Le projet de loi santé a été examiné en conseil des ministres mais ce texte est loin de faire l'unanimité. C'est ce qu'a illustré un débat de trois heures sous la houlette de l'Ordre national des médecins (CNOM), intitulé « Ma Santé 2022 : des paroles aux actes », et qui vient de réunir une centaine de représentants du monde de la santé (syndicats, étudiants, internes, maires ou parlementaires).
Car si les « principes » et les « objectifs » affichés sur la formation initiale, l'organisation territoriale des soins ou le virage numérique font consensus, de nombreux points méritent d'être « clarifiés », « explicités », ou revus, a alerté le président du CNOM.
Les inquiétudes sont palpables. Sur le volet de la formation, le projet de loi propose certes de mettre fin au numerus clausus et aux ECN. Mais en pratique comment « gérer » l'énorme population de jeunes qui aspirent aux métiers médicaux, tout en conservant un système sélectif ? Comment garantir la qualité des formations (alors qu'Agnès Buzyn a promis d'augmenter de 20 % environ le nombre de praticiens formés) ? Quid de la professionnalisation en dehors des CHU ? Sur ces questions, le texte reste silencieux, ont noté plusieurs intervenants.
Entre ouverture et sélectivité…
Pour le Pr Djillali Annane, vice-président de la conférence des doyens des facultés de médecine, le projet devra lever l'ambiguïté sur « la nécessaire sélectivité » des études de médecine, même après la suppression du numerus clausus. « La rédaction actuelle n'est pas suffisamment précise pour assurer l'équité d'accès des étudiants fonction de leur origine sociale ou du territoire. Par ailleurs, la réforme proposée peut engendrer un retard dans la formation professionnalisante. Ce risque doit être encadré », alerte aussi le doyen de l'UFR de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Le calendrier très serré de la réforme des études est jugé préoccupant. « La transformation des CHU en moins de trois mois pour mettre en œuvre cette réforme ne trouve aucune traduction dans le projet de loi. Il y a là un fourvoiement », craint le Pr Annane. Antoine Reydellet, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), partage les craintes des doyens. « Pour découvrir les territoires, il faut donner les moyens aux internes et aux externes », dit-il.
Pour le Dr Michel Triantafyllou, vice-président de l'Intersyndicat des praticiens hospitaliers (INPH), les imprécisions concernent aussi le nouveau statut unique créé pour les praticiens hospitaliers titulaires. « Le projet de loi donne un contour général. Comment recruter, comment assurer la mobilité et l'indépendance du médecin ? », questionne le psychiatre.
Respect de la vie privée
Le recours récurrent aux ordonnances (six en tout !) pour réformer l'organisation territoriale (exercice coordonné au sein des communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS –, hôpitaux de proximité, autorisations d'activités et d'équipements) soulève de vives interrogations. Quelle articulation entre les structures de la ville (maisons de santé, CPTS) et les hôpitaux de proximité ? Les professionnels libéraux auront-ils voix au chapitre face aux agences régionales de santé ? Quelle sera le niveau d'intégration au sein place des GHT (groupements hospitaliers de territoire) ? « Oui, aux GHT qui rayonnent et non aux GHT qui siphonnent, il faut assouplir les règles », prévient le Dr Jean-Pierre Door, député du LR du Loiret.
Autre grief : si le projet de loi de santé ambitionne un virage digital très important, il n'apporte pas de garantie suffisante face à la fracture numérique actuelle, source d'inégalités. Et ne supprime pas le risque de dérives. « Le projet de loi crée le Health data hub. Mais comment assurer l'équilibre entre respect de la vie privée et partage des données », questionne le Dr Jean Martin Cohen-Solal, conseiller auprès du président de la Mutualité française.
Et la démocratie sanitaire dans tout ça ?
Mais c'est surtout le risque d'une loi « dirigiste », « bureaucratique », « techno » qui domine. La « concertation permanente » ne suffit pas, rappelle l'Ordre. « Il faut aussi de la co-décision (...), ne pas donner le sentiment que la décision est normative », martèle le Dr Bouet.
« On doit entrer dans une nouvelle dynamique de confiance, prévient le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML. C'est la cogestion à chaque étage ! On ne peut pas parler de démocratie sanitaire sans parler de gouvernance avec les patients, les professionnels de santé. » Au nom des usagers, Nicolas Brun enfonce le clou. « On n'a jamais expliqué aux patients/usagers l'intérêt de la gradation des soins et de la réorganisation territoriale qui auront des conséquences sur la prise en charge. Il y a un enjeu de pédagogie ».
Le Dr Thomas Mesnier, député LREM de Charente et rapporteur général du projet de loi, s'est employé à rassurer. L'utilisation des ordonnances permettra justement d'« aller plus loin dans la concertation », plaide-t-il. « J'entends les attentes, j'espère que les auditions et le débat parlementaire vont permettre de donner plus de lisibilité au projet de loi ».
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