LE QUOTIDIEN : L’ex-sénateur PS Jacky Le Menn pilote une nouvelle mission sur l’attractivité des carrières hospitalières. Le ministère de la Santé croule déjà sous les rapports officiels sur l’hôpital. Pourquoi un de plus ?
Dr YVES REBUFAT : Au début, nous voulions surtout interpeller l’opinion avec un document réaliste, aux antipodes des rapports qui sortent des rotatives du ministère. Le 14 octobre, nous avons fait grève – sans les autres centrales syndicales – en faveur d’une réforme de la gouvernance et des conditions de travail à l’hôpital. Quelque 40 000 praticiens hospitaliers ont été invités à s’exprimer en ligne. Et 700 réponses nous sont parvenues en 48 heures ! Nous disséquions ce matériau quand nous avons appris la création de la mission Le Menn... Encore une mission ! Nous étions loin d’être ravis. Puis, on s’est dit que nous pourrions guider la réflexion grâce à ces centaines de témoignages. Aujourd’hui, ce « rapport-qui-pique » remis à Marisol Touraine est un moyen de mettre en valeur les préconisations les plus urgentes pour sauver l’hôpital.
Justement, par où commencer pour redorer le blason hospitalier ?
Convaincre les jeunes de revenir à l’hôpital est la priorité. Pourquoi un jeune interne en anesthésie embrasserait une carrière de PH à 3 000 euros net par mois quand la clinique d’en face lui propose un salaire quatre fois supérieur ?
Autre constat : l’hôpital a oublié ce qu’il est et les médecins leur métier. L’humain a disparu au profit de l’activité. Cela n’a rien d’attrayant pour un jeune interne.
Le temps de travail des PH est un autre sujet délicat car, d’une spécialité médicale à l’autre, il se mesure différemment. Temps de travail statutaire de 39 heures, valorisation des heures supplémentaires jusqu’à 48 heures, suppression du temps additionnel… Par où commencer ? Malgré sa complexité, nous devons saisir à bras-le-corps ce dossier capital pour l’hôpital.
À plus long terme, que faut-il remettre à plat ?
Sans hésiter, la pénibilité liée au travail de nuit des PH doit être reconnue ! Peu importe le moyen (valorisation financière ou compte en fin de carrière alimenté par les gardes et astreintes), il faut changer la donne.
À 65 ans, difficile d’imaginer travailler 50 heures par semaine, sans compter les gardes ! Dès qu’il s’agit d’organiser le temps de travail des médecins, le chef de service ajuste « à la louche » : un PH ici, un PH là… Tous les autres corps de métier font l’objet de calculs d’effectifs précis, selon les besoins de l’équipe. Pas nous. Quand allons-nous enfin évoluer ?
Vous êtes anesthésiste au CHU de Nantes. Le bloc opératoire est-il symptomatique des tensions à l’hôpital ?
Depuis dix ans de tarification à l’activité, on « bouffe du malade » à l’hôpital, au bloc, à la radio et aux urgences ! Où est l’attractivité ? Ajoutez à cela la tension démographique et vous obtenez un cocktail explosif !
Au CHU de Clermont-Ferrand, un PU-PH chef du service de gynécologie-obstétrique a vu son bloc opératoire fermer du jour au lendemain. Ce n’est qu’un triste exemple de ce qu’il se passe partout en France. Certes, un bloc ouvert de 8 heures à 20 heures coûte moins cher que deux blocs en fonctionnement pendant moins longtemps en terme de chauffage, de lumière et de temps paramédical. Voilà bien un discours de consultant de boîte privée ! Pour nous, le temps se mesure en demi-journée. Passez douze heures au bloc et enchaînez sur 14 heures de garde et vous êtes prêts à tuer.
Nous sommes les seuls à travailler à ce rythme effréné sans contrepartie. Les rapports qui s’entassent sur le bureau de la ministre ne disent pas autre chose. Et rien ne se fait. Assez !
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