LE QUOTIDIEN : Pourquoi et comment vous êtes-vous orientés vers la médecine ?
ARNAULT PFERSDORFF : C’e n’est pas une vocation familiale : il y a eu des médecins dans ma famille, mais deux générations au-dessus de la mienne, je ne les ai jamais connus. Je voulais faire une discipline scientifique, et il se trouve que mon lycée était situé à côté de la faculté de médecine à Strasbourg. Traverser l’hôpital tous les jours, voir des blouses blanches, ce sont des choses qui ont dû m’influencer. Mais il y avait surtout cette notion de soin, de contact, qui m’attirait. Bien sûr, les études me faisaient un peu peur, car bien que je ne fasse pas partie des cancres, on m’a beaucoup répété que la médecine n’était pas faite pour moi, que je n’y arriverais pas. Mais le désir d’apprendre a été plus fort.
NOÉMIE BRUNELLIÈRE : L’attrait pour la médecine est pour ma part quelque chose qui remonte à très longtemps. L’idée d’en faire mon métier m’est venue au collège, mais j’avais en parallèle la volonté d’écrire. J’ai donc eu un moment de questionnement, je ne savais pas si je devais m’orienter vers la voie scientifique ou littéraire. J’ai finalement opté pour la médecine, à la faculté de Nantes, tout en gardant pour plus tard l’idée d’écrire.
Qu’est-ce qui vous a décidés à choisir la pédiatrie ?
A. P. : J’ai passé l’internat à Strasbourg, et j’ai commencé par faire de la chirurgie. Mais dès le premier semestre mon chef de service est venu me voir pour me dire que ce n’était peut-être pas la voie la plus adaptée pour moi : j’aime le contact, et passer six heures à opérer un dos n’est pas forcément mon idéal. J’avais fait des stages en pédiatrie durant l’externat, j’avais eu un très bon contact avec les internes, et j’avais trouvé dans ces services une dynamique, une joie de vivre, une espérance qui m’ont plu. Je me suis orienté vers cette voie, et j’ai pu faire beaucoup de choses : je suis réanimateur en néonatologie, j’ai fait de l’hospitalier, et aujourd'hui j’ai une activité essentiellement libérale, avec également une activité d’auteur et de chroniqueur à destination des parents.
N. B. : L’une des particularités de l’externat à Nantes, c’était qu’on ne pouvait pas choisir nos stages : on nous les imposait. J’ai donc eu beaucoup de stages en chirurgie qui ne me plaisaient pas beaucoup. Mais l’été, on avait plus de liberté, et j’ai pu faire de la pédiatrie, et même y retourner. J’avais une attirance pour le relationnel avec ces patients : l’écoute est très différente de celle qu’on peut avoir en médecine adulte. D’autre part, je n’avais pas envie d’une spécialité d’organe, je voulais continuer à voir des choses différentes, garder ce côté polyvalent. Quand j’ai eu le concours de l’internat, j’avais donc comme priorité de faire de la pédiatrie, et ne voulant pas trop m’éloigner de Nantes, je suis arrivée à Poitiers.
L’une des idées reçues que l’on peut avoir concernant la pédiatrie, c’est qu’il doit être extrêmement triste de côtoyer des enfants malades en permanence, comment le vivez-vous ?
A. P. : Je me souviens effectivement de mon premier jour en pédiatrie, mon chef venait de perdre un enfant qu’il soignait depuis trois ans, il en pleurait. Mais dans mes études de médecine, j’ai abordé pas mal de service, et j’ai trouvé que le contact avec la mort, la violence de la perte de la vie était omniprésente. Alors qu’en pédiatrie, nous avons une notion d’espérance qu’on ne trouve pas ailleurs.
N. B. : Je suis encore dans l’apprentissage de ces choses, et c’est vrai que je commence à voir ce que signifient le rapport à la mort d’un enfant, l’accompagnement des parents… On a beau savoir que c’est quelque chose qui va arriver, c’est assez violent : la mort est encore plus dramatique chez un enfant qui devrait avoir encore toute sa vie à vivre. Mais il y a la notion d’espérance dont parlait Arnault, et il faut souligner que la mort n’est pas chez nous quelque chose de banalisé, d’habituel comme cela peut malheureusement être le cas dans d’autres spécialités : la mort d’un enfant reste un évènement exceptionnel, et quand il arrive on a la possibilité de l’accompagner.
Une autre particularité de la pédiatrie est la relation qu’elle implique avec le patient, qui ne peut communiquer sur le même mode que les adultes, ce qui requiert une relation triangulaire avec les parents…
N. B. : Oui, à chaque âge, l’enfant communique à sa propre manière, un nouveau-né n’exprime pas sa douleur de la même façon que nous, alors qu’un plus grand pourra décrire ce qu’il ressent émotionnellement… Il faut s’adapter en permanence. Quant aux parents, ce sont évidemment eux qui connaissent le mieux leur enfant. Quand un parent dit que son enfant ne se comporte pas comme d’habitude, il faut l’écouter. C’est parfois difficile, car certains parents ne prodiguent pas ce qu’il y a de mieux pour leur enfant, mais c’est le plus souvent particulièrement agréable d’avoir une véritable discussion autour de l’enfant, d’aborder différentes manières de voir le soin, la mort, le handicap, etc.
A. P. : Ce contact triangulaire avec les parents est essentiel, et j’ajouterais qu’il peut dans certains cas devenir quadrangulaire. J’ai souvenir d’une femme ayant vécu un accouchement difficile, d’un enfant qui souffrait d’une trisomie qui n’avait pas été diagnostiquée. Alors que sa compagne était encore endormie, le père vient me dire « docteur, surtout ne réanimez pas l’enfant ». Une heure après, la mère, à moitié réveillée, me dit « docteur, faites tout pour cet enfant, il est tout ce que j’ai ». Face à des situations comme celle-ci, on est tout seul.
De même que l’enfant n’est pas un adulte en plus petit, la pédiatrie n’est pas une médecine en plus petit. Peut-on dire qu’elle est au contraire une médecine qui contient toutes les autres ?
A. P. : On constate que le monde de la pédiatrie et le monde de la médecine adulte se mélangent assez peu. Il y a des radio-pédiatres, des pneumo-pédiatres, on n’a pas tout à fait affaire aux mêmes maladies. Les traitements ne sont pas les mêmes, la recherche n’est pas la même, nous accompagnons l’enfant et nous passons la main à un autre médecin quand il devient adulte, c’est quelque chose d’assez beau à mon sens.
N. B. : Il est vrai qu’il s’agit un peu de deux médecines différentes, j’ai appris beaucoup de choses pour le concours de l’internat, mais la pédiatrie, je l’ai apprise pendant l’internat. C’est une médecine complètement différente qui englobe énormément de choses, et c’est l’une des choses qui m’ont plu quand j’ai choisi l’internat de pédiatrie.
Justement, parmi toutes les surspécialités qui existent en pédiatrie, lesquelles vous attirent particulièrement ?
N. B. : Je suis en train de suivre une option pour travailler en médecine néonatale. C’est un domaine dans lequel j’ai pu avoir des stages assez tôt au cours de mon internat, et j’ai décidé d’y retourner plus tard. Les nouveau-nés ont des pathologies encore plus spécifiques, ils ne s’expriment pas comme nous, ce qui a d’importantes implications en termes de diagnostic… Par ailleurs, l’accompagnement à la parentalité est quelque chose qui me plaît énormément, ce n’est jamais la même chose d’une famille à l’autre.
L’avenir de la pédiatrie se trouve dans la notion de réseau : entre spécialités, mais aussi entre l’hôpital et le libéral
Dr Arnault Pfersdorff, installé en libéral à Strasbourg
A. P. : J’ai pour ma part choisi de me spécialiser en réanimation néonatale, qui à mon époque était une surspécialité jugée éprouvante, avec des gardes très lourdes. Mais après la phase aiguë, on a toute la phase de soins sur le long terme, l’accompagnement, c’est quelque chose de très spécifique. J’ai vu des milliers d’accouchements, aucun ne se déroule de la même façon, c’est véritablement quelque chose de très intense.
Quelles sont les évolutions que vous pouvez prévoir pour le futur de la spécialité ?
N. B. : On s’oriente vers une médecine qui va être compliquée en termes d’offre de soins. Les patients ont besoin de soins de plus en plus surspécialisés, et toutes les surspécialités pédiatriques ne sont pas disponibles dans tous les CHU. Par ailleurs, les internes ont longtemps accepté de travailler sans repos de garde, dans des conditions difficiles, mais aujourd'hui ils ne sont plus disposés à tout sacrifier : ils veulent une vie de famille, une vie personnelle, et il va bien falloir intégrer ces paramètres.
A. P. : Cette évolution est réelle, et il faut pouvoir s’adapter. Nous avons en France une médecine de très grande qualité, avec des surspécialités de plus en plus pointues. Il y a une trentaine d’années, en endocrinologie pédiatrique ou en génétique pédiatrique, je pouvais être compétent, connaître les grands syndromes, alors qu’aujourd'hui, je suis dépassé. Je pense donc que l’avenir de la pédiatrie se trouve dans la notion de réseau : une bonne communication entre spécialités, mais aussi entre l’hôpital et le libéral, sera l’un des facteurs importants pour réussir à faire fonctionner les choses dans un cadre de pénurie.
Noémie Brunellière
2014 : Début des études de médecine à Nantes
2021 : Internat de pédiatrie à Poitiers
2022 : Premier stage en réanimation néonatale et pédiatrique
2022 : Option néonatologie
Dr Arnault Pfersdorff
1981 : Internat de pédiatrie à Strasbourg
1983 : Président de l’Intersyndicale nationale des internes de CHU (Isnih)
Depuis 1986 : Activités hospitalière et libérale en réanimation néonatale, cardiologie infantile, pédiatrie générale
Depuis 2006 : Auteur d’ouvrages à destination des parents, chroniqueur sur France 2
2016 : Fondateur de pediatre-online.com
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