Le Quotidien : Comment avez-vous décidé de mettre en place l’Association Nationale Jean-Louis Mégnien ?
Pr Philippe Halimi : Avant l’arrêt de travail de 9 mois du Pr Jean-Louis Mégnien, j’ai été le témoin de la descente aux enfers qu’a vécu ce confrère que je voyais tous les jours à l’hôpital. Après son geste fatal, je me suis senti dévasté de n’avoir pu l’empêcher ; – mais je connais ceux que je pense être les responsables de ce suicide – et j’ai découvert l’étendue de la souffrance et de la maltraitance hospitalière. C’est pour cette raison que j’ai choisi de faire du combat contre ces deux fléaux un de mes derniers combats. Car d’une part je suis proche de la retraite : qu’ai-je donc à craindre maintenant ? Et d’autre part, je sais que cette lutte est essentielle pour la survie d’une certaine vision, éthique et bienveillante, de l’hôpital public.
J’ai une responsabilité vis-à-vis des plus jeunes : si on laisse l’hôpital continuer dans sa dérive actuelle, ce sera à terme la mort du système public de soins tel qu’on l’a connu et qui a fait l’admiration du monde entier. L’avenir de nos jeunes confrères ne doit dépendre ni d’un chef de pôle, souvent ambitieux et autoritaire, choisi par l’administration pour cette raison, ni d’une administration mettant en place des pratiques managériales inhumaines sous prétexte d'objectifs chiffrés à atteindre. Ce serait un gâchis énorme. Déjà les patients commencent à prendre conscience que certaines situations anormales se produisent dans les hôpitaux et que cela va retentir sur la qualité des soins qu’ils vont recevoir dans l’avenir.
J’ai rapidement été rejoint dans mon initiative par le Pr Bernard Granger, le Dr Claudine Chrétien et par François Gudin, ami personnel de longue date de Jean-Louis Mégnien.
Combien de personnes ont-elles déjà contacté l’Association ?
En mars 2016, nous avons tenu notre première réunion fédératrice au cours de laquelle, nous avons choisi d’aller au-delà de la seule défense de la mémoire de Jean-Louis Mégnien. Nous avons voulu réagir contre cette maltraitance institutionnelle très diffuse dont un des exemples caricaturaux récents a été celui du CHU de Grenoble. Ce CHU était au bord de l’implosion avec le suicide d’un neurochirurgien, une maltraitance très diffuse dans beaucoup de secteurs ; à notre initiative, l’intervention de la ministre de la Santé et du médiateur national a commençé à faire changer la donne. Depuis cette date, l’Association s’est donnée comme objectif de dénoncer la maltraitance hospitalière, de défendre et de conseiller les victimes et de proposer des solutions à l’échelon national pour développer une action de prévention.
En moins de 2 ans, plus de 450 personnes ont contacté l’Association. Ce nombre augmente de façon exponentielle et force est de reconnaître que très peu de cas ont été résolus depuis que l’Association s’est créée.
Existe-t-il un profil type du médecin harcelé ?
Dans le contexte actuel d’un hôpital public déshumanisé, personne ne peut se considérer à l’abri de comportements maltraitants. Il n’y a pas de typologie particulière, ce sont souvent des circonstances locales propices qui rendent possible le harcèlement.
Néanmoins, nous constatons que les médecins en fin de carrière sont sur-représentés. Certains directeurs d’hôpitaux ne prennent pas suffisamment en compte la valeur de ces professionnels qui ont souvent 30 ans d’expérience. Ils peuvent penser que, dans leur logique managériale purement comptable où la qualité de la prise en charge n’est plus une priorité, tout médecin est a priori interchangeable et qu’un jeune médecin sera plus “malléable” et coûtera moins cher à l’hôpital. La qualité de l’exercice des professionnels du soin n’est malheureusement plus une préoccupation pour ces “managers” de l’hôpital, et c’est ce qui fait que les soignants ne se reconnaissent plus dans l’hôpital d’aujourd’hui et sont en souffrance et démotivés.
La loi HPST a donné tous les pouvoirs aux directeurs qui, dans leur grande majorité, au cours de leur cursus à l’Ecole des hautes études en santé de Rennes ont acquis une culture très anti-médecins : le médecin, en raison de son indépendance d’esprit et de son éthique, est en quelque sorte l’homme qui plombe l’hôpital et qui l’empêche de devenir une entreprise comme une autre. Quelle vision décalée et tellement à l’opposé de ce que devrait être l’hôpital !
Nous constatons aussi que, contrairement à ce que l’on peut penser ou à ce qu’on veut nous faire croire, ce ne sont pas les personnels les plus fragiles qui font l’objet de harcèlement. Ce sont les personnels les plus professionnels, ceux qui essayent de bien faire malgré le système mis en place. Ils sont confrontés à un « Conflit éthique » car les conditions de leur exercice ne sont plus celles qui correspondent à leurs exigences professionnelles. Mis face à l’obligation de travailler dans des conditions qu’ils estiment insatisfaisantes pour bien prendre en charge leurs patients, ces médecins « trop professionnels », s’isolent, se retrouvent « mis au placard ». Ils doivent être « éliminés » car ils sont un obstacle au “bon fonctionnement” d’un système dans lequel le quantitatif doit être au premier plan. C’est à ce moment que, pour ce médecin qu’on « empêche » de travailler par tous les moyens, le risque sur sa santé physique et psychique devient important.
En pratique, quelles aides l’Association fournit-elle aux médecins qui la contactent ?
Dans un premier temps, lorsqu’une personne contacte l’Association, une analyse du dossier est faite à partir des éléments fournis par le biais du guide mis à disposition des personnes harcelées sur le site de l’Association. Elle a pour but de déterminer, d’une part, s’il s’agit réellement de harcèlement et non pas d’un conflit interindividuel qui ne répond pas aux critères habituels de harcèlement, notamment la répétition des actions d’hostilité et, d’autre part, de préciser si une action en urgence doit être envisagée, en raison du retentissement physique, psychique et moral, avec risque de passage à l’acte. J’essaie d’établir un contact personnel au cours d’un entretien souvent de plusieurs heures avec chaque personne qui nous sollicite. Mais mon temps disponible est compté hélas, et il se passe souvent plusieurs semaines entre le signalement et l’analyse fine de chaque situation.
Lorsque le dossier est constitué avec des éléments de preuve tangibles – et non des courriers anonymes – notre rôle de conseil est alors essentiel. Très rarement nous recommandons aux médecins de s’adresser aux CHSCT puisqu’ils n’interviennent quasiment jamais dans les conflits médicaux. Le recours aux Commissions Vie Hospitalière issues des CME est la plupart du temps voué à l’échec en raison, d’une part, des conflits d’intérêts fréquents qui refrènent toute velléité de dénouer ces situations et, d’autre part, du souhait de la gouvernance de conforter constamment la hiérarchie, même lorsqu’elle commet des actes moralement répréhensibles.
L’Association peut contacter directement des directeurs d’hôpitaux ou de CME et dénouer des situations complexes en quelques appels. Mais cela est possible seulement quand la volonté de dialogue persiste, ce qui est loin d’être toujours le cas.
Régulièrement, l’Association transmet des dossiers considérés comme prioritaires (en fonction de l’état de la personne harcelée) au Médiateur national. Mais tous les dossiers que nous constituons ne sont pas accessibles à la médiation (en raison de leur nombre important) ; nous orientons la personne harcelée, quand elle le souhaite, vers des avocats spécialisés en droit public, dans le droit administratif ou pénal. Il faut garder à l’esprit que le harcèlement moral est un délit qui retentit gravement sur la personne harcelée.
Nous alertons toujours les médecins et les autres personnels soignants qui sont en cours de procédure judiciaires sur les délais particulièrement longs (4 à 5 ans) et nous les incitions à rebondir professionnellement, souvent grâce à l’action efficace du Médiateur, en attendant une issue juridique.
L’Association met aussi en ligne une carte de France des hôpitaux où des signalements de maltraitance ou de harcèlement lui sont signalés ; cette carte a pour but d’alerter le public, les médias, les organismes de tutelle (ARS en particulier), et le ministère de la Santé sur certains pratiques managériales déshumanisées et brutales, surtout lorsqu’il y a plusieurs signalements dans le même établissement.
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