Les apparences sont trompeuses. Tous exposés plein sud, les 64 lits de l’hôpital de Cerdagne, à Puigcerdà, (Espagne) tournent le dos à la France… mais pas à ses patients. La preuve ? Le premier bébé du premier hôpital transfrontalier d’Europe, inauguré le 19 septembre, était français.
Au rez-de-chaussée, dans la cour qui fait face à la chaîne pyrénéenne, c’est tout autant le SMUR hexagonal que son homologue catalan (SEM) qui amènent, indifférents à leur provenance, les patients au service des urgences dans un ballet de camionnettes rouge et jaune. L’hôpital de Cerdagne, à quelques centaines de mètres de la frontière française, se trouve au croisement des trois cultures (française, catalane et espagnole).
Double financement et fibre européenne
Doté d’un budget de 20 millions d’euros* abondé à 40 % par l’assurance-maladie française et à 60 % par la Cat Salut, l’assureur public catalan, l’hôpital transfrontalier emploie 180 équivalent temps plein dont une quarantaine de praticiens. « Nous avons repris les effectifs de médecins de l’ancien hôpital de Puigcerdà qui vient de fermer ses portes, et nous procédons au recrutement des médecins français. Il doit y en avoir au moins un par service », explique Manon Marrel, directrice générale adjointe. Pour être recruté ici en tant que salarié, ou vacataire, il faut comprendre et se faire comprendre en Français, en Castillan et en Catalan. « C’est un point requis », précise-t-elle. L’établissement a pour vocation de fournir des soins médicaux à quelque 30 000 habitants de la vallée de la Cerdagne, de part et d’autre de la frontière franco-espagnole.
Le Dr Philippe Smadja, radiologue, est l’un des premiers - et encore rare - médecins français à faire son entrée à l’hôpital de Cerdagne. Mis à disposition trois jours par semaine par l’hôpital de Perpignan, qui a signé avec Puigcerdà un groupement de coopération sanitaire, il se dit enthousiasmé par l’expérience. « C’est un beau challenge. C’est le premier hôpital transfrontalier, on a la fibre européenne. » La langue espagnole ? « Je la comprends, d’autres médecins sont bilingues. Bien sûr, c’est un frein, mais on n’est jamais isolé. Il y a toujours la possibilité d’avoir un traducteur. Nous sommes tous très pris par nos activités mais l’apprentissage de l’Espagnol fait partie des projets à finaliser », convient-il.
Carte Vitale et carte catalane
À l’intérieur de l’hôpital de Cerdagne, tout est fléché en trois langues : français, castillan et catalan. À la borne d’accueil, on prend la carte Vitale et la carte sanitaire Individuelle catalane.
Quelques jours après l’ouverture, on perçoit encore nettement la prédominance ibérique dans l’établissement bien que, dans les bureaux de l’administration, on semble passer avec aisance d’une langue à l’autre. « Sur les trois premiers jours d’activité, nous avons eu 120 passages aux urgences. Seuls 30 concernaient des Français », tempère-t-on au sein de la direction.
« Nous devons nous adapter à la culture de chacun », poursuit le Dr Montse Carrera, pédiatre responsable du pôle mère-enfant. Depuis plusieurs mois, ce médecin espagnol vivant en France suit des cours de français. En décembre, elle passera un examen qui lui permettrait également d’exercer en France. « Nous n’avons pas d’obligation contractuelle à nous former au français, mais nous avons une obligation morale, précise-t-elle. Pour nous, les Français à l’hôpital, ce n’est pas une nouveauté ! Quand ils sont victimes d’accidents, nous pouvions les accueillir depuis l’an 2000 dans l’ancien hôpital ». Il y a quelques mois encore, le patient devait en revanche justifier d’une urgence pour se rendre à Puigcerdà. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Adaptation
Au pôle mère-enfant, les équipes se sont préparées aux différences culturelles dans le soin qui se manifestent au-delà du trait invisible des frontières. « Les Françaises privilégient un accouchement naturel au maximum, raison pour laquelle nous avons aménagé une salle à cet effet. En revanche, les femmes catalanes privilégient un accouchement très médicalisé et se posent beaucoup de questions : vais-je avoir assez de lait ? Sera-t-il bon pour mon enfant ? Nous nous adaptons aux deux... », raconte le Dr Carrera.
Le multiculturalisme se traduit jusqu’aux horaires de cantine. En France les soignants se rendent généralement à la cantine dès midi, en Espagne, ils attendent plutôt 15 heures. Du coup, la direction a coupé la poire en deux en assurant un service de 12H30 à 15H30. Idem pour les patients hospitalisés, mis à table dès 11H30 du côté nord des Pyrénées et vers 13H30 côté sud. À Puigcerdà, le patient reçoit son plateau à 12h30...
*La construction du bâtiment a été financée à hauteur de 65 % par des fonds européens.
Investissement en santé : malgré l’urgence, pourquoi ça coince encore
Suicides de soignants à l’hôpital : Vautrin, Borne et Neuder visés par une plainte, ainsi que l’AP-HP
Opacité tarifaire, pratiques commerciales trompeuses… Les cliniques rappelées à l’ordre par Bercy
Vers un moratoire sur les fermetures des maternités ? Les obstétriciens du Syngof disent non