Face à la désertification médicale, une nouvelle philosophie est en train d’émerger. Consultations avancées, cabinets secondaires ou éphémères, exercice multi-sites… les noms peuvent varier, mais le principe est le même : permettre aux médecins de prendre en charge les patients en dehors de leur lieu de travail habituel. L’ubiquité est-elle l’avenir de la médecine ? Pour l’instant, il s’agit surtout d’un voeu pieux.
Il est rare que MG France et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) soient d’accord sur un sujet. Il est encore plus rare qu’ils le soient pour les mêmes raisons. Alors quand les frères ennemis du syndicalisme médical utilisent des termes quasiment identiques pour défendre une idée, on peut légitimement considérer que celle-ci fait consensus dans la profession. C’est exactement ce qui est en train de se passer autour des cabinets secondaires.
« On va vers un regroupement des médecins, ce qui va faire diminuer le maillage territorial, analyse le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Il faut donc imaginer des médecins en exercice regroupé dans un lieu où ils seront relativement nombreux, avec des cabinets secondaires là où un médecin exerçait seul auparavant. » Jacques Battistoni, président de MG France, confirme. « Pour que les généralistes puissent continuer à travailler dans de bonnes conditions là où ils sont moins nombreux, ils vont devoir se regrouper, constate-t-il. Ils auront donc des terrains d’activité plus larges, et pour ne pas dépeupler certaines communes, il est bien qu’il y ait des cabinets secondaires. »
Le cabinet secondaire encore balbutiant
Les consultations avancées sont également en vogue du côté des autorités sanitaires. Agnès Buzyn a annoncé son intention de les développer dans son plan « pour l’égal accès aux soins dans les territoires », présenté en octobre dernier. La Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) n’est pas en reste. Avec le contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM), elle propose une revalorisation de 10 % des honoraires aux praticiens qui acceptent d’exercer au moins dix jours par an pendant trois ans dans un désert médical (la Cnam a proposé de porter cette participation à 20 %). Même le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) y est allé de son couplet. « Il faut encourager les consultations avancées, pour le premier comme pour le second recours, en élargissant les possibilités d’exercice en lieux multiples », déclarait- il en janvier dernier lors de la présentation de ses voeux.
Mais s’il se trouve sur toutes les lèvres, l’exercice en cabinet secondaire est loin d’être omniprésent sur le terrain. Fin décembre, on ne comptait par exemple que 28 contrats de solidarité territoriale signés, selon l’Assurance maladie. Le Cnom se dit incapable de donner le nombre de praticiens disposant d’une autorisation d’exercice sur plusieurs sites. Les Conseils départementaux, chargés de délivrer ces autorisations, sont de leur côté loin d’annoncer des chiffres pléthoriques. Parmi la demi-douzaine que Le Généraliste a contactés, c’est la Haute- Marne qui détient le record : trois omnipraticiens y disposent d’un cabinet secondaire.
« La consultation avancée est pour l’instant plus un principe qu’une réalité », admet-on à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère de la Santé). À cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, pour ne pas mettre en difficulté ses propres patients, le praticien en mobilité ne doit pas lui-même venir d’une zone très sous-dotée. On constate aussi parfois des résistances ordinales au niveau départemental. « Ils sont parfois pénibles, s’emporte Jean-Paul Ortiz. Ils doivent examiner cela en session, et répondent uniquement s’ils estiment que le cabinet secondaire envisagé répond aux besoins de la population et ne crée pas de concurrence... et ils ne donnent qu’une autorisation limitée dans le temps. »
À l’Ordre national, on affirme que le nombre de demandes rejetées au niveau départemental est minime, mais on admet certains archaïsmes. « Initialement, la procédure a été conçue à une période où l’on avait une pléthore de médecins, et où il n’y avait pas assez de travail pour tout le monde, rappelle le Dr François Arnault, délégué général aux relations internes du Cnom. Cela doit donc être libéralisé pour améliorer l’accès aux soins, tout en s’assurant que la qualité, la continuité et la sécurité des soins soient maintenues sur tous les sites. » Des propositions seront faites au ministère « dans les semaines ou dans les mois qui viennent » pour modifier l’article 85 du code de déontologie médicale, qui encadre l’exercice multi-sites.
Une question d’argent, mais pas que
Un autre frein existe, d’ordre financier. Car deux lieux d’exercice, c’est deux fois plus de charges. C’est pourquoi le cabinet secondaire n’est généralement viable qu’avec les aides des collectivités locales : mise à disposition de locaux, prise en charge des factures d’électricité, de téléphone, etc. Il peut aussi être utile que la Cnam mette la main à la poche. On pourrait aussi se demander si le principal blocage au développement des consultations avancées n’est pas la méconnaissance de cette possibilité, assez étrangère à la culture de la médecine libérale. « Ce n’est pas naturel d’avoir un deuxième cabinet, cela demande un effort », reconnaît François Arnault. Mais il faut croire qu’une fois le pas franchi, le cabinet secondaire est ressenti comme bénéfique à la pratique médicale. C’est en tout cas ce qui ressort des témoignages (lire ici). Alors, le modèle du médecin qui pose sa plaque et sortira de son cabinet 40 ans plus tard appartiendra-t-il bientôt au passé ?
QUAND LE CABINET SECONDAIRE SE TRANSFORME EN MAISON DE SANTÉ
Le Dr Arnaud-Billet coordonne une maison de santé à La Charité- sur-Loire (Nièvre), où il avait dû au préalable s’installer en cabinet secondaire. Janvier 2013. Le Dr Billet est sorti de l’internat depuis deux mois. Il a commencé à remplacer en vue de passer sa thèse, quand le sénateur-maire de La-Charité-sur-Loire, bourg nivernais où il projetait de s’installer, lui demande de hâter les choses : le nombre de médecins sur la commune a brutalement chuté, et ils ne sont plus que trois.
Non-thésé, Arnaud Billet ne peut hélas pas encore s’installer. Une solution originale se met en place avec son ex-maître de stage, le Dr Michel Serin. Ce dernier et « deux autres médecins ont créé un cabinet secondaire à La Charité-sur-Loire, raconte le jeune généraliste. Je les y remplaçais sur leur journée de congé hebdomadaire. »
En un an de cet exercice qu’il qualifie « d’un peu particulier », Arnaud Billet a pu passer sa thèse, et surtout préparer le projet de maison de santé à La Charité-sur-Loire, dans son esprit depuis le début de son internat en 2011. Celle-ci se développe si bien qu’elle devrait emménager très vite dans un bâtiment définitif.
Les cabinets font des petits Le plus beau, c’est qu’Arnaud Billet a désormais lui aussi un cabinet secondaire sur Beffes, à une dizaine de kilomètres de La Charité-sur-Loire, dans un autre département (le Cher). Il y exerce une demi-journée par semaine dans une maison de santé. « Les sites secondaires pour les titulaires, c’est l’avenir », estime-t-il. Son mentor, le Dr Serin, ne l’approuve guère. « Je crois plutôt à des regroupement de professionnels permettant une continuité des soins », explique-t-il. « Il vaut mieux inciter les gens à faire les quelques kilomètres qu’ils font déjà pour aller au supermarché : on n’a pas un Auchan ou un Carrefour dans tous les villages où un médecin a été esclave pendant des décennies. »
Malgré tout, le maître peine à cacher une certaine admiration pour son élève. « C’est une belle graine semée dans notre désert médical nivernais. »