Après trente-huit ans de carrière en tant que médecin généraliste et six ans d’exercice à l’Ehpad du centre hospitalier Alphonse Guérin de Ploërmel, le Dr Jean-Michel Barreau a décidé de démissionner face à « une direction qui prône le dialogue mais n’écoute pas ses soignants ». Officiellement adjoint de la Dr Anne-Laure Archer, médecin coordonnatrice à l’Ehpad de Ploërmel, mais aussi « médecin bouche-trou » comme il se qualifie lui-même, il dénonçait de longue date la dégradation des conditions de travail, le conduisant à pallier lui-même le manque de personnel médical et paramédical pour prendre en charge les résidents.
Résidents âgés, carence de soignants
Quand la Dr Archer se retrouve en arrêt maladie, c’est au Dr Barreau, 70 ans, de prendre le relais. Fin 2023, il sonne l’alarme face au manque chronique de personnel qui conduit aussi à de pénibles difficultés logistiques. Au niveau de la pharmacie par exemple, les médicaments étant livrés « en vrac », les infirmiers sont obligés de faire le tri et de préparer eux-mêmes les produits pour les 84 résidents âgés de l’Ehpad, ce qui représente une heure et demie de travail supplémentaire chaque jour. Ce problème est d’autant plus criant que le nombre d’infirmiers de l’Ehpad Le Clos des Tilleuls est restreint au cours de la semaine : deux sont alternativement de service tantôt le matin, tantôt l’après-midi, et un troisième soignant dit « de journée » est présent trois jours par semaine…
Prenant le taureau par les cornes, le Dr Barreau avait réclamé que l’infirmière présente trois jours par semaine puisse travailler cinq jours. Mais, relate-t-il, il lui fut répondu que « c’était trop cher » ou qu’« on ne trouve personne pour ce poste. » Or, explique-t-il encore, « à cause du recul de l’âge d’arrivée en Ehpad », les malades sont de plus en plus dépendants et « les soins prodigués plus chers ». Une équation devenue insoluble dans un contexte de pénurie des ressources médicales et paramédicales.
La goutte qui fait déborder le vase
En mai 2024, il réitère en vain sa demande de renforts auprès du directeur des Ehpad du CH de Ploërmel, du directeur du CH Bretagne Atlantique, du maire et des députés de la circonscription. Aucune réponse… Début juin, le médecin propose sa démission pour provoquer un sursaut. Cet « acte de chantage » apparaît comme l’ultime recours face au mur mais sa décision n’a pas l’effet escompté. « La seule réponse que j’ai eue, c’est une prise d’acte de ma décision… Et comble de l’ironie, une demande pour que je travaille un mois supplémentaire », se désole le généraliste.
Quand un soignant souffre il faut se demander pourquoi
Dr Jean-Michel Barreau
Élu par ailleurs référent santé au sein de la commune il y a quatre ans, le Dr Jean-Michel Barreau avait priorisé la lutte contre la désertification médicale, le maintien des services à l’hôpital et l’arrivée de l’IRM (seul ce dernier dossier ayant abouti). « Je suis déçu vis-à-vis de nos soignants, confie le médecin. Nous ne les écoutons pas. Or, quand un soignant souffre il faut se demander pourquoi. Au lieu de cela, on nous parle de déficit et d’argent. Il y a une déshumanisation du soin ».
Pour ce praticien, une des solutions serait de rendre un pouvoir décisionnaire aux médecins et aux élus locaux, plutôt qu’à l’administration. « Actuellement, je fais partie du conseil de surveillance mais je n’ai aucun pouvoir consultatif ou décisionnel. » Sa seule arme consiste donc à « pousser ce coup de gueule » et à utiliser son carnet d’adresses d’élu pour « devenir, par le biais des articles, un lanceur d’alerte ».
Dans le journal local Le Ploërmelais, la direction de l'hôpital a réagi au sujet de ce départ. « Nous tenons à remercier le Dr Barreau pour son engagement ces dernières années auprès des résidents et patients de nos établissements. Malgré nos besoins, nous avons considéré qu'à 70 ans le Dr Barreau était en droit de demander une fin de contrat qui a été acceptée ».
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