Alors qu’ils bénéficient de soins gratuits en prison, que se passe-t-il lorsque les détenus sont libérés ? Quel est leur lien avec les médecins généralistes qui prennent le relais des prescriptions à la sortie d’incarcération ? Les Drs Julie Duclos (1) et Juliette Luven (2) ont tenté de répondre à ces questions dans le cadre de leur thèse en médecine générale.
Premier constat de ces deux jeunes médecins : la prison est souvent une porte d’entrée dans le soin. En dépit d’une prévalence élevée de pathologies chroniques (addictologie et psychiatrie surtout), six entrants sur dix n’avaient pas consulté de médecins dans les douze mois précédant l’incarcération, notamment à cause d’une mauvaise protection sociale. Le contact avec l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) qui assure la continuité des soins somatiques des personnes incarcérées et le Service médico-psychologique régional (SMPR), pour les soins en santé mentale est ainsi l’occasion de renouer avec le système de soins, d’avoir accès à une offre de dépistage, de traitements, d’examens complémentaires et de soins auxquels le patient n’aurait pas forcément bénéficié en liberté.
La consultation pour l’ordonnance de sortie n’est réalisée que pour 40 % des personnes incarcérées
Mais que se passe-t-il d’un point de vue médico-social quand un détenu doit sortir de prison ? Théoriquement, il doit avoir un rendez-vous avec l’UCSA et le SMPR afin d’obtenir une ordonnance de sortie pour le mois suivant sa remise en liberté. Mais en raison de l’encombrement de ces services, cette consultation n’est réalisée que pour 40 % des personnes incarcérées. Mais il n’y a pas que les ordonnances qui sont importantes pour le suivi. Pour favoriser la continuité entre l’intérieur et l’extérieur, une mise à jour de leurs droits sociaux est un élément essentiel. À la sortie, l’administration pénitentiaire procède à la levée d’écrou et prévient l’Assurance-maladie, mais seulement si le détenu était affilié auparavant.
De fait, la plupart des prisonniers sortent avec une ordonnance de quelques jours voire quelques semaines et la continuité des soins n’est plus assurée sauf s’ils s’impliquent dans la gestion de leur santé et prennent un rendez-vous avec un généraliste. Une étude portant sur les sortants de la prison de Fresnes en 1997 retrouve un taux de mortalité standardisé toutes causes confondues d’environ trois fois supérieur à la population générale dans l’année suivant la libération. En outre, comme partout en France, on assiste actuellement à un vieillissement de la population carcérale avec une majoration des pathologies chroniques.
Pas de dossier médical, pas de lettre de suivi
Alors que se passe-t-il quand un ex-détenu va consulter un médecin généraliste pour obtenir ses traitements déjà prescrits en prison ? Le cas n’est pas rare, si l’on se réfère à la thèse de la Dr Julie Duclos (1) qui a posé la question aux généralistes de la région Poitou-Charentes. La moitié des personnes interrogées avait reçu entre un et cinq ex-détenus au cours des douze mois précédents. Il s’agissait surtout de patients jeunes 25-34 ans ou 35-44 ans et dans la moitié des cas ces praticiens avaient été déclarés comme médecin traitant avant l’incarcération. Parmi les pathologies retrouvées l’addictologie et la psychiatrie sont surreprésentées (80,9 et 49,9 % des patients respectivement). Moins de deux patients sur 10 n’avaient pas de droits sociaux à jour et ils consultaient en moyenne dans les quatre semaines suivant la levée d’écrou. Plus de la moitié des patients ne présentaient pas d’ordonnance délivrée en prison et les personnes ayant un dossier médical à jour étaient très rares (20 %).
La Dr Duclos a interrogé les médecins généralistes sur leur relation avec ces patients sortis de prison : 57,5 % des médecins généralistes sont satisfaits (« très satisfait » ou « plutôt satisfait ») de cette relation. 25,5 % en sont insatisfaits (« plutôt insatisfait » ou « très insatisfait ») et 17,0 % se déclarent neutres (« ni satisfait ni insatisfait »). L’analyse des difficultés évoquées met en avant l’observance limitée, l’absence de compte rendu, les retards, les consultations non honorées…
Être informé sur l’UCSA
La Dr Juliette Luven (2) s’est plutôt attachée à préciser les connaissances de soignants en Guyane sur la santé des ex-prisonniers. 81,2 % des soignants n’ont pas de réticences à prendre en charge ces patients, ils étaient aussi 63 % à ressentir de l’empathie. Néanmoins, la moitié des soignants a mis en avant l’existence de problèmes médico-sociaux dans cette population (avec 40 % d’étrangers en prison en Guyane). Concernant les difficultés liées au parcours de soins, 18 des sept soignants interrogés ont été confrontés à un manque d’informations sur les soins prodigués au cours de l’incarcération. Quatre soignants ont été mis en difficulté par les plages possibles de consultation non compatibles avec les horaires de peines aménagées. Enfin, une majorité ne savait pas comment contacter l’UCSA de référence.
Forte de cette analyse, la Dr Luven a proposé une fiche d’information à destination des soignants de Guyane et elle a mis en avant des initiatives déjà en place dans d’autres régions : consultation post-carcérale (Paris) et équipes mobiles transitionnelles (Lille et Toulouse).
(1) Duclos J. Coordination et continuité des soins à la sortie d’incarcération entre la médecine pénitentiaire et la médecine générale de ville en région Poitou-Charentes : état des lieux des difficultés et des attentes des médecins généralistes et des unités sanitaires. Thèse 2025
(2) Luven J. Représentations du soin en milieu carcéral auprès des professionnels de santé et prise en charge sanitaire des sortants de prison en Guyane Thèse 2024
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