Comparaison de deux objectifs de LDL-cholestérol après un AVC ischémique.
A Comparison of Two LDL Cholesterol Targets after Ischemic Stroke Amarenco P, Kim J, Bruckert E, & al for the Treat Stroke to Target Investigators.
N Engl J Med 2019. http://dx.doi.org/NEJMoa1910335
CONTEXTE
Après un accident vasculaire cérébral ischémique (AVC) ou un accident ischémique transitoire (AIT), les recommandations états-uniennes (1) préconisent d’abaisser le LDL-cholestérol (LDL-c) en dessous de 1 g/L avec une statine, sans ou avec ézétimibe. Cet objectif de LDL-c était basé sur les résultats de l’essai SPARCL qui avait testé une dose de 80 mg d’atorvastatine versus placebo (2) dans cette population à risque cérébrovasculaire. En se basant sur une analyse en sous-groupe post-hoc de cet essai (3), certains auteurs et plusieurs recommandations de sociétés savantes (soutenues par l’industrie pharmaceutique) ont même préconisé de réduire le LDL-c en dessous de 0,7 g/L. Cependant, en l’absence d’essai randomisé de bonne qualité ayant directement comparé deux groupes de patients alloués à des cibles de LDL-c différentes, il est scientifiquement aléatoire, voire incorrect, de recommander une cible de LDL-c plutôt qu’une autre.
OBJECTIFS
Démontrer qu’un traitement hypocholestérolémiant intensif par statine ± ézétimibe atteignant un taux de LDL-c < 0,7 g/L est plus efficace que parvenir à un taux compris entre 0,9 et 1,1 g/L pour réduire les évènements cardiovasculaires (ECV) après un AVC ou un AIT récent.
MÉTHODE
Essai randomisé en ouvert conduit dans 61 sites hospitaliers français et 16 en Corée du Sud. Ce travail a été financé par le ministère de la Santé via le Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), l’association SOS Attaque cérébrale, et trois industriels du médicament qui ne sont jamais intervenus dans la conception, la conduite, l’analyse et la publication de l’essai. La gestion administrative et financière a été confiée aux services de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Pour être inclus, les patients devaient avoir été victimes d’un AVC documenté datant de moins de trois mois (sans handicap sévère) ou d’un AIT documenté datant de moins de 15 jours, associé à des stigmates objectifs et pertinents (cliniques et/ou d’imagerie) de maladie athérosclérotique cérébrale, coronaire ou périphérique. Ils ont été randomisés pour recevoir un traitement par statine ± ézétimibe visant un objectif thérapeutique < 0,7 g/L (groupe intensif - GI) ou compris entre 0,9 et 1,1 g/L (groupe témoin - GT).
Le critère de jugement principal regroupait les AVC et les infarctus du myocarde (IdM) non fatals, les hospitalisations pour angor instable nécessitant une revascularisation urgente, les AIT avec revascularisation carotidienne urgente et les décès cardiovasculaires. Le principal critère de jugement secondaire rassemblait les IdM et les revascularisations coronaires urgentes. Les autres critères secondaires étaient les composants individuels ou combinés du critère principal et la mortalité totale. Tous les événements ont été adjudiqués par un comité d’experts en insu de la randomisation et du taux de LDL-c.
La durée de l’essai était conditionnée par le nombre d’événements observés. Pour démontrer une réduction relative des ECV du critère principal de 25 % dans le GI vs le GT avec une puissance de 80 %, et un risque µ bilatéral < 5 %, il fallait observer 385 événements pendant un suivi individuel médian estimé à trois ans, et inclure 3 786 patients.
Pour éviter l’inflation du risque µ liée aux comparaisons multiples, l’analyse statistique a été hiérarchisée selon l’ordre suivant : critère principal, puis principal critère secondaire, puis les autres critères secondaires également hiérarchisés. Ce type de plan d’analyse statistique impose d’interrompre le processus dès que le résultat d’une étape est non significatif. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de régression proportionnel de Cox stratifié, dans lequel les données manquantes ont été attribuées par la technique d’imputation multiple.
RÉSULTATS
Entre mars 2010 et décembre 2018, 2 873 patients ont été randomisés. En l’absence de consentement éclairé pour 13 d’entre eux, 2 860 ont été inclus dans l’analyse finale : 1 430 dans le GI et 1 430 dans le GT, suivis pendant une médiane de 3,5 ans. Les caractéristiques des patients à l’inclusion étaient similaires entre les groupes : âge moyen = 67 ans, hommes = 68 %, antécédent d’AVC = 86 %. 65 % des patients étaient hypertendus, 23 % diabétiques, 17 % coronariens et 31 % fumeurs. La pression artérielle moyenne était de 140/79 mmHg, le LDL-c à 1,35 g/L et 55 % d’entre eux étaient naïfs de statine. Tout au long de l’essai, le traitement par statine a été plus intensif (puissance du principe actif + dose) dans le GI et l’association statine + ézétimibe plus fréquente.
Pour des raisons « administratives » (lire plus bas), l’essai a été interrompu après la survenue de 277 évènements du critère principal (soit 108 de moins que nécessaire). À l’arrêt de l’essai, et après un suivi médian de 3,5 ans, le LDL-c était à 0,65 g/L dans le groupe intensif et à 0,96 g/L dans le groupe témoin. Il a eu 121 (8,5 %) ECV du critère principal dans le GI et 156 (10,9 %) dans le GT : HR = 0,78 ; IC95 % = 0,61-0,98, p = 0,04, soit 42 patients à traiter intensivement (LDL-c < 0,7 g/L) pendant 3,5 ans pour éviter un événement. La différence sur le principal critère secondaire (IdM ou revascularisation coronaire urgente) n’était pas significative : HR = 0,64, IC95 % = 0,37-1,13, p = 0,12. De ce fait, les données sur les autres critères secondaires n’ont pas fait l’objet d’une analyse statistique exhaustive.
L’incidence du diabète de type 2 ou des hémorragies cérébrales n’a pas été significativement plus importante dans le groupe intensif.
COMMENTAIRES
Les essais français indépendants, majoritairement conduits dans l’Hexagone, et publiés dans le New England, sont particulièrement rares, surtout dans le domaine cardiovasculaire. Malgré quelques déconvenues dans la conduite de l'essai (lire plus bas), il répond enfin à une question que tout le monde se posait depuis des années : faut-il amener le LDL-c en dessous de 0,7 g/L ou de 1,0 g/L chez les patients victimes d’un AVC ou d’un AIT (ou plus généralement chez les patients en prévention secondaire) ? À l’aide d’un design très solide et d’une analyse biostatistique ambitieuse et rigoureusement appliquée, ce premier et unique essai de comparaison directe de cibles a démontré qu’il y avait un bénéfice clinique substantiel à atteindre un taux de LDL-c < 0,7 g/L chez les patients ayant un antécédent cérébrovasculaire. Ses résultats sont conformes aux « opinions » émises dans deux méta-analyses qui ne pouvaient pas faire de comparaison directe d’objectifs thérapeutiques biologiques (4 et 5).
Pour la petite histoire, la lecture attentive de l’article et de son supplément donne l’impression que ce projet de recherche original, courageux et attendu a été « marabouté ». Tout d’abord, par « négligence » ou « oubli » des services administratifs, le protocole a été déposé dans la base de données internationale ClinicalTrials.gov, neuf mois après l’inclusion du premier patient, et à cette date, 330 patients avaient été déjà inclus et traités. Ce crime de lèse-majesté réglementaire est théoriquement rédhibitoire, mais faute avouée a été sans doute à moitié pardonnée. Ensuite, compte tenu de la lenteur des inclusions, il a fallu en allonger la période, puis, en dernier recours, faire appel à la collaboration de confrères (et de patients) sud-coréens pour faire le nombre (sans succès). Enfin, les services financiers de l’AP-HP ont été défectueux, voire incorrects dans la gestion du budget, avec pour conséquence l’arrêt prématuré et définitif de l’essai (par insolvabilité) alors que seulement 71,9 % des ECV attendus étaient survenus. Cette bévue administrative a considérablement diminué la puissance statistique de l’essai. Elle explique les résultats insuffisants sur les critères secondaires et la frustration discrète des auteurs, qu’il faut néanmoins congratuler pour leur rigueur scientifique, leur honnêteté intellectuelle et leur transparence (ce qui n’est pas si fréquent).
En pratique, chez un patient victime d’un AVC ou d’un AIT ischémique, le ratio bénéfice/risque d’un traitement intensif par statine ± ézétimibe conduisant à un taux de LDL-c < 0,7 g/L est cliniquement favorable. En l’état des données de la science, ce résultat n’est pas transposable à tous les patients de prévention secondaire.
Bibliographie
1. Kernan WN, Ovbiagele B, Black HR, & al. Guidelines for the prevention of stroke in patients with stroke and transient ischemic attack: a guideline for healthcare professionals from the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke 2014;45:2160-236.
2. Amarenco P, Bogousslavsky J, Callahan A III, & al. High-dose atorvastatin after stroke or transient ischemic attack. N Engl J Med 2006;355:549-59.
3. Amarenco P, Goldstein LB, Szarek M, et al. Effects of intense low-density lipoprotein cholesterol reduction in patients with stroke or transient ischemic attack: The Stroke Prevention by Aggressive Reduction in Cholesterol Levels (SPARCL) trial. Stroke 2007;38:3198-204.
4. Amarenco P, Labreuche J. Lipid management in the prevention of stroke: review and updated meta-analysis of statins for stroke prevention. Lancet Neurol 2009;8:453-63.
5. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170 000 participants in 26 randomized trials. Lancet 2010;376:1670-81.
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