LE QUOTIDIEN : Avec l’Ordre des médecins et les doyens, vous défendez la création d’un assistanat territorial. Comment cette idée est-elle née ?
THOMAS CITTI : La genèse de l’assistanat territorial découle d’un constat partagé par toutes les générations de médecins – des étudiants de l’Anemf aux médecins plus expérimentés de l’Ordre et des doyens. Ce constat porte sur l’urgence d’améliorer l’accès aux soins et sur la situation politique de plus en tendue, marquée par des projets de régulation comme la loi Garot [visant à encadrer les installations].
Conditionner l’installation à un départ à la retraite serait inefficace, voir délétère. D’autant que l’année 2024 a marqué un tournant avec une part plus importante de praticiens salariés que de médecins libéraux : cela expose à la revente de patientèle, au déconventionnement, surtout dans un contexte de pénurie médicale et avec les limites du zonage actuel. L’objectif est donc de trouver des solutions qui répondent vraiment aux besoins de la population tout en préservant la liberté d’installation.
Finalement, cette mesure vise à sauver la liberté d’installation ?
Oui, absolument ! Aux États-Unis et en Australie, l’incitation et la formation à la pratique en zones sous-denses ont fait leurs preuves. Ces programmes montrent qu’en recrutant et en formant des étudiants issus de ces zones, ils s’y installent durablement et que la densité de médecins augmente dans ces zones fragiles. En France, le rapport de la Drees de 2021 alertait déjà sur les effets contre-productifs d’une obligation d’installation temporaire qui peut aggraver les disparités territoriales.
En quoi l’assistanat territorial diffère-t-il du service médical à la Nation envisagé initialement par les doyens ?
La différence principale réside dans le volontariat. L’assistanat territorial vise à créer un engagement durable grâce à des incitations et un accompagnement renforcé. C’est une vraie alternative à la coercition. Au contraire, la mise en place d’un service médical national, avec des affectations aléatoires et temporaires, risquerait de créer des solutions ponctuelles inefficaces.
J’insiste sur ce point : l’assistanat territorial propose une vraie continuité grâce à des antennes universitaires départementales, des stages délocalisés et aussi le nouveau statut de docteur junior ambulatoire. Cela permettrait de construire un véritable maillage médical en zones sous-denses, en maintenant un lien avec les CHU et en garantissant une qualité de vie au travail.
Comment rendre le plus attractif possible le dispositif des assistants territoriaux ?
Le volontariat est évidemment essentiel. Ensuite, il faut ouvrir aux assistants territoriaux les mêmes avantages que ceux dont bénéficient les assistants hospitaliers, avec des conditions de travail attractives et des perspectives de carrière. L’assistanat territorial devra permettre de s’engager en ambulatoire ou en hôpital de périphérie.
Ce système va également favoriser le recrutement de futurs maîtres de stage, ce qui permettra d’envisager la création du statut de « docteur junior ambulatoire » pour les spécialités autres que la médecine générale. Aujourd’hui, excepté en médecine générale, les stages se concentrent presque exclusivement à l’hôpital. Il est crucial de sensibiliser et d’ouvrir l’accès à la médecine ambulatoire plus tôt dans les études. En envisageant l’assistanat territorial dès le statut de docteur junior, nous pourrions ainsi doubler le nombre de médecins disponibles en zones sous-denses, atteignant 6 000 à 7 000 praticiens par an d’ici deux ou trois ans.
Nous défendons également la création d’antennes universitaires départementales pour favoriser la réalisation de stages en périphérie et délocalisés des CHU. Et ce, dès les premières années d’études pour ne pas rompre avec le bassin de vie d’origine des étudiants. Ce continuum - du stage en deuxième cycle jusqu’à l’assistanat territorial, en passant par le Dr Junior ambulatoire - est essentiel pour former des médecins ancrés localement, capables de répondre aux besoins spécifiques des zones sous-denses.
Comment garantir que cet assistanat territorial ne glisse pas vers la contrainte ?
C’est une grande crainte, effectivement. Toutefois, si cette proposition repose sur des avantages comparables à ceux de la carrière hospitalière, notamment l’accessibilité au secteur 2 Optam (option de pratique tarifaire maîtrisée), la transformer en mesure coercitive lui ferait perdre tout son attrait ! Ainsi, il serait totalement contre-productif de rendre obligatoire l’assistanat territorial, et donc d’interdire à un jeune médecin de faire un assistanat ou un clinicat à l’hôpital, surtout dans un contexte où les besoins hospitaliers restent aussi cruciaux.
Certaines craintes résident enfin dans le fait de pouvoir accéder au secteur 2, avec le renoncement croissant aux soins. Mais il est important de rappeler que le premier déterminant du renoncement aux soins est l’accessibilité à un médecin. En encadrement le secteur 2 par l’Optam, cela permettrait de maintenir l’attractivité de la mesure en limitant ses effets sur l’accès aux soins.
Des dispositifs comme les contrats d’engagement de service public (CESP) ou les aides à l'installation existent déjà. Pourquoi ne suffisent-ils pas ?
Les CESP et les aides à l'installation interviennent à des moments différents des études ou de la carrière. Le CESP offre dès la 2e ou 3e année une aide financière en échange d’un engagement à s’installer dans une zone sous-dense. Mais ce dispositif, peu connu des étudiants, a une efficacité limitée. Un étudiant engagé peut perdre son intérêt si, après le choix des spécialités, un autre obtient la région ou la spécialité visée, le poussant à quitter le dispositif.
Il est crucial de permettre aux étudiants de rester dans leur bassin de vie d’origine. Ceux qui veulent s’installer en zone sous-dense ne devraient pas être contraints de s’éloigner de leurs proches. Ces ruptures créent un frein majeur à l'engagement, et c'est là où l'assistanat territorial peut apporter une solution plus adaptée et pérenne.
Comment imaginez-vous l'évolution du débat sur la liberté d'installation dans les cinq à dix prochaines années ?
C'est une question difficile. L'évolution du débat dans les cinq à dix années qui viennent dépendra beaucoup de notre capacité, dès aujourd'hui, à mettre en place les mesures nécessaires pour que la question de l'accès aux soins ne soit plus un débat d'urgence mais un débat d’amélioration.
Je pense qu'il est essentiel qu’on réussisse, d'ici là, avec l'augmentation de la démographie médicale, à inciter les médecins à s'installer dans les territoires sous-denses, notamment ruraux. L’élément central qu’est l’assistant territorial a précisément pour but de ne pas arriver à une régulation de l'installation, car toute mesure obligatoire finit par perdre son sens et son efficacité.
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre