L'OBSERVATION
[[asset:image:9921 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Dr Philippe Godeberge"],"field_asset_image_description":[]}]]Amélie, 29 ans, institutrice, consulte pour une douleur anale violente, apparue depuis deux jours. Elle n'a pas pu aller travailler à la fois à cause de la gêne due à la « boule » apparue au niveau de la marge anale, mais aussi du fait de la douleur. Ce n'est pas la première fois qu'un tel problème se pose mais cet épisode-ci est beaucoup plus douloureux. Elle sait que c'est une hémorroïde car sa mère en a et qu'en plus elle-même a des jambes lourdes en fin de journée. On lui a diagnostiqué une insuffisance veineuse des membres inférieurs, ce qui la conforte dans son idée. Elle déclare que cette hémorroïde bloque son transit en formant un bouchon à la sortie qui l'empêche d'évacuer. Elle a aussi des crises régulières pendant lesquelles elle se gratte ; elle calme ces crises par l'application d'un topique gras qui la calme plus ou moins en quelques jours. Elle a pu saigner par le passé, mais pas cette fois-ci. Elle vous réclame un traitement plus efficace et rapide. Elle ne fume pas et n'a aucun antécédent en dehors d'un surpoids très minime (BMI à 25) pour lequel elle a débuté un régime hyperprotéiné. Vous arrivez enfin à l'examiner, examen pendant lequel elle demande un arrêt de travail (photo 1).
VOTRE DIAGNOSTIC ?
[[asset:image:9936 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Dr Philippe Godeberge"],"field_asset_image_description":[]}]]→ Il s'agit d'une thrombose hémorroïdaire externe(THE).
→ Il existe en effet deux complexes vasculaires au niveau de l'anus (schéma 1). L'un est situé dans le canal anal. Ce sont les hémorroïdes internes. Un autre, de structure différente, entoure la marge anale au niveau de l'espace marginal limité par des fascias conjonctifs; il est formé par un ensemble de veinules organisées en saccules lui donnant un aspect de rayons de miel. Le sang y circule à faible vitesse et quand une thrombose s'y forme, l'œdème et le caillot distendent cette structure au sein de l'espace clos de la marge anale.
→ La mise sous tension de cet espace étroit génère une douleur parfois violente. C'est le seul mode d'expression des « hémorroïdes externes ». Constipation distale, grande diarrhée et accouchement constituent les principales étiologies des thromboses, qui dans ce dernier cas peuvent être de grande taille (photo 2).
→ Le diagnostic est porté par l'interrogatoire et confirmé par la clinique ; il s'agit d'une grosseur apparue rapidement qui est douloureuse, la douleur se localisant à son niveau. Elle ne saigne pas. Elle est permanente comme la douleur qui peut être accentuée par la défécation.
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CE QU'IL FAUT FAIRE
→ Le diagnostic étant posé après un examen clinique, il faut soulager la douleur.
→ L'examen proprement dit peut être conduit en décubitus latéral, ce qui est plus confortable pour les patients y compris au plan psychologique. Le traitement médical comporte un antalgique simple de niveau 1 (paracétamol) ou 2 selon la douleur (tramadol à libération prolongée). On évitera la codéine, constipante. Trop souvent les patients reçoivent une crème et un simple phlébotrope, le prescripteur oubliant dans sa démarche, la douleur et la cause de la THE (constipation).
→ Chez Aurélie, son régime hyperprotéiné est probablement à l'origine de sa constipation qui est la cause de sa thrombose et non la conséquence. Si le fait d'avoir une douleur ou une volumineuse thrombose n'est pas favorable à une défécation sereine, en aucun cas ce sont les hémorroïdes qui bouchent l'anus.
Il est donc nécessaire de combattre cette idée fausse et de faire accepter à Aurélie un traitement laxatif, même pour une courte période, afin de lutter contre la constipation distale, qu'elle soit chronique ou réactionnelle à la douleur. Ce n'est pas là la seule idée fausse d'Aurélie. Pas sur que la seule consultation pour sa thrombose soit suffisante pour les combattre toutes.
→ À titre de professionnel, il faut savoir que :
- la maladie hémorroïdaire externe n'est pas une maladie similaire à l'insuffisance veineuse. Certes dans les deux cas une structure comportant des veines est impliquée, mais la physiopathologie est différente. L'obésité et la sédentarité sont des données communes mais cela ne signifie pas qu'il existe un lien physiopathologique;
- il n'y a pas de part héréditaire démontrée. Cette idée très répandue sera difficile à battre en brèche, ce qui de toute façon n'aurait aucun intérêt pour la prise en charge. Il est simplement fréquent d'avoir une affection fréquente dans ses antécédents familiaux : appendicite, rhume, verrues plantaires, varices, etc. Sans pour autant que tout cela soit relié génétiquement.
→ Les anti-inflammatoires n'ont pas donné lieu à des études spécifiques pour la THE, mais leur efficacité est confirmée par les recommandations de pratique de la Société Nationale Française de Colo-proctologie (accord professionnel); il faut, bien sûr, vérifier auparavant l'absence de contre-indication surtout chez une jeune femme (grossesse). En cas de contre-indication, on a recours aux corticoïdes en cure courte également efficaces.
→ Beaucoup de topiques existent sur le marché avec des niveaux de preuve assez faibles voire nuls dans le cas de la thrombose. On privilégiera ceux comportant un corticoïde et sous forme de pommade, dont le caractère occlusif assure une meilleure pénétration transcutanée du corticoïde. Souvent réclamé par les patients, ce traitement a comme avantage « psychologique » d'être appliqué sur le lieu direct de la douleur sans risque. Mais cela mérite d'être relativisé car un certain nombre de substances (lanoline, parabène, anesthésiques locaux) peuvent induire des dermites de contacts.
CE QU'IL NE FAUT PAS FAIRE
Si le diagnostic est typique il ne faut pas nécessairement faire un examen complet (avec toucher rectal et anuscopie). Il peut être très désagréable voire douloureux et au final peu informatif. À l'occasion d'une prochaine consultation, on pourra faire le point localement et vérifier qu'il n'y a pas de pathologie associée.
→ En cas de constipation opiniâtre préalable, chez un patient douloureux, dysurique avec une sensation de pesanteur ou de besoin défécatoire permanent, on se méfiera du fécalome.
→ Comme il peut coexister des hémorroïdes internes car elles partagent les mêmes facteurs causals (constipation), un saignement lors de l'émission de la selle est possible. Même très minime, simplement à l'essuyage, il ne faut pas le négliger et le rapporter à la thrombose qui, par définition ne saigne pas, étant situé sous de l'épiderme. Il faut savoir l'explorer chez les patients dela cinquantaine.
Si la majorité des saignements sont bien hémorroïdaires, on ne peut éliminer une association avec une lésion d'amont (polype ou cancer) dont le sai-gnement sera passé inaperçu car masqué par les saignements hémorroïdaires ; mais dans cette observation Amélie est trop jeune pour qu'on se pose la question.
→ Il ne faut pas rapporter la totalité des symptômes à la thrombose. Amélie décrit un prurit chronique intermittent. Mais cela n'a rien à voir et l'origine peut en être une dermite de contact (secondaire à un topique), un eczéma, un prurit anal essentiel.
→ Il ne faut pas limiter sa prescription au seul phlébotrope. Si cette classe de médicament peut être utilisée, c'est avant tout dans la maladie hémorroïdaire interne. En cas de thrombose hémorroïdaire externe, leur utilisation n'est pas validée.
→ Enfin, il ne faut pas recommander de repousser l'hémorroïde à l'intérieur de l'anus. Ce n'est pas une hémorroïde interne mais une lésion externe. Sa place « naturelle » est donc sur le bord de l'anus.
L'OBSERVATION : SUITE ET FIN
Amélie revient en consultation assez mécontente. Elle n'a plus mal et la boule a presque totalement disparu. Grâce à votre traitement; ce qu'elle oublie. En revanche, contrairement à ce que vous aviez annoncé , elle a saigné abondamment. C'est arrivé en classe ; elle a dû s'isoler pour mettre des mouchoirs dans son slip car le saignement a été profus et l'avait traversé. Elle garde toujours une « boule ».
TRAITEMENT
→ Quand la thrombose est très tendue, le sac cutané peut s'ulcérer entrainant l'évacuation du caillot et un saignement qui peut effectivement traverser le linge (photo 3). C'est donc un saignement qui survient en dehors de la défecation ou qui peut persister au-delà. Il soulage souvent le patient et est sans gravité. Si le patient est sous anti-agrégant ou anticoagulant cela peut prendre des proportions plus importantes, mais la simple compression manuelle, suffisamment patiente, est efficace.
→ Une fois l'œdème et la thrombose disparus, le sac cutané lié à la distension de la peau de la marge va se rétracter. Si cette rétraction est incomplète, le repli résiduel s'appelle une marisque, d'autant plus grande que la thrombose a été volumineuse. Cette excroissance, parfois désignée par le terme d'hémorroïde externe par les patients, n'est responsable d'aucun symptôme (ni prurit ni douleur). Elle peut être le siège de la thrombose suivante.
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EXCISION DU CAILLOT
→ Quand la thrombose est vue précocement et qu'elle est très douloureuse, on peut effectuer en consultation sous anesthésie locale une excision du caillot (photo 4).
→ On remplace la douleur de la thrombose par la douleur de la plaie d'excision. Mais cette dernière est moindre et plus brève; un geste n'a donc de sens que fait assez tôt dans l'histoire de la THE sinon on ne fait que prolonger la période douloureuse de la THE par la période de douleur du geste. Elle évite la survenue d'une nouvelle thrombose à cet endroit et prévient la formation d'une marisque séquellaire. Certains préfèrent la réalisation d'une simple incision; elle n'est pas recommandée. La structure en logette du plexus veineux à cet endroit ne permet pas le retrait du caillot (en fait il s'agit de plusieurs petits caillots) (photo 5); on ajoute à la thrombose, le saignement de l'incision. On ne prévient ni la récidive, ni la marisque.→ En résumé on dira plutôt, une excision sinon rien. Le geste reste extrêmement simple et peut rendre bien service au patient quand son indication est bien posée.
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