Si Martin Hirsch avait voulu endosser le costume du futur ministre de la Santé, il ne s’y serait pas pris autrement… Dans une longue tribune publiée dans « Les Échos », véritable manifeste de « refondation » de l'hôpital, le directeur général de l'AP-HP avance ses (nombreuses) propositions pour réformer les rémunérations, les carrières et les statuts des médecins et des paramédicaux, en instaurant davantage de mobilité et de fluidité dans le système à tous les étages.
L'hôpital malade de ses rigidités
Le patron du CHU francilien énonce plusieurs facteurs de blocage, qui justifient à ses yeux un grand coup de balai : la France est probablement « le seul grand pays » où les rémunérations des praticiens et des paramédicaux sont « fixées au niveau national avec une grande uniformité ». Quant à leurs statuts, ils seraient « plus proches de celles de fonctionnaires régaliens que de professionnels qui produisent des soins », dont la mission nécessite « grande technicité » et « adaptation permanente ».
En clair, l'hôpital serait « malade de ses rigidités », assène Martin Hirsch qui donne l’exemple des 35 heures, « en contrepartie » d’une « modération des salaires ». D’après lui, cela a conduit « à une désaffection des personnels, à des doubles emplois illégaux publics privés, à des efforts de productivité non récompensés ». L'AP-HP elle-même fait l'objet d'une analyse cinglante par son propre patron qui diagnostique une « sous-performance chronique » et une « frustration généralisée », à cause du « malaise hospitalier général. »
Rémunération des PH à trois étages
Pour sortir du « cadre issu de la réforme Debré », devenu « contreproductif » 60 ans plus tard, l’ex-président d'Emmaüs propose des statuts « plus souples, plus différenciés, favorisant la mobilité et la diversité des parcours », soit la suppression du statut unique de PH et de la grille uniforme des émoluments.
Nerf de la guerre, la rémunération des PH serait ainsi complètement revue. L’idée serait de tirer un trait sur le « salaire uniforme (pour toutes les spécialités, tous les établissements, tous les territoires) », source de « frustrations, d'injustices et de départs ». Pourquoi ? Parce que ce salaire peut parfois être « 5 fois plus élevé dans le privé ou dans d'autres pays », souligne Martin Hirsch, tandis que les différences entre spécialités sont « considérables ».
Le plan du patron de l’AP-HP ? Une rémunération en trois parts : la première serait un plancher « fixé nationalement et statutairement » ; la deuxième intégrerait « un coefficient géographique lié au coût de la vie dans la région » ; quant à la troisième part, elle serait « à la main » de l'établissement, en fonction de critères définis collectivement pour « mieux rémunérer certaines spécialités, certaines fonctions, un investissement particulier dans la vie de l'établissement, des compétences ou une technicité particulière ». Bref, un système en partie à la carte, plutôt que le menu unique. Primes (chefferie, etc.) et valences (enseignement, recherche) seraient maintenues.
Des affectations par périodes de 5 ans renouvelables !
Martin Hirsch préconise ensuite un changement de paradigme dans les nominations et les affectations. Sa feuille de route ? À rebours du schéma actuel, qui fige les carrières, le médecin hospitalier nommé dans une région (ou nationalement) pourrait être « affecté par période de cinq ans renouvelable dans un établissement ». Cela permettrait, juge-t-il, « d'assurer la stabilité dans un corps et la souplesse d'affectation », et de favoriser la mobilité puisque « la notion de chômage n'existe pas » dans ces métiers. Un concept qu’il applique aussi aux paramédicaux et aux carrières des HU, en « favorisant la possibilité d'exercer des fonctions universitaires pour des périodes de 5 ans contractuelles, au côté du statut traditionnel de professeur des universités ».
Bien décidé à briser la concurrence entre la ville et l'hôpital où « les modes de rémunérations sont trop différents », le patron de l’AP défend des « structures mixtes » (liées à l'hôpital) « permettant le salariat ou la rémunération sous forme d'honoraires, mais avec un lien contractuel entre l'hôpital et les médecins exerçant en soins primaires ». Une formule qui permettrait de mieux structurer l’organisation entre les urgences hospitalières et les services de soins non programmés ou les CPTS libérales.
La gouvernance médicale… mais à la bonne échelle
Sur la gouvernance hospitalière, Martin Hirsch prêche pour sa paroisse. Il considère, contrairement à la plupart des médecins, que la loi HPST « n'a pas renforcé les pouvoirs des directeurs sur les médecins » mais plutôt « amoindri les pouvoirs » du conseil d'administration (devenu conseil de surveillance) et complexifié les pouvoirs médicaux, aboutissant à une neutralisation du management et des décisions.
Tout en se disant favorable à une « médicalisation » de la gouvernance, il estime que la demande d'autonomie des chefs de service n'est « pas cohérente avec le besoin de transversalité et de parcours médicaux ». Quant aux médecins élus membres des CME, ils seraient « coincés entre leur rôle de représentation et leur responsabilité dans les décisions ». Il plaide donc pour un système où les médecins exerceraient de « réelles responsabilités » au sein même des équipes de direction (y compris celle de diriger l'établissement) et dans des départements médicaux plus vastes afin de « mener des réorganisations, faire des arbitrages » et non pas « défendre leur propre service, leurs élèves, leurs lits, leurs propres projets ». A bon entendeur.
Il convient aussi d'accorder « plus de leviers aux établissements » pour qu'ils puissent agir sur les ressources humaines « aussi bien médicales, paramédicales qu'administratives ». Et Martin Hirsch de réclamer la fin des « chaînes de responsabilité parallèles », via la mise en place d’équipes de direction « incluant médecins, paramédicaux et administratifs ». Ceux-ci pourraient se choisir mutuellement « pour avoir un mandat commun, et non pas des mandats séparés, incompatibles entre eux ».
La T2A, pas si mal
Sur le financement, Martin Hirsch appelle de ses vœux des « ajustements » et non un « bouleversement ». Et s’insurge au passage contre la « focalisation anti-T2A », puisque cette tarification à l’acte, si décriée, serait « peu ou prou le système adopté par la plupart des pays »… Quant aux financements dits « intelligents » (forfaits, parcours, etc.), ils seraient « très complexes à concevoir et à mettre en œuvre », recadre Martin Hirsch.
Son credo pour l'allocation des ressources ? Un financement « intégral » par l'Assurance-maladie (déjà réclamé par le passé), évitant aux hôpitaux de « jongler avec les assurances complémentaires » et d'« émettre des millions de factures ». Il propose aussi de favoriser davantage les tarifications qui valorisent la prise en charge ambulatoire et de « généraliser les mécanismes d'intéressement ».
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