C’est un nouveau grand chambardement des études médicales - qui ont pourtant déjà fait l’objet de réformes en cascade à tous les cycles ces dernières années – que propose le Pr Didier Gosset, spécialiste de médecine légale et de médecine interne invité à une table ronde organisée par l'Académie de chirurgie. Son objectif affiché est ambitieux : mettre à disposition à l’horizon de cinq ans « 18 000 à 20 000 médecins supplémentaires, de quoi régler la question de la pénurie médicale » et sortir de « l’impuissance et du fatalisme ».
En pratique, le doyen honoraire de la faculté de médecine de Lille étrille les réformes de la formation médicale initiale qui « se sont succédé à marche rapide, dans le plus grand désordre et sans cohérence chronologique ». La réforme du premier cycle (R1C) de 2020 ? Elle ne satisferait « personne ». Après la suppression de la PACES et du numerus clausus, le premier cycle des études de santé est devenu « absurde, complexe et totalement illisible ». Le double système d’accès PASS/L.AS (parcours accès santé spécifique et licences accès santé), censé assurer une diversification des voies d’accès et des profils, « aboutit en réalité à un abîme entre les deux systèmes ».
Mal-être des étudiants
Lui aussi réformé en profondeur, le deuxième cycle du cursus médical a « vu ses programmes se charger ». Trop, selon le Pr Gosset. Avec pour conséquence de « bourrer les esprits » des carabins « d’informations très pointues et inutiles en pratique courante », et donc d’accroître leur mal-être, alors que l’esprit de la réforme était justement de faire l’inverse, avec un recentrage des savoirs et moins de bachotage.
Seule la création des examens cliniques objectifs structurés (Ecos nationaux, comptant pour 30 % de la note finale à l’internat), semble trouver grâce aux yeux du professeur de médecine légale, même si cette réforme, lourde pour les facultés sur le plan logistique, a pu faire aussi l’objet de critiques.
On assiste à une course à l’échalote entre les spécialités, chacune voulant augmenter la durée de sa formation à l’instar de sa voisine
Pr Didier Gosset
La réorganisation du 3e cycle autour de nouvelles maquettes pour les DES (mises en place depuis 2017) fait l’objet d’un réquisitoire. Avec un internat divisé en trois phases (socle, approfondissement, consolidation), la durée va de quatre à six ans, selon les spécialités médicales et chirurgicales. Résultat, tacle le Pr Gosset, « on assiste à une course à l’échalote entre les spécialités, chacune voulant augmenter la durée de sa formation à l’instar de sa voisine, pour ne pas être en reste ».
Le doyen honoraire n’épargne pas davantage la création de la 4e année d’internat de médecine générale (soit dix ans d’études au total), une réforme qui fait par ailleurs l’objet de critiques de la part des internes (ces derniers seront en grève le 29 janvier pour exiger son report). « De qui se moque-t-on ? », assène le Pr Gosset, très critique sur cet allongement d’un an de l’internat. Les neuf ans d’études de la spécialité de médecine générale, « n’étaient-ils là suffisant pour former un médecin de famille de qualité ? »
Suppression des L.AS et programmes allégés
Le Pr Gosset ne brosse pas qu’un tableau à charge mais avance des propositions tranchées sur la formation, à tous les cycles.
Première priorité, la suppression des nouvelles licences accès santé (L.AS), qui ont selon lui complexifié l’accès aux études. Pour l'expert, premier et deuxième cycles doivent être (à nouveau) repensés et simplifiés autour d’un schéma unique en cinq ans, en « supprimant l’inutile et le redondant ». Et pour éviter le gâchis humain, l’entrée post-bac dans les études médicales mérite d’être retravaillée « en relançant l’idée taboue d’une présélection à l’entrée sur dossier et sur entretien ». Côté contenus cliniques, « au moins un tiers des programmes » devraient faire l’objet de coupes sombres. Avec un premier semestre consacré aux sciences fondamentales et un second déjà tourné vers la sémiologie.
Quant au second cycle, plaide le Pr Gosset, il doit être davantage tourné vers la clinique et l’évaluation des compétences de l’étudiant. Selon le doyen honoraire, il convient toutefois de conserver la voie des passerelles vers les études de médecine (destinée à la réorientation d’étudiants titulaires d’un master ou d’un doctorat), « une voie certes mineure mais très fructueuse ». En revanche, « les oraux, justement critiqués, sont à abandonner ».
Last but not least, le troisième cycle doit donc être raccourci d’un an « pour toutes les spécialités », estime-t-il, jugeant que cette réduction de l’internat permettrait d’accélérer l’arrivée de milliers de praticiens dans les territoires, sans nuire à la qualité.
Page blanche ?
L'ancien doyen a fait ses calculs. Ce raccourcissement de deux ans des études (un an à l’entrée, un an à la sortie) permettrait très rapidement, « à horizon de 5 ans », de mettre à disposition 18 000 à 20 000 médecins supplémentaires.
L’auteur de ces préconisations confie ne pas les avoir pas transmises au préalable à la conférence nationale des doyens de médecine, avant de les dévoiler publiquement. Pas sûr que le Pr Benoît Veber, président des doyens et garant du bon fonctionnement de la formation initiale dans les facultés, apprécie ce vaste big bang des études médicales, qui consisterait bel et bien à « effacer l’existant et à repartir d’une page presque blanche ».
[Mise à jour lundi 13 janvier à 18h55, avec commentaire de l'Académie de chirurgie : « L'Académie a accueilli le 8 janvier le Pr Gosset pour sa conférence de presse et entendre sa communication. Ses propos ne constituent pas pour autant une quelconque position de l'Académie nationale de chirurgie sur le sujet ».
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