Depuis le début de la procédure d’appariement – entamée le 3 août avec une phase de simulation, suivie de tours à blanc – les étudiants en sixième année, et plus particulièrement ceux en couple, vivent avec la peur d’être séparés à la rentrée.
« À chaque tour, c’est du stress et de l’angoisse en plus. Avec les simulations, nos affectations changent tous les deux jours. Pour l’instant, j’ai quelques villes en commun avec ma copine, pour autant rien ne nous assure d’être ensemble l’année prochaine comme on l’avait envisagé, se désole Pierre* », étudiant en sixième année à Lille. « Jusqu’au dernier moment, on va angoisser », confie le jeune homme, en couple depuis cinq ans avec Léa*.
Un algorithme qui n’intègre pas la notion de couple
Cette attente parfois insoutenable concerne de nombreux étudiants en sixième année. La cause ? La réforme du second cycle (R2C) et de l’accès au troisième cycle, qui a complètement modifié la procédure d’appariement pour le choix des postes d’internes. Le nouveau système de matching repose désormais sur un algorithme garantissant à chaque interne son meilleur choix parmi une quarantaine de vœux, mais sans tenir compte des préférences de son ou sa partenaire.
Avec l’ancien système et le principe du classement unique, les étudiants voyaient les postes partir en temps réel, ce qui leur permettait d’adapter et d’affiner leurs vœux en fonction des places restantes. Ils pouvaient également choisir de se déclasser pour sélectionner simultanément, avec leur moitié, leur subdivision. « Pour les couples, c’était effectivement plus facile », reconnaît le Pr Benoît Veber, président de la Conférence des doyens.
« Le nouveau système rend la tâche de choisir une ville commune extrêmement délicate, témoigne aussi Théo*, étudiant en sixième année à Angers, en couple depuis cinq ans. Le Centre national de gestion (CNG) [en charge de la procédure d’appariement, NDLR] nous avait pourtant promis une fonctionnalité dédiée qui devait nous permettre de nous appareiller avec quelqu’un. Finalement, cela n’a pas été fait. Des centaines de couples risquent d’être séparés, et tout cela se fait dans l’indifférence la plus totale, avec beaucoup de froideur. On a vraiment l’impression d’être des pions à placer dans des cases, et tant que les cases sont remplies, c’est ce qui compte ! »
Ne pas être ensemble ou renoncer à ses rêves : le dilemme
Originaire du Mans, ce jeune homme de 26 ans, classé parmi les 2 000 premiers, vise une spécialité chirurgicale qu’il devrait obtenir sans trop de difficulté dans une ville de province. Mais ce n’est pas le cas de sa petite amie. « Avec le recul supposé des rangs limites, Alice*, qui souhaite se spécialiser en gynécologie obstétrique, n’a pas la certitude d’obtenir son choix, soupire-t-il. Il est possible qu’elle l’obtienne à Amiens ou à Nancy, des villes un peu moins demandées, mais rien n’est sûr. Je pourrai prendre le risque de mettre Amiens en choix numéro 1, mais si elle n’obtient finalement pas son premier choix et se retrouve par exemple à Nancy, je me retrouverais seul à Amiens, pendant tout mon internat, dans une subdivision que je ne voulais pas spécialement. »
Dans cette situation, un dilemme se pose : tenter d’avoir sa spécialité idéale coûte que coûte au risque d’être séparé ou renoncer à ses rêves et rester ensemble. « La question va clairement se poser, anticipe Théo. Peut-être qu’elle décidera de mettre les 28 subdivisions de gynécologie obstétrique ou au contraire qu’elle préférera opter pour 1) gynécologie obstétrique à Tours, 2) gynécologie médicale à Tours et 3) chirurgie digestive à Tours, dans l’optique qu’on soit de manière quasi certaine ensemble ». Après tant d’années de travail acharné, la décision n’a rien d’aisé. « C’est tout sauf ce que nous avions imaginé, se désole Théo. On ne devrait pas avoir à faire autant de concessions. Je ne comprends pas pourquoi la situation des couples n’a pas été davantage prise en compte. Ce sont tout de même des choix de vie importants ; certains sont mariés ou ont des enfants. »
Adapter sa stratégie astucieusement
Pierre et Léa – tous deux en bas du classement pour leurs spécialités respectives, l’anesthésie-réanimation et l’endocrinologie – se battent également pour rester ensemble malgré les incertitudes. « Nous avons quelques villes en commun pour nos spécialités, mais c’est plutôt limité. Le problème, c’est que les choix changent à chaque tour, c’est vraiment la loterie. Par exemple, si je suis classé 14e sur 15 en anesthésie-réanimation à Rouen, je pourrai très bien sauter au moment des choix définitifs et me retrouver dans une autre subdivision, tandis que Léa pourrait, elle, être acceptée. Et l’inverse est aussi possible. En fait, nos classements ne nous offrent aucune sécurité », explique Pierre.*
Pour limiter la casse, le couple réfléchit à diverses stratégies pour la phase d’admission définitive. « On se dit : “Pourquoi ne pas mettre en premier et deuxième choix des villes que nous avons en commun et qui sont géographiquement proches… Par exemple, en mettant Caen et Rouen, cela nous permettrait de ne pas être trop loin si jamais nous n’obtenons pas notre premier choix, illustre Pierre. Dans tous les cas, on ne va pas être gourmands, on fera avec les possibilités qu’on a et on va prier très fort pour que ça passe ».
Pour ne rien laisser au hasard, Théo et Alice ont élaboré un tableau Excel. « À chaque tour de simulation, on note, avec des codes couleurs, l’évolution des rangs limites des villes qu’on pourrait tous les deux avoir. L’idée est de voir quelles sont les meilleures combinaisons possibles pour ne pas être séparés », poursuit Théo.
Une fonction « en couple » dès l’an prochain ?
Pour les couples, la rentrée de septembre s’annonce incertaine et anxiogène. « Ça me paraît encore assez irréel de ne pas être dans la même ville qu’elle. Si ça arrive, je ne sais pas comment je vais le supporter… Je ne me vois pas du tout rentrer le soir sans la voir et sans lui raconter ma journée ; ça risque d’être très dur, reconnaît Théo. Si nous sommes séparés, nous ferons tout pour nous voir le week-end, mais c’est sûr qu’avec les gardes et les astreintes à raison d’au moins une fois par mois, il suffirait qu’on soit décalés, pour que ce soit foutu ! »
Les quelque 7 600 étudiants à avoir passé le cap du nouveau concours de l’internat seront fixés le 10 septembre. En attendant, un étudiant a lancé une pétition pour alerter le CNG sur l’injustice dans l’affectation des couples de néo-internes. Ce texte pointe même « le risque de ruptures conjugales » dont le CNG pourrait être tenu pour responsable. Contacté, le CNG indique qu’« il n’a pas été possible d’accéder à la demande des étudiants de réaliser des appariements “en couple” » pour la première année de mise en œuvre. « Une étude de faisabilité sera conduite pour les années suivantes », assure-t-il.
*Tous les prénoms ont été modifiés.
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