Le bilan de l'observatoire de la souffrance au travail (OSAT) des médecins hospitaliers – plateforme lancée en 2017 par la centrale Action Praticiens Hôpital (APH*), en reprenant un travail porté par le SNPHARe – confirme la place prépondérante d'une gouvernance arbitraire et du harcèlement moral au travail dans l'analyse des dossiers individuels.
Pour ce bilan 2020, les personnels médicaux hospitaliers ont déclaré sur cette plateforme en ligne « 57 fiches de souffrance » (37 % de CHU, 61 % de CH et 2 % d'établissement public de santé mentale – ESPM), en lien direct avec leur vie professionnelle.
Presque deux fois plus de femmes
Comme l'an passé, l'analyse des déclarations des situations individuelles de souffrance professionnelle montre une nette prévalence des femmes (63 % versus 37 %) et des PH temps plein (84 % des cas). L'âge médian est de 53 ans et le temps de travail médian déclaré est de 48 heures. Dans un tiers des cas, le déclarant exerçait lui-même une fonction d'encadrement (chef de service ou de pôle) et la moitié cotisent à un syndicat.
La souffrance n'épargne aucune discipline. Le recueil révèle que « 25 spécialités différentes » ont déclaré sur ce registre, en tête desquelles l'anesthésie-réanimation (comme depuis deux ans), la médecine d'urgence, la biologie et la gynécologie-obstétrique.
Par définition, ceux qui décident de signaler leur souffrance sur cette plateforme sont particulièrement fragilisés. « Le niveau de souffrance sur une échelle de 1 à 10 est auto-évalué à 8, avec un danger imminent pour soi dans 58 % des cas », peut-on lire (indicateurs similaires à l'an passé).
Troubles du sommeil omniprésents
Les principaux symptômes associés sont les troubles du sommeil, quasi généralisés pour les déclarants (86 % des cas), les troubles anxio-dépressifs (66 % avec traitements médicamenteux dans 30 % des cas) et les troubles alimentaires (37 %). Dans un tiers des situations, cette souffrance professionnelle a provoqué un arrêt de travail de plus de deux semaines.
Les idées suicidaires sont évoqués dans 7 % des fiches et les addictions dans 9 % des cas (60 % à l'alcool, 20 % aux tranquillisants). Sur ce panel, un PH sur cinq déclare même avoir subi un traumatisme psychologique. Signe de l'ampleur des situations de détresse, les déclarants envisagent majoritairement de se soustraire complètement à l'activité qui est la cause de cette souffrance (40 % citent un projet de démission et 25 % une recherche de mutation).
Le manque de personnel aussi incriminé
Quelles sont les causes de souffrance (souvent plurielles) mises en avant ? L'observatoire d'APH cite en premier lieu un « arbitraire flagrant lié à la gouvernance dans l'établissement et une présomption de harcèlement moral au travail » (la moitié des déclarations), devant une « désorganisation grave et chronique du service » (46 %) et des déficits en personnels médicaux (44 %). Plusieurs réponses étant possibles, 39 % des praticiens en souffrance invoquent une surcharge émotionnelle, 26 % une désorganisation liée à la crise sanitaire (puisqu'il s'agit du bilan 2020) et 16 % une carence de moyens de protection individuels.
Originalité du baromètre cette année, un focus particulier sur les présomptions de harcèlement moral. La direction et/ou la hiérarchie médicale sont le plus souvent mises en cause (34 % chacune), devant les collègues de même spécialité et de même statut. Les manifestations citées de ce harcèlement moral (plusieurs réponses) recouvrent un large éventail : ce sont le plus souvent des attitudes de mépris (83 %), des dévalorisations sournoises (79 %), une déconsidération en public, une mise en cause explicite du travail (55 %), un isolement du groupe (55 %), des menaces verbales (48 %), des insultes ou même des menaces (7 %) et agressions physiques (3 %).
APH souligne au passage que la protection fonctionnelle – censée permettre aux PH de préparer leur défense avec des éventuels frais d’avocat pris en charge par l’employeur public – n'a pas été demandé dans deux tiers des cas (et lorsque c'est le cas, elle est refusée).
Pas de médecin traitant dans un cas sur deux
Enfin, les praticiens ayant signalé leur souffrance ont déclaré avoir un médecin traitant dans seulement 55 % des cas, ce qui confirme que la profession n'est pas la mieux lotie en matière de suivi médical régulier. 9 % des répondants se sont confiés à un service de plateforme téléphonique (notamment SPS) et la moitié souhaiteraient être recontactés par un professionnel de l'observatoire OSAT.
En attendant, bon nombre d'entre eux ont tout de même recherché un soutien ponctuel ou entrepris une démarche auprès du médecin du travail (61 %), d'un psychologue (42 %) ou, dans un moindre registre, auprès du président de CME ou un collègue ami. Les autres requêtes restent plus rares : sollicitation du médecin traitant dans seulement un tiers des cas, de l'Ordre dans un quart des situations et d'un avocat (19 %). Le centre national de gestion (CNG, gestionnaire des carrières) est marginalement sollicité (7 %). Pour la centrale APH, très mobilisée sur la thématique de la souffrance au travail, cet obsevatoire permet de mieux comprendre les « causes et les conséquences de ce qui est devenu en quelques années une véritable épidémie et qui n'est acceptable nulle part, encore moins à l'hôpital ».
*APH unit deux intersyndicales, Avenir hospitalier (AH) et la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH)
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