Ouverte par l’occupant allemand en novembre 1941, la « Reichsuniversität » de Strasbourg s’installa dans les locaux de l’Université de Strasbourg, elle-même repliée à Clermont-Ferrand depuis 1939, et elle disparut à la Libération. Or, en dépit de nombreux témoignages, procès et études lancés dès 1945, certains aspects de son histoire n’avaient jamais été entièrement éclaircis. Mais après six années de travaux, une commission internationale présidée par les historiens Florian Schmaltz (Berlin) et Paul Weindling (Oxford) vient de combler ce manque.
Le rapport de 500 pages de la commission pour l'histoire de la faculté de médecine de la Reichsuniversität, dévoilé la semaine dernière, décrit ainsi « la vie des cliniques au quotidien, des expérimentations humaines criminelles et des collections médicoscientifiques ». L'équipe d'une quinzaine de chercheurs internationaux et indépendants, qui avait été mandatée par l'ancien président de l'Université de Strasbourg, a également consacré des biographies aux victimes et aux personnels de la faculté de médecine et émis des préconisations concernant les politiques mémorielles.
Oubli relatif
La « Reichsuniversität » était composée d’enseignants et d’administrateurs allemands, avec parmi eux 24 professeurs de médecine. Tous n’étaient pas forcément des nazis convaincus, mais trois d’entre eux, l’anatomiste August Hirt, le virologue Eugen Haagen et l’interniste Otto Bickenbach n’hésitèrent pas – comme nombre de leurs confrères d’autres universités allemandes – à mener des recherches biomédicales sur des détenus. Hirt fit assassiner 86 déportés juifs pour doter l’institut d’anatomie d’une collection de crânes. Fuyant Strasbourg à la Libération, il se suicida en 1945 mais fut condamné à mort par contumace après la guerre. Haagen et Bickenbach furent condamnés à de lourdes peines mais libérés au bout de quelques années.
À l’image d’une Alsace traumatisée par cette période noire, ces tragédies tombèrent progressivement dans un oubli relatif. Il fallut attendre les années 90 pour qu’une nouvelle génération de médecins, en particulier le psychiatre Georges Federmann, réclame plus de clarté. Les crimes de Hirt devinrent pour ces praticiens le symbole des dérives de la médecine dévoyée du système nazi, gouvernée par les seules idéologies : selon eux, il fallait absolument enseigner ces réalités à l’Université. Mais celle-ci se montra longtemps réservée face à ces demandes, en faisant valoir qu’elle n’avait aucun lien ni responsabilité vis-à-vis de l’université nazie. En outre, des polémiques sur l’existence réelle ou supposée de pièces anatomiques prélevées sur des déportés et conservées après 1945 éclatèrent à plusieurs reprises, en dépit du travail d’inventaire mené par les instituts concernés.
Identification des victimes
Pour tenter de clore ces controverses, l’Université de Strasbourg chargea en 2016 une commission internationale de réaliser un historique précis de la faculté nazie, y compris une évaluation de l’origine de toutes les pièces conservées à Strasbourg, dont des lames histologiques et des collections micro et macroscopiques.
Ces travaux d'enquête ont permis de montrer que les prélèvements encore conservés à Strasbourg n’avaient pas été faits sur des déportés et d’identifier plus précisément les victimes des expérimentations menées par ces médecins. Comme l’a résumé le doyen de la faculté de Médecine, le Pr Jean Sibilia, « l’approche rigoureuse de cette commission internationale a enfin produit un inventaire précis de cette période, qui nous aidera à construire une résilience collective. Il permettra d’apaiser sereinement cette relation tumultueuse avec un passé qui sera maintenant mieux connu et compris ».
Chemin du souvenir
Mais la commission est allée plus loin, en s’intéressant au fonctionnement, à la mécanique, au personnel, aux praticiens et aux étudiants de la Reichsuniversität, ainsi qu’à leur devenir après la guerre. En outre, elle a préconisé la mise en place de lieux de mémoire et de réflexion ainsi que d’un chemin du souvenir, une recommandation acceptée par l’Université. Dans un objectif de transparence, les conclusions de ces travaux et de nombreux documents biographiques et historiques sont dès à présent disponibles en ligne. En effet, rappelle le président de l’Université de Strasbourg, le théologien Michel Deneken, « la médecine reste fragile face à l’éthique, et il est indispensable de le rappeler à tous nos jeunes ».
Une exposition sur les liens entre la faculté de médecine de la Reichsuniversität et le camp de concentration du Struthof se tient jusqu'au 19 mars 2023 au Centre européen du résistant déporté à Natzwiller. Informations : www.struthof.fr
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne
Denis Thuriot (maire de Nevers) : « Je songe ouvrir une autre ligne aérienne pour les médecins libéraux »