DEPUIS SA SUSPENSION en octobre 2010, le Dr Pierre-Michel Roux ne travaille plus. Il peaufine sa ligne de défense, qu’il a présentée en conseil de discipline, le 29 avril. Sept heures de réunion à huis clos, puis cette fuite, dans le journal « Libération » : la mutation d’office aurait été réclamée. Le Dr Roux, contacté par « le Quotidien », garde la tête haute. « Une mutation serait une porte de sortie, et non une sanction, dit-il. Si je suis incompétent, on me radie. Si je continue à travailler, c’est que je suis compétent. Et que le dossier monté contre moi est vide. »
Le chirurgien s’estime victime d’un procès en sorcellerie. Il accuse l’ARS de Lorraine d’avoir pesé de tout son poids pour obtenir sa tête, afin d’accélérer la mise en place d’une communauté hospitalière de territoire (CHT) entre Nancy et Metz. Ce que dément catégoriquement le directeur général de l’agence, le Dr Jean-Yves Grall : « La chirurgie cardiaque a vocation à se développer à Metz [le service, un temps suspendu, a d’ailleurs repris son activité le 14 février, NDLR]. La CHT entre Nancy et Metz a été créée à la demande des présidents des conseils de surveillance des deux hôpitaux. Et ce n’est pas moi qui ai suspendu le Dr Roux, prend-il soin de préciser, mais la directrice du CHR de Metz. »
Au Centre national de gestion (CNG), à présent, de se prononcer. Les sanctions disciplinaires contre les praticiens hospitaliers sont graduées : avertissement, blâme, suspension, mutation d’office dans l’intérêt du service, révocation. Les décisions sont rares. En 2010, le CNG a prononcé un avertissement et une mutation d’office. En 2009, trois blâmes et une réduction d’ancienneté. En 2008, deux révocations, deux blâmes, et deux avertissements. Déjà suspendu, le Dr Roux s’attend à une mutation ou une révocation. « Sinon, les pouvoirs publics devraient se déjuger ». S’il est muté, son avenir s’annonce incertain. « Quel cardiologue me confiera ses patients ? Partout sur Internet, il est écrit que je suis un escroc et un boucher. » Mais le Dr Roux, persuadé d’avoir fait de la bonne médecine, ne s’imagine pas révoqué. « On m’accuse de ne pas respecter les recommandations, j’ai démontré le contraire en conseil de discipline. On m’accuse d’opérer des patients trop graves, mais aucune loi n’interdit d’opérer les gens condamnés. Cela m’a permis d’en sauver sept ou huit sur dix. » Le CNG pourrait également décider d’une mise en recherche d’affectation.
Deux camps distincts.
L’affaire Roux ne laisse personne indifférent. Localement, les habitants se répartissent en deux camps : ceux qui le défendent, et ceux qui l’accusent de n’avoir pas su sauver un proche. Plusieurs plaintes pénales ont été déposées. Deux informations judiciaires sont ouvertes, l’une pour homicide involontaire, l’autre pour harcèlement moral. Le dossier divise également les médecins. Il y a ceux qui ne prennent pas parti, à l’instar de ce syndicaliste d’une autre région qui, sans se prononcer sur le fond, estime que l’affaire illustre les problèmes de gouvernance hospitalière. « Plusieurs médecins ont été suspendus ces derniers mois par leur directeur d’hôpital, sans justification. À Brive-la-Gaillarde, un anesthésiste a été réintégré après avoir saisi le SNPHAR. Le danger existe de voir des praticiens débarqués sans raison. » Il y a les médecins qui se rangent ouvertement derrière le Dr Roux. Ainsi du Dr Olivier Bical, chirurgien cardiaque à l’hôpital Saint-Joseph (Paris), qui s’est déplacé à Metz pour soutenir le Dr Roux lors d’une soirée regroupant des patients et des médecins. « Je connais professionnellement le Dr Roux, ce n’est pas un malfrat, assure-t-il. Il n’a pas opéré des gens qui ne le méritaient pas. La surmortalité s’explique car il a récupéré tous les cas difficiles de la région. Il existe un conflit entre le CHU de Nancy, le CHR de Metz et la clinique de Metz. Trois centres de chirurgie cardiaque dans la région, c’est sans doute beaucoup. Je pense qu’il y a une manœuvre de l’agence pour fermer un centre qui gêne un peu ». Il existe 70 centres de chirurgie cardiaque en France, tous soumis à autorisation ministérielle. « Aux yeux des autorités, c’est trop. Toutes les occasions sont bonnes pour fermer des centres », considère le Dr Bical, qui fait la comparaison avec sa région, l’Ile-de-France, où quatre centres sont sur la sellette (dont celui de Saint-Joseph et celui d’Henri-Mondor – voir encadré).
Cet autre chirurgien francilien (non cardiaque) tient un autre discours. « La situation est connue comme le loup blanc par tous les services de chirurgie cardiaque de France et de Navarre. Le Dr Roux était un chef de service omnipotent, il avait une activité à risque, il ne proposait pas à ses patients d’alternative à la chirurgie. Ses pratiques étaient inacceptables, deux rapports l’ont clairement démontré. »
Le Conseil départemental de l’Ordre des médecins de Moselle, saisi par l’ARS de Lorraine, organise une réunion jeudi prochain en présence du Dr Roux et de son ancienne équipe du CHR de Metz. « Nous allons écouter les partis pour voir s’il y a eu atteinte, ou pas, à la déontologie et à l’éthique », indique le président du CDOM, le Dr Daniel Delattre. Qui rappelle que l’Ordre n’est pas compétent pour juger la technique médicale. Le conseil départemental a également été saisi par une personne qui s’est plainte de l’activité du Dr Roux. « Nous lui avons proposé de rencontrer le Dr Roux dans le cadre d’une mission de conciliation, mais cette personne a refusé de venir. Obtenir la condamnation d’un médecin sans témoigner, cela n’est pas possible », précise le président du CDOM.
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