Pour une fois, médecins et directeurs parlent d'une même voix. Ils expriment une forme d'exaspération face à l'accumulation des changements à l'hôpital qui percutent les organisations, les plannings et les pratiques – depuis les 35 heures mal accompagnées jusqu'à la mise en place anxiogène des groupements hospitaliers de territoire (GHT).
À l'initiative de l'intersyndicale Avenir Hospitalier, un colloque à Paris a montré l'ampleur du malaise. Dominique Meda, philosophe et sociologue, spécialiste du travail et des politiques sociales, dresse un tableau alarmiste. « L'hôpital est à la pointe des évolutions en matière de conditions de travail. Or, tout a changé : incitation à la performance individuelle, contraintes budgétaires, cadrage et découpage de l'activité, reporting permanent, management coupé du terrain, interruption et dispersion des tâches… Il y a une crise du travail en général et une médiocrité des conditions de travail qui est poussé à l'extrême à l'hôpital ». Selon cette experte, le manque de personnel médical et paramédical, certaines dérives liées à la tarification à l'activité (T2A), le non-respect fréquent de la réglementation (48 heures hebdomadaires maximum, repos de sécurité), « l'inflation des procédures » mais aussi les « injonctions contradictoires » brouillent les repères des hospitaliers et créent un climat pesant. Danièle Linhart, également sociologue du travail, souligne le « reversement dans le secteur public hospitalier des logiques de management privé ».
Des agents aux managers en passant par les praticiens, personne n'est épargné. L'hôpital « doit faire plus, mieux avec moins et chacun doit rapporter ce qu'il fait », résume le Pr Michel Claudon, président de la conférence des présidents de CME de CHU. Si les risques psychosociaux sont devenus une « réalité concrète » chez les soignants, les directions hospitalières subissent, elles aussi, une « pression grandissante », explique-t-il. Le salut pour les médecins ? « Se projeter en remettant en avant le projet médical », propose le Pr Claudon.
Une strate supplémentaire
Aujourd'hui, la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) est une nouvelle source d'inquiétude dans les hôpitaux, en raison du manque d'accompagnement des équipes autour de l'élaboration des projets médicaux partagés (à finaliser avant le 1er juillet 2017). Au sein des CHU, certains hospitaliers font valoir que leurs agendas locaux sont « explosés » par les réunions de travail « GHT » qui s'ajoutent au reste… Ils s'inquiètent des répercussions de ces groupements sur leur propre activité mais aussi de la concurrence entre les sites. Invitée du colloque d'Avenir Hospitalier, Clémence Mainpin, chargée de la mission GHT au sein de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS, ministère), s'est employée à rassurer sur la méthode. Pour la tutelle, l'idée ne serait pas de plaquer un « modèle unique » de GHT ni d'être « trop prescriptif ». « On souhaite proposer une palette d'outils, les projets médicaux doivent être portés par les équipes et non pas par quelques décideurs sur un coin de table », assure-t-elle.
Les managers sont mis à rude épreuve en raison de l'accumulation des réformes, à peine digérées. « Nous n'avons même pas fini de mesurer les effets de la réorganisation interne de la gouvernance qu'on nous impose une strate supplémentaire avec les GHT. Il faudrait davantage de stabilité des organisations », plaide Anne Meunier, secrétaire générale du syndicat des cadres de direction SYNCASS-CFDT, majoritaire. « Le raidissement des rapports humains existe à tous les étages », constate-t-elle tout en réclamant un dialogue respectueux et fécond « sur les sujets essentiels » entre les médecins et les directeurs.
Dans les spécialités en forte tension démographique, la situation est parfois critique. Radiologue au CHU de Caen, le Dr Audrey Fohlen résume la situation. « La demande est de plus en plus nombreuse. Il nous faudrait plus de radiologues, plus d'équipements lourds, mais aussi davantage de reconnaissance et de valorisation. Il faut surtout laisser aux médecins le temps de penser…».
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