Malgré une prise de conscience progressive, les violences sexistes et sexuelles (VSS) continuent de miner les facultés de médecine. « Ce sujet est devenu un souci permanent pour nous », a cadré le Pr Benoît Veber, président des doyens de médecine, en préambule de la quatrième conférence nationale dédiée à cette thématique.
Le nombre d'incidents signalés, déjà inquiétant, ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. « Il est très probable que les doyens ne soient informés que partiellement de ce qu’il se passe », admet le Pr Veber. Une récente enquête menée auprès des 34 facultés de médecine permet de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. « Au cours de l’année universitaire 2023-2024, 80 incidents ont été remontés aux doyens. Parmi ces cas, huit ont été jugés suffisamment graves pour faire l’objet d’un signalement au procureur sous l’article 40 du code de procédure pénale », précise le patron des doyens. Plus alarmant, 13 situations rapportées mettaient directement en cause un supérieur hiérarchique, un déséquilibre d'autorité qui rend d'autant plus difficile la dénonciation des faits. « C’est inacceptable, a insisté le Pr Veber. Nous devons absolument être informés de ces situations afin d’être en mesure d’instruire ces dossiers et de faire les déclarations nécessaires pour que justice soit rendue. »
En 2021 déjà, une vaste enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), à laquelle 4 500 carabins avaient répondu, révélait que 30 % d’entre eux avaient été victimes de harcèlement sexuel au cours de leur formation hospitalière (près de 40 % pour les étudiantes).
Procédures lentes, sanctions légères
Malgré un début de libération de la parole depuis les révélations de l’infectiologue Karine Lacombe, ayant initié un MeToo à l’hôpital, signaler ce type d’agissements reste difficile pour les victimes, qui redoutent des répercussions sur leur carrière et des représailles. « Malheureusement, la balance bénéfices-risques reste très souvent défavorable aux étudiants », a expliqué devant les doyens Audrey Bramly, interne en anesthésie-réanimation, membre du pôle violences et harcèlement au Syndicat des internes des Hôpitaux de Paris (SIHP), qui a révélé l’enfer des stages hospitaliers dans une enquête regroupant des dizaines de témoignages.
La libération de la parole ne se fera que si les victimes se sentent écoutées, protégées et en confiance
Killian L'helgouarc'h, président de l’Isni
Et lorsque les victimes osent témoigner, elles se retrouvent souvent confrontées à des procédures administratives ou judiciaires trop lentes, et à des sanctions jugées insuffisantes. Un étudiant en médecine de Tours a ainsi pu poursuivre ses études à Limoges malgré des accusations de viols. À l’époque, aucune sanction disciplinaire n’avait été prise à son encontre. Condamné en mars 2024 à cinq ans de prison avec sursis probatoire, il est pressenti pour faire sa rentrée à Toulouse début novembre en stage de radiologie, malgré l’opposition des syndicats locaux.
Lors de la conférence de concertation, Killian L'helgouarc'h, président de l’Isni, a insisté sur la nécessité d’instaurer un climat de sécurité autour des signalements. « La libération de la parole ne se fera que si les victimes se sentent écoutées, protégées et en confiance, a-t-il insisté. Beaucoup d’internes sont prêts à parler, mais ils veulent que ça change réellement les choses et pas seulement que des mesurettes soient prises à l’issue de ces procédures ! » Il appelle à des enquêtes transparentes et à des mesures qui assurent une protection des victimes, notamment dans les spécialités où les équipes sont restreintes, rendant les dénonciations risquées.
Philippe El Saïr, directeur général du CHU de Nantes, veut pourtant croire au caractère dissuasif du pouvoir administratif et disciplinaire. « Les violences sexistes et sexuelles doivent être traitées de manière exemplaire au sein de l’hôpital, explique celui qui est aussi à la tête de la conférence des DG de CHU. Je peux vous assurer que retirer une chefferie de service peut bouleverser la carrière d’un praticien. En général, après une telle sanction, il arrête ! »
Les doyens peuvent également engager des actions lorsque des signalements sont opérés. « La réalité des comportements inappropriés, comme des propos sexistes ou des attitudes déplacées, peut être difficile à prouver et sanctionner, mais cela n’empêche pas d’agir, a soutenu le Pr Bruno Riou, vice-président de la Conférence des doyens. Même sans preuves suffisantes, dans le cadre d’une enquête disciplinaire, le doyen peut apporter une réponse : retirer des externes d’un service, révoquer l’agrément de stage pour les internes, ou juger l’environnement pédagogique inadapté pour accueillir un chef de clinique. Croyez-moi, cela mobilise un chef de service ! »
Je peux vous assurer que retirer une chefferie de service peut bouleverser la carrière d’un praticien. En général, après une telle sanction, il arrête !
Philippe El Saïr, président de la conférence des DG de CHU
Dans les cas les plus graves (harcèlement sexuel, agression ou viol), les doyens peuvent saisir immédiatement le procureur de la République, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Si l’auteur des faits est en exercice, l’Ordre des médecins peut être alerté. « Il ne faut pas oublier que le processus disciplinaire est indépendant du processus judiciaire, rappelle le Pr Benoît Veber. Parfois, on a tendance à attendre que la justice fasse son œuvre, ce qui prend un temps fou, alors que des sanctions ordinales ou disciplinaires pourraient être déjà prises, il ne faut donc pas attendre. »
L’Ordre prêt à sévir ?
Intervenant dans le cadre de cette conférence, le Dr François Arnault, président de l’Ordre national des médecins, a assuré que les VSS ne seraient plus tolérées au sein de la profession. « Un étudiant peut faire des études de médecine, passer ses examens, réussir son clinicat, mais s’il a été condamné pour des faits graves de violences sexistes et sexuelles, l’Ordre se réserve le droit de ne pas lui autoriser l’exercice de la médecine (…) Et lorsqu’il s’agit d’un viol, le médecin ou l’étudiant ne doit tout simplement pas exercer », a-t-il martelé.
L’Ordre national, qui a souvent été taxé de laxisme disciplinaire, s’est ainsi engagé à agir sans attendre les décisions de justice, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à la radiation. Les conseils départementaux devront vérifier la moralité des futurs médecins et l’inscription au tableau pourra être refusée aux étudiants reconnus coupables. Le message se veut clair : tolérance zéro. « Dans notre profession, nous avons trop souvent donné l’impression de laisser faire, a reconnu le président de l’Ordre. Nous avons fait l’amer constat que de nombreuses situations pourtant connues n’avaient pas été suivies de sanctions, nous n’acceptons pas ces insuffisances et sommes prêts à corriger cette anomalie déontologique. » L’institution a lancé une vaste enquête fin septembre pour mesurer l’ampleur des VSS dans le milieu médical, à laquelle 20 000 praticiens ont déjà répondu.
Prévention, accompagnement des victimes, suivi des plaintes, sanctions : de l’avis général, il est urgent de dépasser le constat afin d’aboutir à des solutions. « Nous devons sortir de cette conférence avec des idées claires sur les modalités d’actions », a conclu le Pr Benoît Veber, conscient que le statu quo ne fait qu’alimenter la crise.
Faut-il réformer la juridiction des PU-PH ?
Dans le cadre de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la juridiction disciplinaire des hospitalo-universitaires (JDHU) est censée jouer un rôle clé en appréciant les manquements des personnels à leurs obligations professionnelles, notamment en cas d'agression ou de harcèlement. Cependant, son fonctionnement est critiqué. En mai 2022, la Cour des comptes écrivait : « Avec 13 dossiers identifiés jusqu'en 2015 et 17 affaires traitées depuis 2016, cette JDHU s'avère peu présente dans la régulation déontologique qui lui a été assignée, en raison principalement de son éloignement des établissements d'exercice de ces personnels (universités et CHU) ».
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