Ces quatre dernières années, pas moins de 1 300 élèves infirmiers ont démissionné, abandonnant l'hôpital. Postes vacants, absentéisme, lits fermés faute de soignants, départs de praticiens vers le privé : les symptômes du malaise hospitalier sont connus et le Ségur de la santé n'a pas permis d'enrayer la crise des vocations (lire aussi page 16 notre entretien avec Frédéric Valletoux, président de la FHF).
Dans ce contexte, le groupe LR du Sénat a annoncé une commission d’enquête en décembre pour faire la clarté sur la fermeture des lits dans les hôpitaux publics, faute de personnel. Avant même les premiers résultats de cette mission, le constat est sans appel : au regard des contraintes qu'ils subissent, les personnels des hôpitaux travaillent dans des conditions « nettement » plus dures que le reste des salariés français, et la situation se dégrade, documente une étude* de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
Intensité des horaires
L'exposition particulière aux contraintes se vérifie sur tous les indicateurs. En 2019, avant même la crise sanitaire, 60 % des médecins hospitaliers affirmaient « travailler sous pression » en permanence (contre 53 % des praticiens trois ans plus tôt). Cette proportion touche même 65 % des infirmiers et des sages-femmes. Des chiffres frappants, en décalage avec les autres secteurs économiques de la société, où seuls 34 % des salariés déclarent devoir travailler sous pression.
Une quantité de travail « excessive » est plus souvent déclarée par les agents à l’hôpital (57 %) que dans les autres secteurs d’activité (40 %). Ce sont aussi les horaires atypiques qui alourdissent la barque. Le fait de devoir « toujours ou souvent se dépêcher » (deux tiers des médecins, trois quarts des infirmières) de « s'interrompre fréquemment » pour des tâches imprévues (83 % des PH et 88 % des infirmières !) ou de travailler de nuit est nettement plus fréquemment rapportés par les hospitaliers — paramédicaux en tête. Et même à profession égale, l’hôpital semble être le lieu privilégié de ces contraintes temporelles : « par exemple, 65 % des aides-soignants salariés d’établissements hospitaliers déclarent devoir toujours ou souvent se dépêcher, contre 44 % des aides-soignants qui ne travaillent pas à l’hôpital », précise la Drees.
Charge émotionnelle plus lourde
Quotidiennement en proie à la vulnérabilité des patients, les soignants hospitaliers sont sans surprise deux fois plus exposés à des situations dramatiques que le reste des salariés français. Neuf hospitaliers sur dix affirment ainsi être en contact avec des personnes en situation de détresse. La charge émotionnelle liée à l’exercice hospitalier s’est aggravée chez les soignants : en 2019, 39 % des médecins affirment devoir cacher toujours ou parfois leurs émotions, soit 10 points de plus qu’en 2016…
Une exigence psychologique également marquée par le fait de penser souvent au travail à la maison : sept médecins sur 10 sont concernés, plus de la moitié des infirmiers et des sages-femmes. Dans ce contexte, la frontière entre vie privée et vie professionnelle tend à s’éroder. « Alors que 17 % des salariés tous secteurs confondus déclarent que leurs horaires ne s’accordent pas bien ou pas du tout avec leurs engagements sociaux et familiaux, ils sont 27 % dans le secteur hospitalier », confirme la Drees.
Davantage d'entraide
En dépit des contraintes supérieures subies par les blouses blanches, la Drees ouvre des voies d’espoir. Du côté de l'entraide, les hospitaliers font mieux que le reste des salariés français ! Ainsi, plus de neuf soignants sur dix estiment qu’ils peuvent compter sur le soutien et le secours de leurs collègues en cas de difficultés à accomplir une tâche délicate, soit 10 points de plus que leurs homologues des autres secteurs.
Toutefois, cette solidarité se révèle moins concluante lorsqu’il s’agit de demander de l’aide à son supérieur hiérarchique. Et malgré la tradition du compagnonnage médical, les tensions ressenties au sein des équipes restent plus élevées en moyenne à l'hôpital que dans les autres secteurs.
Perte de sens, injonctions contradictoires
Le 28 octobre encore, Olivier Véran affirmait vouloir « essayer de comprendre les raisons » des démissions hospitalières récentes. La Drees avance quelques causes, notamment la perte de sens (de la mission originelle de soin) mais aussi les « conflits de valeurs » que subissent praticiens, infirmières, sages-femmes et aides-soignants. « Le décalage entre charge de travail, exigences associées au travail et moyens disponibles pour le réaliser est susceptible d’alimenter ces sentiments », avance la direction statistique du ministère. Dans la même veine, 49 % des soignants disent subir des injonctions contradictoires, un fléau plus exacerbé à l’hôpital comparativement aux autres secteurs. Et 13 % des hospitaliers affirment même devoir faire des choses qu’ils désapprouvent totalement.
Le sentiment de reconnaissance dû au travail est aussi en recul du côté des médecins, des auxiliaires médicaux comme des agents d’entretien à l'hôpital. « Alors que ce sentiment de reconnaissance avait progressé entre 2013 (63 %) et 2016 (72 %), le recul entre 2016 et 2019 (57 %) est marqué », constate la Drees. Reste à savoir si le Ségur de juillet 2020 aura permis de redresser la barre sur ce chapitre de la considération.
En attendant, le manque criant de moyens accordés à l’hôpital public ressort une nouvelle fois dans cette enquête. « Le sentiment de disposer de collègues en nombre suffisant diminue pour les médecins (-14 points depuis 2013) », indique la Drees. Et les lendemains risquent d'être douloureux car les hospitaliers sont de moins en moins nombreux à se projeter sur le même métier jusqu’à leur retraite. Ainsi, le nombre de médecins souhaitant exercer le même travail jusqu’à la fin de leur carrière est passé de 77 % en 2016 à 62 % en 2019 (soit 15 point de moins sur la période). Plus grave : seuls 62 % des praticiens hospitaliers se sentent aujourd'hui capables physiquement et mentalement de continuer à travailler, soit 17 points de moins qu’il y a trois ans.
* « L’exposition à de nombreuses contraintes liées aux conditions de travail demeure, en 2019, nettement plus marquée dans le secteur hospitalier qu’ailleurs », Jacques Pisarik (Drees), Études et résultats n°1215, novembre 2021
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