Au CHU de Lille, l’idée du livre « Une évidence malgré tout* » a germé à partir du travail documentaire mené en ses murs par deux photographes de l’agence lilloise Light Motiv, Anouk Desury et Thierry Thorel, au début de la crise sanitaire. « Nous avons eu envie d’utiliser cette matière pour valoriser les professionnels et concevoir un objet de mémoire pour garder une trace de cette crise », confie Morgane Le Gall, directrice de la communication et du mécénat du CHU.
Le projet a changé de cap pour s’orienter vers un ouvrage de photos accompagné de témoignages de la communauté hospitalière. Le CHU a mandaté Natacha Borel, philosophe et formatrice, pour qu’elle retranscrive l’expérience vécue par des personnels de professions diverses – médecins, infirmières, cadres, aides-soignantes, responsables facturation, assistantes sociales, internes, agents logistiques…
La force de l’engagement collectif
« J’ai recueilli les témoignages par téléphone ce qui a, paradoxalement, laissé la place à quelque chose de plus intime pour certains », explique la rédactrice. Réalisés entre juillet et octobre, les entretiens et les images illustrent la force de l’engagement des professionnels du service public, assorti d’un sentiment d’évidence malgré les menaces et les inconnues de ce virus imprévisible.
Les secousses de cette crise inédite sont décrites de l’intérieur. Un jeune anesthésiste-réanimateur raconte comment le confinement a d’abord vidé les urgences… puis comment « en quelques jours, le service était plein de patients Covid ». Il souligne la nécessité de transmettre rapidement aux autres soignants les informations glanées au fur et à mesure par les médecins sur la maladie et l’évolution de sa prise en charge. Et témoigne de l’intensité de cette séquence exceptionnelle, qui lui rappelle chaque jour les raisons du choix de ce métier : rendre service en situation d’urgence.
Formidable capacité d’adaptation
Sans autre illustration (cette fois) qu’un petit portrait des personnes interrogées, le livre écrit par Christopher Albano — « Hospitaliers, témoignages au cœur de la crise » – rassemble uniquement des témoignages à la première personne, plus longs. Directeur adjoint de la communication au CH de Valenciennes, cet ex-journaliste a interviewé des personnels de toute la chaîne des soins dont de nombreux médecins. Rodolphe Bourret, DG de l’hôpital, a soutenu l’initiative et en a signé la préface. « J’ai voulu que chacun raconte son vécu professionnel mais aussi la vie personnelle chamboulée », raconte Christopher Albano.
Le Dr Antoine Lemaire, 44 ans, chef de pôle cancérologie et spécialités médicales, salue la transformation des relations interprofessionnelles et l’interdisciplinarité. « Nous avons appris à mieux nous connaître […], à vivre, à travailler ensemble […]. Les unités Covid ont permis de maintenir notre ADN et notre façon de travailler. » S’il salue la « formidable capacité » du système public de santé à se reconfigurer face aux vagues successives, il constate aussi que « les failles que l’on connaissait, la non-considération de l’hôpital public par les politiques de santé » ont « explosé ». Et juge au passage que le système privé a participé à l’effort mais « sans commune mesure avec le public ».
Une fierté et des traces
Le Dr Claude Meurisse, président de la CME, relève de son côté l’exploit des équipes soignantes, une source de fierté et une « expérience qui change la vie ». « Je n’avais jamais vu cela », raconte ce médecin urgentiste expérimenté de 63 ans. Malgré les inconnues, « la mécanique était parfaitement huilée, chacun savait parfaitement ce qu’il avait à faire ». Pour autant, la pandémie laissera de « nombreuses traces psychologiques ».
Le Dr Julien Demanet, 39 ans, anesthésiste réanimateur, se souvient de l’afflux massif de patients qui a « complètement remis en cause (ses) habitudes de travail, (ses) habitudes de pensée et (son) organisation ». Il évoque l’impact psychologique de la mortalité importante dans le service mais retient aussi les belles histoires, des patients sortis de réa après des séjours « de plusieurs semaines, voire plusieurs mois » et qui « revivent comme avant ». Quant au Dr Nabil Elbeki, chef du pôle urgences, réanimation et anesthésie, il n’oubliera jamais « ce week-end du 1er avril où nous sommes passés tout près d’une catastrophe » car l’unité Covid était occupée à 100 %. « Presque miraculeusement, dès le lendemain, nous avons commencé à libérer un premier lit, puis un deuxième… »
*L’ouvrage du CHU de Lille, tiré à 18 000 exemplaires par l’établissement, a été distribué aux 16 000 agents de l’hôpital. Celui de Christopher Albano, publié aux éditions Baudelaire, est en vente en librairie.
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