Dossier

À Lille, profs et étudiants face au big bang de la réforme du premier cycle des études médicales

Par Sophie Martos - Publié le 18/09/2020
À Lille, profs et étudiants face au big bang de la réforme du premier cycle des études médicales

Le 7 septembre, à la fac de médecine de Lille, où 1500 étudiants découvrent le parcours spécifique santé
SEBASTIEN TOUBON

Nouvelles filières (PASS, LAS) nouvelle sélection, nouveaux enseignements : la réforme de l'accès aux études de santé prend ses quartiers dans les facultés avec la promesse d'en finir avec le gâchis humain de la PACES et du numerus clausus. Reportage à Lille où étudiants et enseignants s'approprient les changements, parfois dans la douleur.

« Je travaille de 8h à 22h, pour l'instant ça me va mais je ne sais pas si je vais tenir sur la durée. »

En ce début du mois de septembre, on pourrait croire au discours inquiet d'un étudiant en première année commune d'études de santé (PACES). Pas tout à fait : c'est celui de Matthéo, en pleine révision à la BU de la fac de Lille, qui vient juste d'intégrer le parcours spécifique santé (PASS), un des cursus qui remplace la si décriée PACES.  

Des milliers d'étudiants vont essuyer les plâtres de la réforme annoncée par Emmanuel Macron en 2018. Exit le concours de la PACES, exit le numerus clausus national fixé chaque année par l'État, un système brutal qui conduisait trois quarts des jeunes à l'échec programmé sans possibilité de réorientation. 

Les mots changent, pas les réflexes

Désormais, pour intégrer les études de santé – médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique – il faut emprunter un parcours spécifique accès santé (PASS) ou suivre une licence accès santé (LAS) puis candidater à une ou plusieurs filières (voir encadré). Il n'est plus question de dire « concours » mais « épreuves d'admissibilité »... Pourtant, au-delà des mots, la sélectivité demeure pour rejoindre les études médicales et les réflexes des jeunes restent inchangés. Dans les amphis, l'ambiance est studieuse et à la BU de Lille – d'une capacité de 800 places – la plupart des bureaux sont occupés. La course aux épreuves d'admissibilité est déjà bien lancée.

Ici à Lille, quelque 1 500 étudiants ont opté pour un PASS (avec 10 options d'ouverture possibles – ou mineures – comme philo ou maths) ; 850 jeunes ont préféré l'une des 14 LAS proposées sur plusieurs sites de la région (Villeneuve-d'Ascq, Valenciennes). La sélection s'est déjà en partie jouée en amont. Sur Parcoursup, « il y a eu 9 500 demandes en PASS ! évalue le Pr Vincent Deramecourt, responsable pédagogique à la fac lilloise. Et en LAS sciences de la vie, il y a eu 7 000 candidats pour 200 places. » 

Lorenzo, en pause à la cafétéria, masque sur le nez, fait partie des déçus. Il a choisi un PASS avec une option d'ouverture par défaut. « J'avais 14 de moyenne en terminale, je n'ai pas été accepté dans l'option sciences de la vie, je me suis tourné vers le droit mais je ne poursuivrai pas dans cette voie si je me loupe aux épreuves, explique-t-il. Le système est mal fait. »

Assise à côté de lui, Florine a choisi un PASS option économie et management mais ce qu'elle veut faire c'est de la santé ! « L'éco ça m'intéresse, mais je ne vais pas en faire mon métier, j'ai eu du mal à comprendre le principe de la réforme », confie-t-elle. Les nouveaux cursus n'empêcheront pas les déceptions pour les carabins recalés et réorientés en fin de première année. 

Gestion des flux difficile

Pour la communauté universitaire, la préparation de cette réforme a été d'une complexité hors normes. « Il a fallu beaucoup d'anti-cerne », confie un membre de l'équipe pédagogique.

Les enseignants ont réduit le programme des sciences dures du PASS (chimie, physique, biochimie, etc.) pour laisser de la place aux options d'ouverture (dont une mineure science du médicament, créée de toutes pièces). Ils ont façonné les modules santé (médecine, pharma, dentaire…) des nouvelles licences LAS. Tous les plannings ont été revus, un casse-tête humain, logistique et pédagogique. « Nous sommes passés de cinq interlocuteurs au sein des facs santé à 19 en comptant toutes les LAS, calcule le Pr Dominique Lacroix, doyen de la fac. Tous avaient leurs propres contraintes. Les capacités d'accueil ont été la plus grande difficulté à gérer. »

Année transitoire

Sur le campus du CHU de Lille, la fac de médecine Henri Warembourg accueillait plus de 3 200 étudiants par an en PACES avec les redoublants, l'une des promotions les plus volumineuses de France. Des bataillons énormes qui seront désormais répartis autrement avec des contraintes nouvelles...   

En plus des 1 500 jeunes inscrits en PASS, il faut gérer les 850 doublants de la dernière PACES qui bénéficient d'une année transitoire avec concours et numerus clausus spécifique. Et une situation épidémique qui complique la donne. « Il faut gérer ces flux avec des règles sanitaires strictes. Il y a six amphis de 300 à 600 places pour les PASS répartis un siège sur deux et deux amphis de PACES, détaille le Pr Deramecourt. Nous avons scindé la promotion PASS en deux : une vient le matin, l'autre l'après-midi pour le même cours. » Sans compter qu'il faut jongler avec les étudiants en licence (LAS) des autres sites qui viennent ici suivre leur option santé chaque vendredi, tandis que les PASS partent vers d'autres sites suivre leur mineure...

Pas des clones

La réforme occasionnera des coûts supplémentaires, difficiles à évaluer. Le gouvernement a débloqué 16 millions d'euros pour accompagner la mise en place des nouveaux parcours, une enveloppe jugée insuffisante dans les universités. La fac de Lille a déjà investi 500 000 euros pour équiper les salles en matériel audiovisuel. Le nombre de vigiles a doublé et le doyen estime que les nouvelles épreuves feront grimper la facture. « Il y a un contrôle continu en PASS, des partiels en décembre et mai et des épreuves d'admissibilité contre un concours PACES en deux temps auparavant. Cela nécessite davantage de surveillants, un jury », commente-t-il. 

Jusqu'en 2022, 65 % des places de deuxième année sont prévues pour les PASS, 35 % pour les LAS (puis ce sera 50/50). Le nombre exact d'admis, désormais fixé au niveau des universités, n'est pas encore fixé. Les arbitrages sont en cours avec l'agence régionale de santé (Hauts-de-France). 

Malgré la course d'obstacles, le doyen reste optimiste sur le fond. « Cette réforme, on l'a voulue, recadre-t-il. Avoir des étudiants aux profils différents, c'est rafraîchissant. Ce ne sont pas des clones. Avant, on voyait qu'il y avait des erreurs de casting. Tout le monde a à y gagner. » 

De notre envoyée spéciale

Sophie Martos