« C’est pas moi, c’est lui ! » Cela aurait pu être l’intitulé de la fausse pièce de théâtre montée la semaine dernière par une petite troupe amateur de pharmaciens et de médecins hospitaliers à Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes), à l’occasion des 9e rencontres Convergences santé hôpital*. Le vrai-faux scénario catastrophe se joue à l’hôpital : un nourrisson décède pour cause de surdosage médicamenteux. À qui la faute ?
La mise en scène est originale autant que pédagogique. Les acteurs, pour beaucoup des élus syndicalistes, se répartissent les rôles de témoins, d’accusés et de membres de l’instruction. Me Frédéric Laurie, un vrai avocat, complète l’aréopage. Le public de l’amphithéâtre, composé de 500 internes et PH, joue le jury et vote.
Théâtre de l’absurde
Lever de rideau. Sandrine, jeune préparatrice fraîchement embauchée à la pharmacie de l’hôpital (PUI), doit gérer la commande du service de pédiatrie, qui sollicite en urgence une solution buvable pour un nourrisson en bradycardie. Le dosage demandé n’est pas en rayon. Le chef de service de Sandrine « est en journée de formation DPC ». Son adjoint se trouve « en réunion de certification avec la direction ». La salle s’esclaffe... Mais voici que la cadre supérieure de pôle surgit dans la PUI et accentue fortement la pression. La vie d’un enfant est en jeu. Paniquée, Sandrine élabore la solution sans se fier à la fiche de préparation, introuvable dans la paperasse, et dose… dix fois plus que nécessaire.
Le nourrisson décède. Panique générale. Le chef de pôle convoque tout le monde, la presse est aux aguets. Quant au directeur, plus vrai que nature (et pour cause, Vincent Vioujas est directeur adjoint de l’hôpital de Salon-de-Provence), il trouve qu’une telle affaire fait « mauvais genre » à une semaine d’une réunion avec l’agence régionale de santé (ARS).
Des têtes doivent tomber. Mais lesquelles ? Dans l’amphithéâtre, on rit franchement des dialogues parfois caricaturaux mais si réalistes sur la vie de l’hôpital. On prend également des notes afin d’éviter de se retrouver un jour, face à la justice, sur le banc des accusés.
Sur scène en tout cas, tout le monde se renvoie la balle. Le pharmacien était « absent en toute légalité ». La cadre sup’ emboîte les pas du chef de pôle (joué par le Dr Stéphane Bourcet, psychiatre et président de la commission médicale d’établissement de Toulon-La-Seyne-sur-Mer) qui, lui, « n’a pas demandé à être responsable de la PUI ». Le directeur de l’hôpital qui a « vu la PUI une fois lors de sa prise de fonction », « est d’accord avec le chef de pôle avec qui il a contractualisé ». On s’y croirait, soufflent des PH dans la salle.
Boucs émissaires
Vient l’heure de la leçon magistrale. « Un cadre de pôle peut-il entrer dans une PUI ? », interroge le tribunal. La moitié de la salle répond oui. À la tribune, Marie-Hélène Bertocchio, pharmacienne à l’hôpital de Montperrin (Aix-en-Provence), s’étrangle : « Personne ne peut rentrer dans une PUI. Vous êtes le gardien des poisons. Si vous n’agissez pas comme tel, vous ne servez à rien ! ».
Autre question : entre la préparatrice à peine formée et le pharmacien en chef « qui ne voulait pas d’elle mais n’a pas pu obtenir un meilleur remplacement de ces deux préparatrices en congé maternité faute de moyens », qui s’en sort le mieux devant la justice ?
La salle hésite, Me Laurie tranche : les deux perdent. La jeune préparatrice pourrait plonger pour exercice illégal, violence involontaire ayant entraîné la mort et même crime d’empoisonnement. Stupéfaction de l’amphi, qui aurait préféré voir tomber les têtes du directeur, du chef de pôle et de la cadre. Cette dernière pourrait toutefois écoper d’une sanction pour abus d’autorité de fonction, voire harcèlement moral.
La salle s’agite. Quid de la pédiatre et de sa prescription initiale ? Qu’a-t-elle fait pour sauver le petit patient ? Au terme de ces deux heures de tragicomédie, médecins et pharmaciens retiendront cet enseignement : sous le règne d’Ubu à l’hôpital, où les décisions et les responsabilités se prennent souvent dans un climat de tension, les soignants ne sont jamais à l’abri et peuvent rapidement devenir des boucs émissaires.
* Organisées par cinq syndicats de PH : deux au nom des médecins (CMH et SNAM-HP) et trois pour les pharmaciens (SNPGH, SNRPH et SNPHPU).
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