LE QUOTIDIEN : L'activité reprend dans les hôpitaux et cliniques. Êtes-vous confiant quant au retour progressif à la normale ?
Pr OLIVIER GOËAU-BRISSONNIÈRE : Confiant oui, car les médecins ont été à la hauteur du défi pour prendre en charge tous les patients malades pendant le pic de la crise sanitaire et déprogrammer les interventions. Aujourd'hui, la reprise d'activité ne doit pas être freinée par la crainte d'une deuxième vague. Les anesthésistes-réanimateurs et les urgentistes en première ligne, mais aussi les médecins internistes, ont été les premiers à le souligner lorsque j'ai consulté les conseils nationaux professionnels (CNP) à la fin avril. On a su déprogrammer toutes les opérations en une semaine, on pourra le refaire en cas de rebond épidémique, mais on sait aussi comment reprendre cette activité. Après, moins on ajoute de strates administratives, mieux c'est…
Justement, avez-vous des retours des spécialités sur certains freins ?
Oui. Les spécialités ont souvent remonté des points de blocage avec les agences régionales de santé (ARS), ou du moins un excès bureaucratique – une multiplicité d'interlocuteurs, des coordinateurs de ceci ou de cela. Alors que sur le terrain, les équipes médicales ont fait le nécessaire pendant la crise !
Concernant la reprise d'activité, le problème est que les ARS ont parfois édicté des règles et des listes d'actes autorisés ou non, sans que ce soit en connexion avec le terrain, ce qui a créé de la cacophonie ! Ce qui vaut pour l'Ile-de-France ne vaut pas forcément pour Marseille. En revanche, il est primordial qu'il y ait une équité entre secteur public et privé, que tout le monde puisse reprendre en même temps ses activités médicales et chirurgicales. Et si des établissements doivent rester Covid +, leurs équipes doivent pouvoir se déplacer et aller opérer sur d'autres plateaux techniques.
Y a-t-il des régions où c'est plus compliqué ?
Oui, déjà je ne suis pas sûr que les plans blancs soient levés partout pour permettre une reprise de manière coordonnée et équitable. Certaines ARS ont menacé de sanctions pénales les médecins qui ne respecteraient pas leurs injonctions. En Bourgogne Franche-Comté, j'ai eu des remontées au sujet de tensions entre l'ARS et les médecins et chirurgiens quant à ces fameuses listes d'actes. Ces derniers alertent sur l'aggravation de l'état de santé des patients après sept semaines d'interruption des interventions.
Vous affirmez que la reprise ne doit pas se baser des listes d'actes. Pourquoi ?
C'est un vrai sujet car qui définit ces listes ? D'un territoire à l'autre, la situation peut être très différente. Ces listes ne doivent absolument pas être fermées, car en fonction des patients, ne pas pouvoir se faire opérer ou dépister peut-être très invalidant. Si on ne fait plus d'endoscopies, on diagnostique moins de cancers du côlon. Et si le délai devient trop long, il peut y avoir perte de chance. En chirurgie vasculaire, un anévrisme de l'aorte doit être opéré avant d'atteindre 55 mm de diamètre, or si on diffère, l'anévrisme peut être rompu et il y aura des complications.
Des listes prédéfinies sont peu cohérentes. Les actes qu'il est possible de réaliser sont aussi conditionnés à l'architecture des lieux, la taille des équipes ou la disponibilité des équipements de protection individuels. Les spécialistes sont parfaitement capables de décider ce qui doit être fait pour un patient. Les conseils nationaux professionnels, qui regroupent les médecins du secteur libéral et du public, doivent être écoutés !
Certains syndicats alertent sur une pénurie de médicaments anesthésiques, qui pourrait expliquer ces restrictions…
Le traitement des patients Covid hospitalisés en réanimation a nécessité l'utilisation de fortes quantités de médicaments, comme le curare, et il y a des craintes d'en manquer. Mais cette pénurie ne doit pas conduire à décréter "vous n'avez pas le droit de faire telle ou telle intervention" ! On peut favoriser les anesthésies locorégionales. Et une fois encore, c'est aux médecins de décider, de façon collégiale, quelles interventions sont à différer ou pas, sachant qu'on peut établir des priorisations pour opérer tel patient dans les quinze jours ou dans le mois. Quant aux ARS, elles doivent faire de la coordination entre acteurs, organiser les soins et faire de l'épidémiologie. Elles peuvent avoir un rôle décisionnel mais ce n'est pas à elles de dire aux médecins ou aux chirurgiens quels patients soigner, et comment les soigner.
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