Effets à long terme du régime méditerranéen ou d’une diététique pauvre en matières grasses en prévention cardiovasculaire secondaire (Cordioprev) : un essai randomisé comparatif
Long-term secondary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet and a low-fat diet (Cordioprev) : a randomised controlled trial
Delgado-Lista J, Alcala-Diaz JF, Torres-Pena JD, & al. for the Cordioprev investigators. Lancet 2022 ; 399 :1876-95.
CONTEXTE
Le mode de vie, et particulièrement l’alimentation, est une composante essentielle (1) de l’incidence ou de la récurrence des évènements cardiovasculaires cliniques (ECVc). Au début des années 2000, la diététique pauvre en matières grasses (DPMG) était recommandée pour réduire le risque d’ECVc (2). En 2018, l’essai randomisé Previmed, controversé pour des raisons de randomisation inappropriée (3) mais de bonne qualité après ajustements (4), a démontré qu’un régime méditerranéen (RM) très riche en fruits, légumes, céréales, viandes blanches et poissons comme principale source de protéines, et huile d’olive comme apport lipidique prédominant (4 à 6 cuillères à soupe par jour), réduisait le risque d’ECVc chez les sujets en prévention primaire à haut risque vs un simple conseil de réduire la consommation de matières grasses. Il était donc tentant mais audacieux, délicat, courageux et complexe de comparer ces deux « régimes » dans une population de prévention CV secondaire à haut risque de récidive par définition.
OBJECTIF
Comparer les effets du régime méditerranéen à ceux de la diététique pauvre en matières grasses sur la survenue d’ECVc chez des patients ayant des antécédents de maladie coronaire (prévention secondaire).
MÉTHODE
Essai randomisé d’intervention diététique et de comparaison directe monocentrique à Cordoue (Espagne). Pour être inclus, les patients devaient avoir entre 20 et 75 ans et des antécédents documentés de maladie coronaire ischémique : infarctus du myocarde (IdM), hospitalisation pour angor instable ou coronaropathie chronique avérée. Ils ont été randomisés soit dans un groupe « régime méditerranéen », soit dans un groupe « diététique pauvre en matières grasses ». Dans les deux groupes, l’intervention a été conduite par des diététiciens à raison d’un entretien individuel en face-à-face tous les 6 mois, d’une réunion de groupe tous les 3 mois et d’un entretien téléphonique tous les 2 mois, soit 12 interventions par an pendant une médiane de 7 ans. L’observance à la diététique allouée était évaluée mensuellement par des auto-questionnaires spécifiques à chaque régime et envoyés aux diététiciens par voie électronique.
Le critère de jugement principal était composite : survenue d’un IdM ou nécessité d’une revascularisation, accident vasculaire cérébral ischémique (AVCi), apparition d’une artérite périphérique documentée, décès d’origine cardiovasculaire. Les investigateurs et le groupe d’experts chargés de valider les évènements cliniques du critère de jugement principal étaient en insu du groupe dans lequel les patients étaient randomisés. De leur côté, les patients ne devaient pas donner d’indication aux investigateurs sur leur régime alimentaire.
L’analyse statistique principale a été faite en intention de traiter. Les patients qui ont arrêté l’essai et qui ont accepté d’être suivis pendant 7 ans (par questionnaire électronique ou téléphone) ont été inclus dans cette analyse. Ceux ayant arrêté l’essai et refusé d’être suivis ont été censurés à la date de leur sortie d’essai. L’analyse principale et celles de sensibilité ont été faites à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel aléatoire ajusté sur de nombreuses covariables pertinentes associées entre elles. Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %).
RÉSULTATS
Entre octobre 2009 et février 2012, 1 850 patients ont été considérés comme éligibles. Parmi eux, 1 002 ont été inclus : 502 dans le groupe RM et 500 dans le groupe DPMG. Leurs caractéristiques cliniques, biologiques, d’antécédents CV et les traitements médicamenteux en cours à l’inclusion étaient similaires entre les deux groupes : âge moyen = 59,5 ans, hommes = 82,5 %, IMC = 31,1 kg/m2, anciens fumeurs = 64 %, diabète = 54 %, hypertension artérielle = 68 %, antécédents d’IdM = 62 %, anti-agrégants plaquettaires = 98 %, statines = 87 %.
À la fin programmée de l’essai (juillet 2018), 132 (13,8 %) patients l’avaient arrêté avec une proportion significativement plus élevée dans le groupe DPMG (n = 86 vs 46, p = 0,0002). Cependant, 112 d’entre eux (85 %) ont accepté d’être suivis par téléphone ou questionnaire électronique jusqu’à cette date. Le suivi médian pour l’ensemble des patients a été de 2 557 jours.
Au cours des 7 ans de suivi, il y a eu 87 (17,3 %) évènements du critère de jugement principal dans le groupe RM vs 111 (22,2 %) dans le groupe DPMG : HR = 0,75 ; IC95 % = 0,56-0,99, p = 0,04, nombre de patients ayant suivi le RM pendant 7 ans pour éviter un événement comparativement à la DPMG, NNT = 21. Les résultats des autres analyses ajustées prévues au protocole étaient cohérents avec ceux de l’analyse principale, tout comme ceux des analyses de sensibilité. Enfin, il n’y a pas eu de différence significative sur chacun des composants du critère principal, en particulier les décès d’origine cardiovasculaire : 20 (4 %) vs 11 (2,2 %), p = 0,12 ou quelle qu’en soit la cause : 44 (8,8 %) vs 33 (6,6 %), p = 0,30.
COMMENTAIRES
Les essais randomisés qui évaluent correctement l’impact clinique d’une intervention sur le mode de vie (notamment l’alimentation) sont très rares car ils sont compliqués à concevoir et surtout très difficiles à conduire dans les règles de l’art, en particulier à long terme (risque élevé de nombreux perdus de vue). Il faut donc rendre hommage à cette équipe de chercheurs andalous opiniâtres, basée à Cordoue (ou Córdoba, d’où le nom de l’essai Cordioprev), qui milite depuis 20 ans pour promouvoir le régime méditerranéen. Leurs convictions s’appuient sur un rationnel biologique et physiologique pertinent (5, 6), et ils ont eu le courage de tenter de transposer ce savoir des sciences fondamentales en bénéfices cliniques importants pour les patients, d’abord en prévention primaire (3, 4) puis secondaire dans le présent essai. Cordioprev démontre que le régime méditerranéen réduit significativement le risque d’ECVc chez les patients de prévention secondaire (coronaire) comparativement à la DPMG dans un essai randomisé de bonne qualité. Cependant, Cordioprev est aussi l’archétype de l’évaluation d’une intervention non transposable dans la vraie vie de médecine générale pour au moins cinq raisons :
➔ Tous les patients de prévention secondaire n’ont pas le volontarisme, la discipline et l’assiduité de ceux ayant accepté d’être inclus dans cet essai.
➔ À l’inclusion, les patients des deux groupes avaient des valeurs moyennes très basses de cholestérol total (1,59 g/L), de LDL-c (0,89 g/L), et de HDL-c (0,42 g/L).
➔ Dans le système de santé français actuel, il est illusoire d’obtenir la collaboration d’un(e) diététicien(e) compétent(e) 12 fois par an pendant 7 ans.
➔ La largeur de l’intervalle de confiance du critère principal (et sa borne supérieure) (HR = 0,75 ; IC95 % = 0,56-0,99) montre que la mesure de l’effet est imprécise et qu’il faut fournir des efforts notables de modifications diététiques pendant 7 ans pour finalement éviter 1 événement pour 21 participants particulièrement sélectionnés.
➔ Enfin, cet essai a été mené dans une population méditerranéenne dans laquelle la diététique testée était facilement acceptable par culture locale. Quid des Alsaciens, des Bretons, des Ch’timis ?
En conclusion, félicitations pour la ténacité, la détermination et la magnifique démonstration scientifique des auteurs, mais il est utopique de penser que cette intervention, possible dans un essai randomisé très encadré, soit transférable dans la pratique des soins primaires, sauf bornage quasi policier des patients.
Docteur Santa Félibre (médecin généraliste enseignant, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Mach F, Baigent C, Catapano AL, & al. 2019 ESC/EAS guidelines for the management of dyslipidemias : lipid modification to reduce cardiovascular risk. Eur Heart J 2020 ; 41 :111-88.
2. National Cholesterol Education Program (NCEP). Expert Panel on Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Cholesterol in Adults (Adult Treatment Panel III). Third Report of the National Cholesterol Education Program (NCEP) Expert Panel on Detection, Evaluation,
and Treatment of High Blood Cholesterol in Adults (Adult Treatment Panel III) final report. Circulation 2002 ; 106 :3143-421.
3. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, & al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013 ; 368 :1279-90. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1200303.
4. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, & al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet supplemented with extra-virgin olive oil or nuts. N Engl J Med 2018 ; 378 :e34. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1800389.
5. de Lorgeril M, Renaud S, Mamelle N, & al. Mediterranean alpha-linolenic acid-rich diet in secondary prevention of coronary heart disease. Lancet 1994 ; 343 :1454-59.
6. Watts GF, Jackson P, Mandalia S, & al. Nutrient intake and progression of coronary artery disease. Am J Cardiol 1994;73:328-32.
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