Depuis plus de 30 ans, le Dr Nicole Delépine prend en charge le cancer de l’enfant autrement, sans essai clinique ni protocole standardisé. Une pratique tantôt plébiscitée, tantôt fortement critiquée. L’AP-HP veut fermer l’unité d’oncologie pédiatrique qu’elle dirige à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, dans les Hauts-de-Seine. Colère des parents d’enfants malades, qui ont engagé grèves de la faim, pétitions et recours devant les tribunaux. Le Dr Delépine explique au « Quotidien » le combat de sa vie.
LE QUOTIDIEN - Quel a été votre parcours médical ?
Dr NICOLE DELÉPINE - Je suis pédiatre de formation. J’ai débuté la cancérologie en 1982, après une rencontre avec le Pr Georges Mathé. La compétence en cancérologie m’a été accordée en 1987. J’ai exercé dans plusieurs hôpitaux jusqu’à mon arrivée à Garches. Le service que je dirige a été créé en 2004, dans le but tout à fait officiel de créer un libre choix thérapeutique pour les cancers de l’enfant – un droit inscrit dans le code de la santé publique.
L’accord a été signé en grande pompe par le ministre Philippe Douste-Blazy et le directeur des hôpitaux de l’époque, Édouard Couty. L’ouverture a eu lieu en 2006. Tout s’est à peu près bien passé jusqu’en 2011. Le service manquait de visibilité, mais cela fonctionnait sans qu’on nous persécute. Depuis 2011 et la mise en place des pôles, les moyens accordés à l’unité ont été progressivement grignotés. Des embauches de médecins ont été refusées, les praticiens en poste se sont épuisés. On a senti le vent tourner. Aujourd’hui, l’unité, unique en France, est menacée. L’accord de 2004 était censé être gravé dans le marbre. J’ai découvert que le marbre n’est pas très solide.
Votre approche du cancer de l’enfant est singulière. Pourquoi refuser d’appliquer les protocoles validés par la communauté scientifique ?
Les protocoles standardisés ne permettent pas un traitement personnalisé du cancer. Je me bats aussi contre le nouveau paradigme, inscrit dans les plans « cancer » successifs, qui rend systématique le recours aux essais thérapeutiques. Pour être accrédité, un établissement de santé doit inclure un maximum de patients dans les essais. Ce choix des autorités sanitaires, imposé de façon autocratique aux patients et aux médecins, est une violation du code de santé publique et du code de déontologie.
Je ne refuse pas les essais thérapeutiques en tant que tels, je refuse qu’ils soient imposés, sans peser le pour et le contre. En parallèle de l’essai, le devoir du médecin est de proposer les schémas de traitement qui existent, avec les résultats connus. Cela n’est quasiment jamais fait. On nous empêche de le faire. Les questions qui se posent sont fondamentales. Un parent dont l’enfant a un cancer a-t-il le droit de choisir entre les traitements publiés, qui ont fait leurs preuves depuis 30 ans, et les essais thérapeutiques, qui coûtent plus cher, et dont l’efficacité n’est pas prouvée ? Un médecin a-t-il le droit de choisir son traitement ? L’indépendance professionnelle est en jeu.
Quelles options thérapeutiques proposez-vous aux enfants malades ?
Nous sommes sortis des essais cliniques dès le milieu des années 1980, après étude de la littérature internationale et rencontre avec des cancérologues américains. Nous avons pris modèle sur eux et nous appliquons des traitements éprouvés depuis des décennies. Nous avons publié que les essais amèneraient de mauvais résultats : cela a beaucoup déplu. En congrès, quelqu’un m’a dit : « C’est donc toi qui fais de la cancérologie pédiatrique clandestine! » Trente ans après, on en est encore là. La société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent essaie de nous faire disparaître. Le service est symbolique d’une résistance à un système imposé par les plans cancer depuis 2003.
Des parents d’enfants se mobilisent pour votre cause, mais aucune autorité – scientifique, administrative, morale... – ne soutient votre position. Comment réagissez-vous ?
L’UFML [Union française pour une médecine libre] nous soutient ouvertement. De nombreux médecins m’ont écrit pour me remercier de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Être brûlé sur la place publique n’est pas facile quand on a une famille à assumer. Les médecins âgés me comprennent davantage. Les plus jeunes ont été formatés. Ils disent qu’il n’y a jamais eu de progrès sans essai clinique. C’est méconnaître l’histoire de la médecine.
Mes collègues et moi avons écrit à l’ensemble des présidents de conseils départementaux de l’Ordre des médecins. Aucun n’a répondu. J’espère que l’Ordre va sortir de son silence et qu’il fera respecter l’indépendance professionnelle. Des propos calomnieux ont ciblé mon équipe ces derniers jours. Nous faisons de la médecine normale, je n’ai jamais eu de plainte en 32 ans d’oncologie pédiatrique. Le sujet dépasse largement la cancérologie, si les médecins n’ont plus le choix des traitements.
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