou une vulnérabilité de la victime (grossesse, isolement social, handicap, dépression caractérisée...) doivent inciter à la mise en place de mesures de protection immédiates.
ENC. 1 – LE CERTIFICAT MÉDICAL
Outre un dossier médical exhaustif contenant les coordonnées, les observations factuelles et idéalement des photos des blessures physiques, le généraliste doit établir un certificat médical daté du jour de la consultation et de l’examen clinique, et qui doit répondre à des règles précises.
• Reporter les dires en mode déclaratif sans jugement ni interprétation : « la victime déclare », « selon les dires de la victime »…
• Ne pas désigner de tiers responsable car le rédacteur ne se prononce pas sur la responsabilité d’un tiers ni sur l’imputabilité.
• Noter les doléances de façon exhaustive et en utilisant les mots exprimés sous forme de guillemets.
• Décrire avec précision et sans ambiguïté les faits médicalement constatés.
• Faire figurer – avec autorisation expresse de la patiente – les antécédents qui peuvent interférer avec les lésions traumatiques.
• Préciser, en cas de violences psychologiques, l’impact sur les conditions et la qualité de vie de la personne.
• Mentionner, si besoin, les éléments négatifs (pas de lésions cutanées, par ex).
• Adjoindre des photos ou schémas anatomiques datés et identifiés avec accord de la victime et conservation d’un double des photographies.
Le certificat peut préciser les éléments d’« incapacité » observés qui aideront les médecins légistes à déterminer l’ITT (Incapacité totale de travail). L’incapacité ne concerne pas le travail au sens habituel du mot, mais la durée de la gêne notable dans les activités de la vie courante : manger, dormir, se laver, s’habiller, faire ses courses, se déplacer…
PROTÉGER ET ORIENTER
Situation d’urgence
Le généraliste peut, dans les cas les plus préoccupants, qui sont bien heureusement rares, décider d’une hospitalisation immédiate après appel au 15 ou d’une mise en sécurité immédiate en centre d’hébergement d’urgence en cas de situation jugée grave et pouvant mettre la femme en danger imminent. Il peut aussi l’informer du droit de quitter le domicile conjugal avec les enfants en le signalant à la police (main courante) ou à la gendarmerie. C’est l’un des rôles du médecin de conseiller de porter plainte auprès de la police ou de la gendarmerie et d’informer du droit de saisir en urgence le juge aux affaires familiales, même sans dépôt de plainte. Dans ce cas, la femme peut être conseillée et accompagnée par un juriste d’une association du réseau CIDFF (Centre Départemental d’information sur les droits des femmes et des familles) ou France Victime.
Signalement auprès du procureur de la République
Si le généraliste l’estime nécessaire, il peut réaliser un signalement auprès du procureur de la République pour la mise en œuvre en urgence de mesures de protection ou, s’il estime que les enfants sont en danger, faire une information préoccupante à la CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes).
Mesures de protection
Si, à l’issue de son interrogatoire et de son examen clinique, le médecin estime que la situation est à risque élevé mais qu’elle ne nécessite pas de mesures de protection immédiate, alors il doit conseiller à la victime de prévoir des mesures de sécurité pour se protéger en cas d’urgence sous la forme d’un « plan de sécurité », terme global utilisé pour mettre en place des mesures de protection de bon sens. Outre l’identification à l’avance d’un lieu où se réfugier (famille, association), il est important de prévoir un message codé destiné à alerter les amis de confiance ou la famille en cas de danger, une liste des numéros d’urgence, une photocopie des documents personnels, un double des clés et une réserve d’argent, tout comme un sac contenant les affaires de première nécessité à mettre en lieu sûr.
Autres services d’aides
Enfin, le généraliste doit insister sur les possibilités d’appeler le 15 ou de se présenter aux urgences à tout moment, de solliciter les services du conseil départemental, en particulier la Protection maternelle et infantile et les services sociaux. Il doit aussi communiquer à la victime les coordonnées des structures associatives, judiciaires et sanitaires qui pourront l’aider comme par exemple le 3919 (Violences Femmes Info), numéro national d’aide aux femmes victimes de violence, ou le 116 006, numéro européen dédié aux victimes d’infractions pénales. Le carnet d’adresses que le généraliste propose doit être adapté au contexte local, en mettant en avant les associations et les référents les plus proches géographiquement.
ASSURER UN SUIVI
Assurer un suivi de qualité, d’un point de vue tant somatique que psychologique, dans la durée, est un élément essentiel de la prise en charge d’une patiente victime de violences. Ce suivi comprend une évaluation régulière de la disposition (motivation) de la personne à faire évoluer sa situation. En effet, sortir de la violence dans le couple relève d’un processus qui s’inscrit dans la durée et bon nombre de personnes concernées se montrent ambivalentes dans leurs démarches, notamment judiciaires (dépôt de plaintes). Le parcours de la victime se caractérise souvent par une série d’allers et retours. Cette ambivalence doit se comprendre au vu du poids des différents obstacles tels que la peur de représailles ou de l’éclatement familial, l’espoir d’un changement, le manque de soutien et de ressources, la méconnaissance de ses droits.
EN RÉSUMÉ
Toutes les femmes peuvent être concernées par la violence. Le médecin généraliste joue un rôle pivot dans la détection, l’orientation et le suivi de ces femmes. Les recommandations de bonne pratique éditées par la HAS permettent de disposer d’outils pratiques en consultation, à la fois pour amorcer le dialogue, repérer les situations les plus graves et accompagner ces femmes dans un parcours souvent difficile et douloureux.
Informations à diffuser
- Numéros d’urgence :
• Violence Femmes Info : 3919
• Demande d’hébergement d’urgence : 115
- Sites d’information :
• stop-violences-femmes.gouv.fr
• declicviolence.fr
Bibliographie
1- HAS. Recommandation de bonne pratique. Repérage des femmes victimes de violence au sein du couple. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3104867/fr/reperage-des-femmes-victimes….
2 - Ministère de l’Intérieur. Enquête Cadre de vie et sécurité 2019. https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/L-enquete-Cadre-de-vie-et-secu….
3 - Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Les violences faites aux femmes : une urgence de santé publique. Intervention de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). Paris: MIPROF; 2015.
4 - Haute Autorité́ de Santé. Suivi et orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées. Mise à jour mai 2016. Recommandation de bonne pratique. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2016.
5 - Conseil national de l'ordre des médecins. Notice explicative du certificat médical établi sur demande du de la - patient - e. Paris: CNOM; 2016.
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